retour sur @lyon coup de coeur du jour discussion roulette meteo locale La Croix-Rousse sous la Révolution par Antoine Grand retour
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CHAPITRE PREMIER
1788-1789


La première municipalité. - Les chemins et les taxes. - Impositions et réclamations. - Les prérogatives fiscales du Franc-Lyonnais. - Elections aux Etats-Généraux. - Cahier des doléances. - La milice bourgeoise. - Changement du siège de la municipalité. - Le terrain du rempart. - La contribution patriotique. - Secours aux pauvres. - Dernières déclarations de la municipalité.

Le dimanche 24 février 1788, à l'issue des vêpres, la communauté de Cuire-la-Croix-Rousse, qui comprenait 711 feux ou familles, procéda à l'élection de sa première municipalité, en exécution de l'édit de 1787.

Elle fut formée de MM. Neyrat, Burel, Pinet, Rousset, Delorme, Bruny, Bariaud, Claude-Edme de la Poix de Fréminville, Boucharlat, Charton, syndic, et comme membres de droit, de Simon-Claude Boulard de Gatellier, seigneur, et de Jean-Jacques Legay, curé de la Platière, dont la circonscription paroissiale embrassait une notable partie du plateau croix-roussien.

Cette municipalité tint sa première séance le 17 mars suivant, dans l'hôtel de M. de Gatellier, et le syndic Charton exposa les questions soumises aux délibérations.

Le chemin qui communique de la barrière de Serin à la Croix-Rousse est impraticable, bien que d'une incontestable utilité pour les habitants auxquels il permettrait avec plus de facilité et moins de frais, le transport de leurs comestibles, provisions et matériaux. Il convenait donc de réclamer auprès de l'Assemblée provinciale la réparation de ce chemin.

A ce propos, il y avait lieu d'appeler l'attention de cette dernière sur l'emploi qui avait été fait de l'imposition du quart de la capitation prélevé pour corvées de chemins. Cette perception, dit le procès-verbal, a pris naissance pour l'exécution du chemin de la Boucle, et aurait dû y être exclusivement affectée. Cependant, depuis plus de six à sept ans qu'elle est perçue, il paraît évident qu'elle s'est élevée au-delà des frais d'exécution des travaux, et que le surplus, versé dans la caisse des corvées, a bénéficié à d'autres communautés non contributives.

Puis, l'assemblée communale sollicite une ordonnance contre les abus commis par certains propriétaires qui, pour amener l'eau dans leurs "boutasses" avec plus de facilité, font des creusés ou "élévations" sur les voies de communication qu'ils rendent ainsi "de vrais cloaques infects". Enfin, elle proteste contre les inégalités de la distribution, dans son ressort, du logement des gens de guerre, et réclame le droit d'en surveiller l'exercice pour le rendre, impartial.

Le 4 septembre, elle adresse au Bureau intermédiaire de la ville de Lyon et Franc-Lyonnais, une requête à l'effet d'obtenir qu'une partie des fonds de la caisse des corvées soit consacrée à l'entretien du chemin de la Boucle, dont l'état de dégradation provoque des plaintes incessantes.

D'eux-mêmes, les contribuables avaient abandonné, en vue de ces réparations, un excédent de 220 livres, 17 SOUS, sur le don gratuit de l'année 1788.

Mais cette concession n'avait pu avoir d'effet en raison de l'absence de l'intendant qui devait l'approuver, et cette somme fut restituée aux ayant-droit. La mise en état de ce chemin resta en suspens, contre le gré du corps municipal qui s'en expliquera plus tard.

Il en fut de même du chemin qui devait relier Serin à la Croix-Rousse par les Tapis. L'administration municipale avait cependant ouvert une souscription, et recueilli déjà 1.900 livres environ sur les 3.000 livres nécessaires que l'empressement général allait bientôt réunir.

Une question qui, on le conçoit, alimenta grandement les délibérations de notre première municipalité, fut celle des impôts et contributions.

Dès le 10 juin, elle proteste, en ce qui concerne ses mandants, contre la vérification des vingtièmes ordonnée par le Gouvernement.

Cuire-la-Croix-Rousse, allègue-t-elle, ayant été vérifié en 1778 pour ses vingtièmes, ne doit pas l'être avant l'année 1799, aux termes de l'arrêt du Conseil du 2 novembre 1777, sauf en ce qui concerne les maisons construites depuis, ou qui n'auraient pas été vérifiées à cette époque.

Au 1er mars 1789, le rôle des vingtièmes s'élevait, pour Cuire-la-Croix-Rousse, à la somme de 11.308 livres, dont le collecteur Charles Guinat devait assurer le recouvrement.

Le 7 septembre, sont élus trois adjoints : MM. Serrière, Frénet et Fontenelle fils, à l'effet de coopérer, avec le corps municipal, à la répartition pour l'année 1789 de la capitation et accessoires.

Dans le même temps, ce dernier réclame, du Bureau intermédiaire, la justification d'une somme de 319 livres 10 sous imposée aux contribuables de Cuire-la-Croix-Rousse pour leur part des dépenses supportées par la province du Franc-Lyonnais depuis son dernier don gratuit de l'année 1780. Avant de procéder à l'imposition de cette redevance, l'administration municipale déclare qu'elle n'est point instruite du régime de la province, ni des "motifs qui ont donné lieu à ces frais". Elle veut donc en avoir une connaissance parfaite et détaillée, qui la mît à même d'en rendre compte aux contribuables toujours jaloux de savoir en "vertu de quoi ils payent".

Soucieuse d'assurer l'exacte justice dans la répartition sur ses concitoyens des charges contributives, la municipalité transmet au Bureau intermédiaire ses observations motivées concernant la capitation. Elle a effectué, dans ce but, une revue générale dont le tableau "présente beaucoup de misère", et elle explique comme suit les causes de la situation. La perte de la grande route qui passoit ci-devant dans le bourg de la Croix-Rousse a entièrement détruit son commerce de consommation. De cette destruction, s'est suivie celle de beaucoup de propriétaires et habitants par le défaut de travail dont la profession avoit des rapports. Les maisons qui sont dans la grande rue dudit bourg sont, en plus grande partie, occupées par une multitude d'ouvriers de la ville, misérables, qui en payent fort mal le loyer ; le cinquième, et peut-être même le quart, des occupants ne sont pas dans le cas d'être compris dans le rôle de la capitation sans en rendre le recouvrement très douteux, et cette part, réversible l'année suivante sur le reste de la communauté, seroit un surcroît de "charge pour elle".

Il ne serait pas équitable non plus que les bourgeois de la ville, propriétaires à la Croix-Rousse, fussent maintenus personnellement sur les rôles de cette dernière, puisqu'ils sont inscrits déjà sur ceux de Lyon, et qu'ils ne peuvent payer deux capitations.

La municipalité demande donc une diminution sur la capitation de la paroisse proportionnée au déficit de 150 à 180 cotes, de 30 sous à 3 livres, prévues comme étant irrécouvrables. Elle comprend aussi la suppression du rôle de 31 bourgeois de la ville, dont la capitation totale est actuellement de 286 livres, lesquels, pour les raisons
indiquées, ne doivent que celle de leurs domestiques.

Ces observations ne paraissent pas avoir été écoutées ainsi que la municipalité le constate le 15 février suivant. A cette date, le total des cotes est de 4.706 livres, et le Bureau intermédiaire a décidé que les bourgeois de Lyon, propriétaires en Franc-Lyonnais, ne seront pas imposés à la capitation dans cette province.

Enfin, le 15 mars, le rôle de répartition pour la paroisse, et pour l'année 1789, est affiché à la porte de l'église et remis au collecteur Pierre Burdet pour en effectuer le recouvrement. Cette répartition est définitivement fixée au total de 4.707 livres 16 sous. Depuis vingt ans environ, remarque la municipalité, la part contributive de Cuire-la-Croix-Rousse est augmentée de 1.800 livres par la "fausse opinion de sa richesse".

Les dépenses de l'administration municipale pour l'année 1788 s'élèvent à la somme de 585 livres 8 sous, dont 300 livres pour les honoraires du greffier.

Ensuite d'un mandement du Bureau intermédiaire, la municipalité procède, le 8 novembre, à la confection du rôle pour l'imposition, aux ci-devant privilégiés, des six derniers mois de l'année courante 1789. Il s'élève au chiffre de 83 livres 14 sous.

La communauté de Cuire-la-Croix-Rousse faisant partie du Franc-Lyonnais, son administration municipale ne pouvait manquer au devoir de défendre les prérogatives de la province à ce moment de transformations générales. Aussi, considérant que la province n'est point régulièrement représentée dans l'Assemblée de Lyon et celle du Département, et craignant que par là même ses intérêts ne soient en souffrance, notre municipalité exprime-t-elle le voeu que le Franc-Lyonnais compte, au sein de ces Assemblées, une délégation de huit membres pris tant dans la noblesse et le clergé que dans le Tiers-Etat.

Dès sa séance suivante, elle adresse cette requête aux mêmes députés du département de la ville de Lyon :
"La prochaine assemblée des Etats-Généraux étant considérée, Messieurs, comme un bienfait du Roi pour tous ses sujets, la Municipalité de Cuire-la-Croix-Rousse ne peut-elle pas, dans une circonstance aussi intéressante, élever la voix pour faire entendre de justes doléances ? N'a-t-elle pas droit à la bonté et à la justice du Souverain ? Le Franc-Lyonnais, dont le bourg de Cuire-la-Croix-Rousse fait une partie considérable, a des privilèges et franchises qui ont été reconnus de tous les Rois de France, depuis que cette petite Province s'est mise sous leur protection et sauvegarde. Ces privilèges et franchises ont été, Messieurs, attaqués et les coups qui leur ont été portés frappent principalement la paroisse de Cuire-la-Croix-Rousse. Cette Municipalité s'alarme de crainte de les voir se perpétuer, si la Province n'est admise à avoir des Représentants aux Etats-Généraux pour y solliciter la restitution de tous ses droits légitimes et les faire sanctionner par eux à l'effet d'en jouir à perpétuité et sans trouble".

Notre municipalité envoyait en même temps, à celles des autres paroisses du Franc-Lyonnais, un mémoire justificatif de son initiative et les invitait à s'y associer. Le dimanche 9 novembre, et sur la convocation du syndic général de la province, se réunissait au château de Neuville une assemblée des syndics et propriétaires des paroisses du Franc-Lyonnais. Tous reconnurent qu'il y avait convenance, pour la province, de posséder aux Etats-Généraux, une délégation distincte en raison de ses privilèges et franchises.

On décida, en conséquence, d'adresser au Ministère un mémoire à cet effet. On arrêta aussi :
1- que M. Servan serait élu procureursyndic pour seconder, dans ses fonctions de syndic général, M. Verdat de Sure qui, démissionnaire pour raisons de santé, a consenti à garder sa charge une année encore ;
2- que la paroisse de Cuire-la-Croix-Rousse n'aurait à supporter, pour sa part, que 150 livres sur les 1.275 livres auxquelles se montaient les frais de la province ;
3- que remise serait faite au syndic de ladite paroisse d'une ordonnance de l'Intendant annulant ses précédentes commissions pour le don gratuit, ce qui fixe à 758 livres la part contributive de Cuire-la-Croix-Rousse pour la présente année ;
4- que la province tout entière prendrait en main la cause de celles de ses paroisses où serait portée une atteinte à ses privilèges ;
5- enfin qu'il serait demandé le redressement de l'article consacré dans l'Almanach de Lyon à Cuire-la-Croix-Rousse qui est dénommé village d'une part et faubourg de l'autre, cette double appellation pouvant nuire aux privilèges de la dite paroisse.

Pour répondre au voeu de l'Assemblée de Neuville, il avait été décidé qu'une requête au Roi serait rédigée, qui demanderait à Sa Majesté qu'une représentation de la province aux Etats-Géné-raux lui fût accordée, et que copie de cette requête serait envoyée au Ministre du département de la province, au Directeur général des finances, au Garde des sceaux, à l'Archevêque, au Sénéchal, et à la duchesse de Sauzun, dame de Neuville, avec prière à chacun de ces hauts personnages de l'appuyer d'une lettre approbative.

Notre municipalité opina que cette démarche offrirait de meilleures chances de succès, si la requête en cause était présentée par un député de la province qui, étant à Paris, agirait plus efficacement et serait à même de parer aux difficultés et de réfuter les objections.

Ce député fut M. de Gourcy de Mainville, chanoine-comte de Lyon et procureur-syndic de l'Assemblée départementale. Il dépensa dans l'accomplissement de sa tâche des efforts persévérants, mais qui se heurtèrent à des obstacles qui laissaient prévoir leur insuccès final.

Dès le 29 décembre, il mandait de Paris le résultat des démarches qu'il avait tentées auprès de M. Coster, secrétaire du ministre Necker :
"... C'est donc la persuasion où était le Ministère que le Franc-Lyonnais ne fesait point une province distincte que j'ai combattue pour première objection... M. Coster ne m'a pas laissé ignorer que le plus grand obstacle que je trouverais était la crainte qu'avait le Ministère, en accueillant toutes les demandes semblables à la nôtre, de voir les Etats-Généraux composés de près de trois mille personnes. Il m'a ajouté que l'objection qui frappait le plus M. Necker, qui avait déjà examiné la requête, était l'incorporation du Franc-Lyonnais dans la Sénéchaussée de Lyon ; que les privilèges particuliers étaient bien des raisons pour faire inscrire des doléances particulières dans les cahiers des députés choisis dans tout le ressort, mais qu'ils n'en étaient pas une d'en avoir de directs aux Etats-Généraux... je crains que la grande envie qu'a M. Necker de diminuer le nombre des représentants ne fasse rejeter mes raisons, quelque bonnes qu'elles soient...
"Il m'a été facile de me convaincre que, dans ces circonstances, on ne se rappelait pas seulement ici qu'il existait un Franc-Lyonnais.."..

C'est le 7 mars 1789 que les électeurs de la communauté de Cuire la-Croix-Rousse, qui comprenait alors 749 feux, furent convoqués au son du tambour, dans l'église des Augustins, pour désigner leurs commissaires à l'assemblée des trois ordres pour la nomination des députés aux Etats-Généraux. Leur choix se porta sur MM. Edme Claude de la Poix de Fréminville, Claude Nesme, Jean-P. Thizet, Benoît Bonamour, Jean Nugues, Claude Defarge, joseph Revol et Antoine Puy qui reçurent le cahier des doléances de la communauté.

Dans cette circonstance solennelle, les électeurs ne manquèrent pas d'exprimer hautement leur désir de voir maintenir les droits et franchises de la province, comme ils l'attendent spécialement de la bonté de Sa Majesté et de la justice de l'auguste Assemblée "qui va s'occuper de la régénération de la chose publique". Ils ajoutent que c'est là le voeu principal de la communauté qui, au surplus n'entend point faire réunion avec le pays lyonnais auquel "elle n'a jamais été unie par le fait de ses droits et privilèges".

Mais tous ces efforts, ces démarches réitérées n'aboutirent pas. Il y eut dissentiment entre les électeurs de la province, qui n'observèrent pas une conduite commune dans la nomination de leurs députés, dissentiment qui motiva une énergique protestation de notre municipalité, le 26 avril. Puis, l'Assemblée Nationale anéantit l'autonomie du Franc-Lyonnais, avec celle de toutes les provinces, dans la nouvelle division qu'elle fit de la France en départements.

Quant au cahier des doléances du bourg de Cuire-la-Croix-Rousse, il comportait, entr'autres, les voeux suivants :

Que la dîme soit affectée au curé, à l'entretien des ornements de l'église, aux dépenses du culte divin. On unira les bénéfices
simples, les chapelles ou fondations qui sont à la nomination des ecclésiastiques, et par suite, on supprimera les Fabriques.
Que les vicaires, dans les paroisses où ils sont nécessaires, seront payés par le curé.
Que les annexes et vicairies perpétuelles seront érigées en cures.
Qu'il sera établi une cure à Cuire, vu l'impossibilité, pour les habitants, de communiquer pendant la nuit avec les paroisses de la ville, et le grand éloignement de ces paroisses pour une partie des habitants.
Qu'on attribue aux Augustins de la Croix-Rousse les fonctions curiales à Cuire, en considération de leur activité, de leur zèle à prodiguer les secours spirituels aux habitants.
Que dans chaque paroisse de cent feux, il soit établi un maître d'école pour l'instruction gratuite des enfants.
Que la magistrature soit élective.
Qu'on réforme la procédure civile et criminelle.
Qu'on supprime la main-morte.
Qu'on rachète les droits féodaux.
Qu'on abolisse les droits de péage, la gabelle, et qu'on établisse l'égalité des poids et mesures.

La plupart de ces voeux ont reçu, en divers temps, leur accomplissement.

Le 9 août 1789 vit s'opérer l'organisation de la milice bourgeoise de Cuire-la-Croix-Rousse. Convoqués à sept heures du matin, au son du tambour, les officiers et soldats s'assemblent dans la maison du sieur Chevassu, précédemment élu commandant. Ils procèdent, par acclamation, à la nomination du sieur Omelle, notaire, comme commandant en second, et du sieur Burelle comme enseigne. Après quoi, les officiers et caporaux sont présentés aux miliciens qui promettent de leur obéir en tout ce qui concernerait le service auquel ils se "sont volontairement dévoués".

L'assemblée se rend alors dans l'église des Augustins. Elle assiste à la messe célébrée par le P. Labat, prieur, qui prononce le discours suivant :
"Au milieu des désordres affreux qui affligent les provinces, dans le moment où le feu d'une guerre intestine s'allume dans le sein de notre patrie, où de paisibles laboureurs, trompés par les avis les plus criminels, se livrent à des excès désastreux réprouvés par les Loix et la Religion il est bien consolant pour nous de vous voir employer les moyens les plus sages pour vous garantir de la contagion presque générale, et pour éloigner de vos foyers toute espèce de fermentation séditieuse, toute surprise de la part des brigands qui infestent notre voisinage.

"C'est sous l'étendard de la Religion et du patriotisme, c'est au pied des autels que vous venez cimenter votre fraternelle union pour le rétablissement et le maintien de l'ordre et de la sûreté publique.

"Conservez à jamais le souvenir de l'auguste cérémonie qui vous rassemble sous cet étendard qui va être consacré au Dieu de paix. Puisse-t-il vous rappeler que vous n'êtes armés que pour maintenir la concorde. Qu'il soit l'heureux signal qui vous avertisse à jamais de votre soumission aux loix, de votre zèle pour le bon ordre, de votre fidélité inviolable pour le meilleur des Rois, pour le seul qui ait mérité d'être proclamé le Restaurateur de la Liberté Française. Que rien ne puisse altérer l'union que vous formez en ce jour. Remplissez avec résignation la place que la Providence vous a donnée. Vous apprendrez qu'un bonheur constant est l'apanage de la classe intéressante et laborieuse de citoyens à laquelle vous appartenez. Et pourquoi formeriez-vous des projets illégitimes et insensés ? La foudre, qui dans ce moment d'orage a éclaté sur les têtes les plus élevées, vous avertit que votre condition est la moins sujette aux revers.

"Puissiez-vous, dans là pureté du zèle qui vous anime, être soutenus par le Dieu de miséricorde que vous venez invoquer dans ce sanctuaire. Puissent tous les Fiançais imiter votre généreux exemple, concourir au voeu général par leurs sentiments patriotiques et religieux, et attirer les bénédictions du ciel sur les Régénérateurs de la patrie".

Le célébrant bénit le drapeau de la milice. Puis, le capitaine châtelain, lieutenant de juge de la seigneurie, Etienne Roujon, chargé de recevoir la prestation du serment, prononce cette allocution :
"Les fonctions de la justice sont augustes à remplir lorsque des citoyens qu'anime le bien public demandent à la Loi qu'elle consacre leur serment de fidélité pour le Prince, et qu'elle légitime leurs efforts pour assurer la tranquillité publique.
"Dans ces temps malheureux où une fausse idée de liberté a amené le désordre, la licence et le brigandage, où l'on a vu des mains coupables porter presque partout l'incendie et la dévastation, qu'il est consolant de retrouver des citoyens qui savent encore que la liberté n'est que la soumission aux loix, et qui ne veulent se consacrer à la défense de la Société qu'en reconnaissant une autorité légitime !
"Qu'il me soit permis, Messieurs, avant de recevoir vos serments, de me féliciter d'avoir été choisi par vous pour concourir à cet
acte de religion et de patriotisme. Il n'est pas de fonction plus chère à mon coeur, et j'oserai prédire que votre exemple est un
présage assuré du rétablissement de la tranquillité publique après laquelle nous soupirons depuis longtemps".

Le juge reçoit ensuite, à la manière accoutumée, le serment dont la formule, qui suit, avait été préalablement approuvée par l'assemblée :
"Nous jurons la fidélité la plus inviolable à notre Souverain légitime, l'obéissance aux lois constitutives du royaume, la
soumission à nos magistrats. Nous jurons de concourir par tous les moyens, qui sont en notre pouvoir, au maintien de l'ordre et
de la sûreté publique, et d'être prêts à verser notre sang pour la "Patrie et la Liberté".

Le serment prêté, les commandants et officiers se retirent et décident que pour manifester leurs sentiments patriotiques au Comité des trois Ordres unis de la Sénéchaussée de Lyon, il lui serait adressé une copie du procès-verbal de la cérémonie.

Le Comité reçoit cette missive en sa séance du 14 août. Il applaudit aux sentiments patriotiques qui y sont exprimés, et adresse à ses auteurs le témoignage de son entière satisfaction. Et puisque l'affirmation de ce témoignage peut servir à détruire les fâcheuses impressions qu'ont dû donner les excès auxquels se sont livrés "les brigands dans les provinces voisines", le Comité décide qu'il sera imprimé et affiché dans l'étendue de la ville et de ses faubourgs, et que des exemplaires en seront envoyés aux syndics des paroisses de la sénéchaussée.

Cependant les événements politiques se précipitaient ; la fameuse nuit du 4 août avait vu s'anéantir les privilèges seigneuriaux et supprimer les droits féodaux.

Aussi, dès le 30 août, la municipalité instruite que le seigneur, M. de Gatellier, n'était plus dans le cas de jouir des droits de justice et seigneuriaux, et par là même sans qualité désormais pour lui fournir un local de réunion, délègue son syndic, M. Charton, auprès du prieur des Augustins, pour traiter du loyer de la salle des séances dans leur claustral.

Le 18 octobre, la municipalité revendique la propriété des terrains du rempart, dit fossés et demi-lunes qu'elle déclare être de la dépendance de la communauté de Cuire-la-Croix-Rousse. Elle établit ses prétentions sur l'exposé historique que voici :

"Lorsque en 1398, le Franc-Lyonnais se mit sous la protection et sauvegarde des rois de France, il était borné au midi par les murs de la ville de Lyon qui lors étaient placés sur les bords d'un fossé joignant le canal qui servait à communiquer du Rhône à la Saône. Ce canal faisait alors partie du terrain appellé aujourd'huy les Terreaux. Ce fait est constaté par un arrêt du Conseil, du 21 août 1696, qui règle les prétentions du Roi et de la Ville par raison des biens domaniaux.

"C'est sous le règne de Louis XI, et dans l'intervalle des années 1461 à1483, que les murs de la ville furent construits où ils sont aujourd'hui. Au commencement du siècle dernier, le seigneur d'Halincourt, gouverneur et lieutenant général pour le roi à Lyon, devait fortifier la ville hors les murs du côté de la Croix-Rousse.

"Il avait déjà fait tracer et commencer les fortifications du Rhône à la Saône, au-dedans desquelles étaient enclos plusieurs fonds dépendant de la haute, moyenne et basse justice et directe du sieur De Lange, seigneur de Cuire-la-Croix-Rousse à cause de son château de Cuire, qui s'étend dans le grand fossé jusqu'aux murs de la ville et à la porte neuve appelée Saint-Sébastien-de-Cuire, même une place au-devant de cette porte où est élevée une croix de pierre et un pilier de justice, avec les panonceaux et armes du seigneur, ainsi qu'il paraît par les terriers de Cuire et par les verbaux faits par les commissaires députés pour le Roi, quand on fit construire une citadelle proche de cette porte neuve.

"M. Cropet, avocat et juge ordinaire de la juridiction de Cuire-la-Croix-Rousse, accompagné de Benoît de Mure, du procureur d'office et du greffier, vint alors. Après avoir examiné avec attention l'enceinte des nouvelles fortifications hors les murs, et la place où est la croix de pierre et le pilier de justice au devant de la porte neuve de Saint-Sébastien, qui se trouvaient enfermés dans les fortifications ; craignant, à ce sujet, que ce pilier ne fut abattu ou enlevé par les gens de guerre qui y seraient de garde, et qu'on n'arrivât à perdre la mémoire de son premier emplacement, le juge dressa un verbal, fit enlever ce pilier avec ses panonceaux, avec consentement du seigneur d'Halincourt, et le fit planter à 45 toises de distance, proche le clos des héritiers Pincetty, dit aujourd'hui le petit Louvre, ajoutant encore que cette seigneurie étend toujours sa directe jusque dans la rue Sainte-Catherine".

Il est démontré avec évidence par ce qui précède - déclara le procès verbal - que ces terrains aujourd'hui cultivés et qui ne servent plus à la fortification, sont de la dépendance et appartenance de Cuire-la-Croix-Rousse et doivent lui être restitués.

La municipalité en réclame donc la jouissance. Cette jouissance lui permettra de faire face aux diverses dépenses de son administration, sans les faire supporter aux contribuables par un impôt "qui les accableroit davantage", et d'entretenir ses chemins de 3e et 4e classes, qui deviennent chaque jour plus impraticables par le défaut de-ressources à y affecter.

Cette délibération porte la signature de M. Boulard de Gatellier qui la fait suivre, au procès-verbal, de cette mention : avec réserve de mes droits seigneuriaux comme seigneur du lieu.

A la fin de novembre, la municipalité dresse et fait afficher la liste des habitants astreints au payement de la contribution patriotique votée par l'Assemblée Nationale, sur la proposition de Necker, pour parer au déficit des finances.

Ces contribuables sont avertis, "au prône et par cri publie", d'avoir à se rendre, le dimanche 6 décembre avant midi, au bureau de la municipalité pour y inscrire leur déclaration sur le régistre à ce destiné.

Au même moment, la municipalité "informée de la misère qui règne dans la communauté", arrête qu'elle fera, à ses frais, une distribution de riz pour le soulagement des pauvres. Elle réclame contre les injustices dont ces derniers sont victimes, en ne recevant aucun secours de la ville de Lyon, alors que les habitants de la Croix-Rousse sont, comme les Lyonnais et au profit de leur ville, assujettis aux droits d'octroi.

Quelques semaines plus tard, elle adresse à l'administration supérieure une demande de secours pour 200 familles de son ressort tombées dans l'indigence par la cessation du travail qui afflige "toutes les classes de citoyens". Elle justifie cette demande par la situation particulière du bourg de la Croix-Rousse qui, voisin de la ville, est par là-même la retraite d'une infinité d'ouvriers "misérables". Ses pauvres sont donc, pour une large part, ceux de la ville. Plus, dépendant de trois paroisses, le bourg participait "à leurs bienfaits" auxquels il n'est plus admis maintenant.

Le dernier acte de notre municipalité, à la veille de disparaître, fut de protester, auprès de l'Assemblée Nationale, contre la violation des actes royaux de 1776 et 1778 qui, déclarant le bourg de la Croix-Rousse indépendant de la ville de Lyon, l'avaient exempté de tous droits appartenant à cette dernière ou au roi. Néanmoins, malgré ces stipulations formelles, les bouchers de la Croix-Rousse ont été abusivement assujettis, par les fermiers des octrois de la ville, aux mêmes droits de pied-fourché que ceux de Lyon. C'est un impôt très onéreux pour les consommateurs. Il est d'autant plus injuste que les habitants de ce bourg payent les droits de traites et foraines sur les marchandises qu'ils tirent de la ville, et qu'ils ne sont en aucune manière admis à participer aux avantages dont jouissent les habitants de Lyon.

Avant de céder la place aux administrateurs qui allaient leur succéder, les membres de notre municipalité, réunis une dernière fois, rédigèrent cette déclaration qui décèle leur amour du progrès et du bien public :
"La Municipalité n'aïant pu réaliser tout le bien qu'elle aurait désiré procurer à sa communauté, vu les circonstances difficiles où elle s'est trouvée pendant le cours de son administration, a arrêté de consigner... une invitation à la future municipalité de suivre les objets qu'elle a déjà mis au jour, et de donner naissance à ceux d'une utilité indispensable, savoir : la restitution au profit de la communauté des terreins appelés demi-lunes ; la suppression des aides et octrois ; la liberté des portes de la ville à toute heure, l'ouverture d'un chemin à voitures communiquant de Serin à la Croix-Rousse ; la réparation si désirée des chemins de la Boucle et de Cuire ; l'érection de l'église des Pères Augustins en église paroissiale ; et enfin l'institution d'une école publique et gratuite où l'on enseigne à la jeunesse les lois constitutionnelles du royaume, les langues étrangères les plus convenables, surtout la française, les mathématiques et la physique, sciences utiles aux Arts".

CHAPITRE II
1790


Nouvelle municipalité. - Dissidence entre la Croix-Rousse et Cuire. - Les citoyens actifs. - L'institut de charité. - Rôle des contributions. La Fédération de Grenoble. - Les biens ecclésiastiques situés à la Croix-Rousse. - Inventaire général des Augustins. - Inventaire des biens de la maison de l'Enfance.

Ce fut le 15 février 1790, que les électeurs de Cuire-la-Croix-Rousse, réunis dans l'église de Cuire et dans celle des Augustins, nommèrent une nouvelle municipalité, en exécution du décret du 14 décembre précédent qui établissait un régime municipal uniforme pour toutes les communes. Elle fut composée de MM. Delorme (Jean-Baptiste), maire, Léger (Anthelme), Bonamour (Benoît), Pinet (Jean-François), Defarge (Claude), Guinat (Charles), Frenel (Denis), et Chevassu (Claude-Antoine) procureur syndic.

Dès le dimanche suivant, la nouvelle administration fit célébrer, dans l'église des Augustins, une grand'messe à laquelle furent invités l'ancienne municipalité, et par voie d'affiches, tous les citoyens de la commune.

Après la cérémonie, lecture fut donnée du procès verbal de l'élection, puis les sieurs Léger, Bonamour, Saubriat, Meyrel, Viannais et Caussanel prêtèrent le serment de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution du royaume, d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de bien remplir leurs fonctions. Et pour clore cette entrée en possession, une adresse d'adhésion fut envoyée àl'Assemblée Nationale

A ce moment, apparaissent les premières manifestations d'une scission qui devait aboutir à l'annexion d'une partie de notre commune à une commune voisine.

Nous avons exposé ailleurs les causes qui avaient amené une véritable antipathie entre les habitants de la section de Cuire, exclusivement agricoles, et ceux de la Croix-Rousse proprement dite, plutôt industriels et commerçants. L'établissement du nouveau régime municipal servit d'occasion au conflit pour éclater au grand jour.

Sans attendre l'ordre officiel des opérations électorales, les habitants de Cuire s'étaient donné une administration communale qui comprenait le maire Louis Ruby, Jean Nugues, Jean Guy, Christophe Nugues, procureur syndic.

Les dissidents, il faut le reconnaître, pouvaient croire que la séparation était admise en haut lieu puisque, dans la nouvelle division territoriale du pays, le Comité des députés de la province à l'Assemblée Natiopale avaient attribué Cuire au district de la Campagne, et au canton de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, tandis que le district de Lyon comprenait la ville et ses faubourgs. Mais la Croix-Rousse n'admettait pas cette distinction. Elle voulait le maintien de l'intégralité primitive, et sa municipalité allait faire entendre, à cet égard, des réclamations répétées.

Dès le 25 février, ayant reçu les pièces nécessaires au dénombrement des biens ecclésiastiques situés sur son territoire, et, vu (da nécessité d'aller au-devant des obstacles que l'administration pourroit éprouver de la part des habitants de la communauté "qui résident sur l'annexe de Vaise", la municipalité décide l'envoi d'un mémoire à l'Assemblée Nationale pour la prier de mettre fin à cette dualité.

Le Comité de constitution y ayant répondu favorablement, le maire annonça que "pour faire cesser l'exercice de toute municipalité dans le quartier de Cuire" il avait communiqué la décision du Comité aux administrateurs dissidents Louis Ruby et Christophe Nugues. Ceux-ci étaient invités à se rendre à la séance communale du 16 mars, mais ils ne vinrent pas.

La municipalité de la Croix-Rousse décida donc que notification serait faite de la dite décision à chacun des officiers municipaux de Cuire, en les invitant às'abstenir désormais de toutes fonctions.

Cette mise en demeure demeura sans effet, le résultat espéré ne fut pas atteint.

Dans la séance - 28 février - du Conseil général de la commune, composé des officiers municipaux et des notables, le maire fait part des décrets réglant le mode de formation des Assemblées de Département et de District. Comme ces décrets exigeaient qu'un tableau fût dressé, au préalable, des citoyens actifs le corps municipal estimant que dans une communauté agricole, il faut appeller à la qualité de citoyens actifs autant que possible tous "leurs habitants", arrête que la journée de travail serait comptée pour la valeur de 10 sous, et que le tableau serait établi d'après cette fixation.

Puis il répartit en six divisions la milice nationale alors existante : une dans le quartier de Serin, une dans celui de Saint-Clair, une dans la partie haute de la paroisse Saint-Vincent, une dans le quartier proprement dit de la Croix-Rousse, une dans le quartier de Cuire, et une enfin dans le quartier du Chapeau-Rouge et Margnolles. Chacune de ces divisions aura un capitaine, deux sergents, quatre caporaux, et toutes prendront les ordres du commandant en chef de la milice.

Le sieur Bonamour ayant annoncé qu'il s'était formé, dans la commune, une association patriotique sous le titre d'Institut de charité pour le soulagement des pauvres, et dont il était trésorier, déclare faire hommage à la municipalité des règlements de cette société, et la prie de lui accorder son concours. La municipalité accepte aussitôt.

Le 19 mars la municipalité arrête le rôle de la contribution patriotique, pour le remettre à la Commission intermédiaire. La somme totale en est de 7.032 livres que les souscripteurs se sont engagés à acquitter en trois versements.

Elle confie aux sieurs Louis Giraud et Pierre Huit, collecteurs de la précédente municipalité, la charge d'opérer le recouvrement de l'impôt des vingtièmes pour la présente année

Le 18 avril, le sieur Bühl, un des députés de la garde nationale de la Croix-Rousse à la Fédération de Grenoble, rend compte de l'accueil qu'ils ont reçu de Messieurs les Grenoblois et de tous ceux qui s'étaient rendus en leur camp, ainsi que partout sur "leur passage".

Le 25 avril, le sieur Louis Ruby, maire de Cuire et membre, en même temps, de la municipalité de la Croix-Rousse, est invité par cette dernière à collaborer avec elle à la formation de la liste des citoyens actifs de la commune.

Quelques mois auparavant, l'Assemblée Nationale avait voté la spoliation de l'Eglise de France dont les propriétés étaient déclarées biens nationaux. Les municipalités reçurent mandat d'en dresser un état détaillé.

Celle de la Croix-Rousse commit, le 25 février, deux de ses membres, MM. Bonamour et Léger, pour effectuer le dénombrement de ceux de ces biens et revenus qui étaient situés dans son ressort.

Le 9 mai, les deux commissaires en remirent le tableau à l'administration municipale qui, après l'avoir reconnu sincère, l'adressa au Bureau intermédiaire de Lyon.

Voici, in-extenso, le relevé porté au dit tableau.

"BIENS ECCLÉSIASTIQUES SITUÉS DANS LE RESSORT DE LA MUNICIPALITÉ DE CUIRE-LA-CROIX-ROUSSE, CONTENANT AU TOTAL 198 BICHERÉES ET DEMIE ÉVALUÉES PAR LA MUNICIPALITÉ, Y COMPRIS LES IMMEUBLES, A LA SOMME DE 248.000 LIVRES.

"Domaine appartenant à l'Institution de l'Oratoire de Lyon :
Chapelle
Bâtiment à l'usage

Autre pour le granger affermé : 500 livres.
2 2/3 bicherées vigne
7 1/3 bicherées jardin
10 bicherées clos de hayes en partie : 12.000

"Fief de Montessuit appartenant à l'Hôpital général de Lyon :
Bâtiment à l'usage des Soeurs
Autre pour le granger
2 bicherées jardin clos de hayes
33 bicherées vigne
Livres 35 bicherées : 24.000

"Domaine appartenant à l'hôpital général de la Charité de Lyon
Maison de deux pièces au rez-de-chaussée et deux au premier étage, en très mauvais état.
6 1 /2 bicherées terre, affermé 300 livres : 5.000

"Domaine de la Carrette appartenant au séminaire de Saint-Irénée de Lyon :
Bâtiment à leur usage
Bâtiment du granger
12 bicherées allées et promenades
2 1/4 bicherées jardin
1 1/4 bicherées bois
10 bicherées vigne
5 1/2 bicherées balme en friche
31 bicherées : 15.000

On doit une rente annuelle au seigneur direct de 50 livres.

"Domaine appartenant aux Grands-Carmes de Lyon :
Un grand bâtiment
Une écurie affermés : 650 livres
8 bicherées jardin clos de murs : 10.000

"Domaine de l'Enfance appartenant au séminaire de Saint-Charles de Lyon :
Grand bâtiment pour les femmes en démence
Autre pour l'éducation des jeunes demoiselles
Une grande chapelle
5 1/2 bicherées jardin affermé : 300 livres
17 bicherées vigne
Livre 22 1 /2 bicherées : 80.000
Autre maison pour l'école des pauvres
23 bicherées jardin affermé : 208 livres

"Domaine appartenant aux missionnaires de Saint--Joseph de Lyon :
Bâtiment à leur usage
Bâtiment pour le fermier
Autre bâtiment côté de la rue Saint-Pothin
16 bicherées allées et jardin clos de murs
32 bicherées terres sans clôture
48 bicherées affermé : 1.000 livres

Total : 32.000

"Domaine de Saint-julien appartenant au Collège de la Trinité de Lyon :
Deux corps de bâtiment à leur usage
Une chapelle
Un bâtiment pour le granger
Ecurie
6 bicherées en terrasse, allées garnies de tilleuls et un bois
10 bicherées jardins et vignes
4 bicherées balme en friche
20 bicherées clos de murs, excepté la balme affermé : 400 livres

Total : 32.000

"Le Bureau du collège a donné la jouissance de ce domaine aux PP. de l'Oratoire, pour 500 livres à compte de leurs honoraires.
Prébende des jardiniers

"Titulaire, M. Nicolas Navarre, sacristain et curé de l'église collégiale de Saint-Nizier, âgé de 75 ans :
Petite maison du fermier
10 bicherées jardin clos de murs affermé : 504 livres

Total : 8.000

"Augustins Réformés de la Croix-Rousse :
Bâtiments à leur usage
Une grande église pour être paroisse
9 bicherées terre, clos de murs, affermé : 360 livres
2 bicherées jardin, clos de murs, à leur usage
1/4 de bicherée autre jardin
11 1/4 bicherées : 30.000

Total des bicherées : 198 ½
Total : 248.000

La bicherée contient 11.025 pieds carrés, ou 1.764 pas carrés de 2 1 /2 pieds le pas. Le pied de la ville de Lyon a 7 1/2 lignes de plus que le pied de Roy.

RENTES ANNUELLES DUES AU CLERGÉ DE LYON

"Au Chapitre de Saint-Jean
Livres sous deniers
Servis argent fort : 1 1. 2 S. 2 2 /3 d. d'obole, réduits à 11610 lods et milods, année commune 600
pensions dues :
par Champin, 15 liv.
par Rubi, 8 liv.
par Vivien, 50 liv.
par Voyant, 15 liv.
par M. Rouliet 88 liv.
Sur 3 bicherées vigne, 4 liv.
Servis portant lods et milods, 2 deniers
Pareille rente, 7 liv. 2 deniers
par Madame Constant de la Roche
2 ânées vin de service à 8 livres l'ânée

"A l'abbé d'Ainay :
Livres sous deniers
Dixme affermée : 1.000

"Au Chapitre de Saint-Paul
Servis annuels : 42 : 19
Dixme : 240 : 18
Pensions dues :
Par Nesme, Biorne et Lavavre : 60
Par Colaud : 15

"Au prieuré de la Platière :
Servis annuels

"Par les Pères Augustins réformés, pour l'homme vivant et mourant

"Au Sacristain de la Platière :
Dixme affermée
Rente foncière par Benoît Cadis pour 2 1/2 bicherées de terre
Total : 2.276 livres, 15 sous, 11 1/8 deniers.

En conséquence du nouvel ordre de choses, les fermiers de ces biens étaient tenus d'en acquitter désormais le loyer dans la caisse du District.

Sur le total de 248.000 livres en capital représentant les biens nationaux sis à la Croix-Rousse, la municipalité se porta soumissionnaire pour une somme de 208.000 livres représentant un revenu de 2.289 livres.

Mais il fallut en distraire les biens de l'Oratoire, de l'Hôpital, de la Charité, du séminaire de Saint-Charles et des missionnaires de Saint-Joseph dont la vente était ajournée, en sorte que la soumission fut réduite à 90.000 livres. Elle fut autorisée par décret de l'Assemblée Nationale du 15 décembre 1790.

Le 15 mai, le maire de la Croix-Rousse, Jean-Baptiste Delorme, se transporte chez les Augustins et procède à un inventaire général. Il paragraphe les régistres de comptes, et déclare comme suit la situation financière de la communauté.
Livres
Pensions annuelles (pour fondations de messes, etc.) : 127
Domaine à loué : 1.200
Domaine à Meximieux, loué : 300
Domaine à Cuire-la-Croix-Rousse, loué : 360
Domaine à Ampuis (que les religieux font valoir) : 500
Total : 2.487
(Les Augustins paient annuellement 2.118 livres de rentes viagères pour 32.145 livres de capitaux reçus).

Le récolement de la bibliothèque, opéré le même jour y constate l'existence de :
903 volumes in-f°,
365 volumes in-4°,
568 volumes in-8°,
846 volumes in-12°,
en tout 2.682 volumes.

Il ne s'y trouvait ni manuscrits, ni livres précieux.

Le 20 juillet, la municipalité mande, à l'administration du district qu'il existe une maison d'éducation appellée l'Enfance dirigée par un bureau particulier d'administration charitable.

Elle lui demande si elle doit exiger la remise des comptes de cette administration, et exercer une surveillance particulière sur cette maison destinée, non seulement à l'éducation des jeunes demoiselles, mais encore à servir de lieu de sûreté pour les femmes insensées. Huit jours plus tard, le Directoire du district répondait par l'ordre à la municipalité de procéder à l'inventaire des biens et appartenances de la maison de l'Enfance, en vertu de l'article 8 du décret du 18-23 juin.

Cette formalité fut accomplie les 11 et 18 août. La municipalité se livra àune investigation des plus minutieuses, ainsi qu'en témoigne son procès-verbal.

Nous reproduisons ce document, malgré sa longueur, en raison des intéressants détails qu'il révèle, et de l'exacte physionomie qu'il donne de cet établissement :

INVENTAIRE DE LA MAISON DE LENFANCE

"Benoît Bonamour, premier officier municipal faisant les fonctions de maire en son absence, Anthelme Léger, Claude Defarge, officiers municipaux, Claude-Antoine Chevassu, procureur-syndic de la commune et Guillaume Omelle, secrétaire, se sont transportés, le 11 août 1790 à la maison de l'Enfance, paroisse de Saint-Vincent.

"S'y sont trouvés : MM. Henry Jordan l'aîné, Jean Riche, chanoine de Saint-Nizier, administrateurs députés de leur Bureau et commissaires pour assister aux opérations. En présence des Demoiselles Etiennette Richard, économe de ladite maison, Françoise Fertaud, Pierrette Dupuis, Michelle Annequin, Françoise Corraud, économe de la petite pension, Angélique Perrin, Anthelmine Marjollet, Jeanne-Marie Grand, Marie-Placide Miêge, Marie Got et Jeanne Berthony, Soeurs destinées à la direction et desserte de la dite maison, dépendantes de la communauté des Soeurs de Saint-Charles de Lyon.

"Nous avons interpellé MM. les Administrateurs... quelle est l'institution de cette maison ? Ont répondu qu'elle a deux destinations : 10 servir d'infirmerie pour les personnes du sexe en démence, présentées et reçues librement ; 20 pour éducation des jeunes demoiselles. Le tout sous l'administration du Bureau des Petites Ecoles et Séminaire de Saint-Charles de Lyon.

"Avons interpellé de remettre les titres de fondation ou d'achat des dépendances de ladite maison. Ont répondu qu'ils sont au Bureau de Saint-Charles. On les cherchera et on les remettra le mercredi 18 courant.

"Interpellé de remettre les livres de régie. Répondu qu'il y a deux régies différentes, l'une pour le sexe en démence, l'autre pour la pension d'éducation des demoiselles.

Les dits livres immédiatement communiqués, il en résulte que, pour la petite pension des jeunes filles, la recette d'un an (avril 1789 à avril 1790) a été de 15.381 livres soit 15 deniers
la dépense pour la même période a été de 11. 368
soit un excédent de recettes de 4.012 livres soit 17 deniers

Il s'est trouvé :
Dans la chapelle : un calice, un petit ostensoir, un petit ciboire, 2 paires de burettes, le tout en argent, compris les bassins des burettes, 7 chasubles de diverses couleurs, dont 5 garnies en or, 2 en argent, 4 autres chasubles très mauvaises garnies en Soie, 2 chappes étoffe soie garnies en or, une étole pastorale garnie or, 12 aubes bonnes ou médiocres, 5 surplis, 12 nappes d'autel, 6 chandeliers, une croix, 4 urnes, une lampe, un encensoir et sa navette, le tout en... ? ; 4 chandeliers cuivre, 6 devants d'autel, 5 tableaux avec leur cadre doré de peu de valeur.

Dans les appartements de la grande pension : 20 lits garnis, 18 petites tables bois de chêne, 3 grandes tables bois sapin, une grande table de cuisine bois de chêne, 24 chaises bois de chêne, 36 chaises recouvertes en... ? ; 10 douzaines assiettes d'étain, 6 douzaines d'écuelles, 2 douzaines de plats, le tout de même métal. Un alambic, une baignoire avec son cylindre, 2 petites pompes, le tout cuivre, 150 paires de draps, 800 serviettes, 500 petits tabliers de cuisine, 200 grands tabliers, 50 tabliers pour les Soeurs, 100 nappes, 120 essuye-mains. Une table-bureau, 4 petites commodes avec leur garniture cuivre.

Dans les appartements de la petite pension : 9 tables bois noyer, 5 autres plus petites même bois, et 5 autres bois sapin dans le réfectoire, une à la lavandière et 3 à la lingerie, 18 bancs tant dans les salles qu'à la chapelle et à la cuisine, 5 tables en forme de pupitre à dessiner, 3 douzaines de chaises garnies en jonc et 3 en bois, 3 armoires bois noyer, 81 lits garnis dont 32 ont des rideaux en cotonne, une pendule, une commode bois noyer garnie cuivre, 11 douzaines assiettes et 6 douzaines écuelles, le tout en étain, 2 baignoires et un cylindre cuivre, 114 paires de draps, 72 grandes nappes, 36 petites nappes, 30 douzaines de serviettes, 110 essuye-mains, 130 frottoirs, 640 tabliers de cuisine, 10 douzaines de fausses-manches, 41 sacs, 3 charrières (?).

Les Administrateurs ont déclaré n'avoir ni argenterie, médailles ou bibliothèque. Avons reconnu que l'établissement pouvait loger 130 personnes tant grandes que petites, y compris les domestiques.

Les Administrateurs ont déclaré qu'ils avaient 30 insensées au pensionnat de la grande maison.

Les Soeurs ont déclaré que leur régime est une simple congrégation destinée à l'éducation des enfants pauvres, sous l'inspection du Bureau de Saint-Charles ; qu'elles ne font point de voeux, qu'elles sont entretenues et salariées aux frais de ladite administration.

Titres de propriété (soumis le 18 août).
1° Acte de donation entre vifs, le 26 mai 1746, par Pierre-Philippe Bourlier, chevalier, seigneur d'Ailly, etc. en faveur du Bureau des écoles des pauvres du séminaire de Saint-Charles, d'une maison à la Croix-Rousse, appellée de l'Enfance, et d'un contrat de rente annuelle et perpétuelle de 82 livres 10 sols, au capital de 3.300 livres, par acte du 19 novembre 1714.

2° Quittance de la somme de 600 livres, par Mme de Sève, Dame de la Croix-Rousse, en faveur du sieur Bourlier, tant pour le milod échu que pour la première invitation, 11 mai 1723.

3° Donation entre vifs, le 22 août 1746, par Demoiselle Marie-Clémence Petit, en faveur dudit Bureau, d'une maison et dépendances à la Croix-Rousse, territoire des Terres-Noires, paroisse de Saint-Vincent.

4° Sentence d'adjudication par décret de la Sénéchaussée, du 4 février 1747, en faveur du Bureau des Ecoles, d'une maison et dépendances située à la Croix-Rousse, saisie à la requête de Claude George, jardinier, et de Madeleine Grospierre, sa femme, sur Jeanne Ferlat, héritière de Reymond Grospierre, au prix de 2.230 livres.

5° Vente d'un passage en faveur du sieur Pierre Burel, par Reymond Grospierre, 25 mars 1739. Le 24 novembre 1747, 199 livres en faveur des écoles des pauvres de Saint-Charles, par Pierre Burel. Communication du droit de passage au Bureau des Ecoles, par sieur Jean-Claude Leprêtre, le 16 août 1751.

6° Acquisition d'un domaine audit bourg, au prix de 12.000 livres, par M. joseph Dupuy (?) en faveur de M. Jean-Baptiste Gay, le 2 juin 1753.

7° Donation d'un domaine audit bourg, par Jean-Baptiste Gay, en faveur des écoles et séminaire de Saint-Charles, le 7 août 1755.

8° Lettres-patentes du roi autorisant ledit Bureau de Saint-Charles à accepter une donation et acquérir un emplacement, octobre 1754.

Réitéré aux Administrateurs de montrer les personnes détenues pour démence, et dire s'ils en ont de détenues par lettres de cachet. (Décret de l'Assemblée Nationale du 26 mars 1790) ? Ont répondu que MM. les juges royaux faisaient leur diligence à cet égard. Ont déclaré cependant qu'ils ont une pensionnaire "détenue par lettre de cachet, mais pour cause de démence".

Notre municipalité, on le voit, s'était acquittée en conscience de sa mission. Aussi reçut-elle, le 7 septembre, les félicitations du Directoire du district pour le zèle et l'intelligence qu'elle avait apportés aux inventaires effectués chez les Augustins et dans la maison de l'Enfance.

CHAPITRE III
1790 (suite)


Les impôts de 1790. - La fête du 14 juillet. - Dispersion des Augustins. -Nomination d'un commissaire de police. - Taxe du pain. - Réglements de police générale. - Prestation de serment. - Suppression de la justice seigneuriale. - Etablissement de la justice de paix. Situation générale à la fin de l'année 1790.

Dans un autre domaine qui touchait de plus près aux intérêts immédiats des citoyens, celui des impôts et contributions, les solutions ne se faisaient pas aussi faciles.

On a vu plus haut les protestations de l'ancienne municipalité contre le taux et l'emploi des taxes imposées à ses commettants pour l'année 1789. L'élaboration des impôts pour 1790 allait à nouveau susciter les récriminations.

Dès le 24 mars, notre municipalité déclare ne pouvoir procéder à la répartition de la capitation avant qu'il n'ait été prononcé sur une réclamation, adressée à l'Assemblée Nationale, par la province du Franc-Lyonnais. Cette réclamation visait la fixation, par la Commission intermédiaire, d'une imposition plus que double de la capitation ordinaire : sous des dénominations inconnues "et inusitées dans ladite province".

Le 27 avril, elle formule l'observation suivante : le rôle de répartition des taxes pour l'années 1790 est irrégulier, parce que la surcharge imposée aux municipalités du Franc-Lyonnais est contraire aux décrets de l'Assemblée Générale. Celle-ci avait ordonné que les impositions seraient levées, pendant la présente année, de la même manière que précédemment, jusqu'à ce qu'elle puisse faire jouir les contribuables du nouveau mode d'imposition qu'elle ordonnera pour l'année 1791.

De fait, ajoute la municipalité, la taille était nominalement le seul impôt auquel le Franc-Lyonnais ne fût pas assujetti, mais la capitation y était représentative de la taille, et portait à la fois sur la tête et sur les biens. Elle était proportionnée aux contributions du reste du département.

En conséquence, et dans sa séance du 11 mai, notre municipalité considérant que les besoins de l'Etat nécessitent la prompte perception de l'impôt, arrête que, pour obéir aux décrets de l'Assemblée Nationale, cette "loi suprême", elle allait incessamment établir les rôles comme ils l'étaient pour l'année 1789.

Ces rôles furent envoyés au District le 20 juillet. La municipalité l'informait, en même temps, qu'aucune réponse n'avait encore été faite au mémoire adressé à la Commission intermédiaire, et à l'Assemblée Nationale, par les paroisses de l'ancien Franc-Lyonnais concernant l'augmentation du taux de la capitation pour cette année.

Le 5 août, le District invitait la municipalité de Neuville à se concerter avec celle de la Croix-Rousse pour rédiger un mémoire sur le chiffre de l'imposition arbitrairement fixé, par l'ancienne Commission intermédiaire, sur les paroisses de l'ancien Franc-Lyonnais. Et cela, avec d'autant plus de hâte que déjà le district de la Campagne avait émis un avis défavorable.

Cinq jours plus tard, notre municipalité était informée par le District que sa requête recevait satisfaction. Ses impositions, pour 1790, étaient réduites au taux de 1789, soit - en plus des vingtièmes pour lesquels il ne paraît pas qu'il y ait eu réclamation - 4.706 livres pour la capitation, et un supplément de 1.216 livres 16 sous denier, représentatif de la corvée.

Il y avait encore l'impôt dû par les ci-devant privilégiés dont les prérogatives fiscales avaient été sacrifiées, par leurs représentants à la Constituante, dans la fameuse nuit du 4 août.

Pour Cuire-la-Croix-Rousse, cet impôt s'élevait au chiffre de 431 livres. Le rôle en fut remis par la municipalité, le 27 septembre aux deux collecteurs déjà chargés du recouvrement des autres contributions.

Quant à la contribution patriotique, maintenant obligatoire, il y avait négligence chez plusieurs à faire la déclaration prescrite. Aussi la municipalité dut-elle les rappeler à ce devoir. Il faut croire que cet appel ne fut pas entendu de tous les intéressés car, le 5 décembre, le Conseil général de la commune invitait derechef les retardataires à se mettre en règle. Ceux qui auraient fait une déclaration insuffisante étaient tenus de la rectifier, et dix commissaires vérificateurs étaient nommés à l'effet d'assurer l'exactitude des inscriptions.

Ces démêlés, néanmoins, n'empêchaient pas notre population de partager l'enthousiasme général qu'excitaient les événements politiques, de même qu'elle se livrait aux espérances d'un avenir meilleur qui devait naître des réformes dont chacun attendait la prochaine réalisation.

Déjà la garde nationale de la Croix-Rousse avait manifesté l'ardent désir de prendre part à la fête fédérative de Lyon, le 30 mai. Afin de la pourvoir des armes nécessaires pour lui permettre d'y paraître dignement, la municipalité avait dû conclure en hâte un emprunt de 2.200 livres pour l'achat de 112 fusils, à Saint-Etienne.

Mais l'exaltation de la population éclata surtout au 14 juillet, jour où le serment civique était solennellement prononcé à Paris, au nom de la France entière, par des députations de toutes les parties du royaume, en présence du roi et de quatre cent mille spectateurs.

Dans chaque commune, une cérémonie analogue était célébrée au même moment, comme pour mieux marquer l'unanimité des mêmes sentiments dans l'union des coeurs.

A la Croix-Rousse l'allégresse fut grande, et nous pouvons juger du degré de surexcitation où les esprits se portèrent, par la lecture du procès-verbal de la fête :
"Après la célébration de la messe, et en présence d'une multitude de citoyens de tout âge et de tout sexe qui répétaient en choeur les acclamations qu'il renferme, le discours prononcé "par le procureur de la commune a produit un effet dont la lecture ne peut donner qu'une bien faible idée.....

"Chers concitoyens,
Les annales du monde n'ont jamais présenté à l'admiration de la terre un tableau aussi magnifique et aussi imposant que celui que la France entière offre en ce beau jour aux nations étonnées.

"Le peuple innombrable qui couvre son immense surface a, dans ce moment, les mains levées vers le Ciel pour exprimer un seul désir, celui de la paix et de la concorde ; une seule volonté, celle du bien général ; un seul sentiment, l'amour de la Patrie. Toutes les voix prononceront le serment d'être fidèles à la Nation la plus généreuse de la terre, aux Lois les plus analogues à la justice éternelle, au meilleur des Rois qui ait été l'objet de l'amour et de la vénération des peuples.

"Citoyens, citoyennes, enfants, vieillards, unissons nos voeux à ceux de tous les Français. Comme eux, faisons retentir les airs de cette acclamation Vive la Nation Vive la Loi Vive le Roi !

"Le peuple répète Vive la Nation Vive la Loi Vive le Roi !

"Que, dans vos moments d'allégresse, vos premiers hommages s'adressent à l'Auteur de l'univers. Que sa toute-puissance soit l'objet de nos louanges. Tout plie sous son empire. C'est Lui qui permet les biens et les maux suivant les principes de sa sagesse éternelle et immuable. Il nous a délivrés de l'humiliante oppression sous laquelle nous avons gémi. Que ses bienfaits soient l'objet de notre reconnaissance ! Etre des êtres, Roi des rois, que ton nom soit loué à jamais ! Ecoute nos prières, entends les cris touchants de nos concitoyens qui, les bras levés vers le ciel, répètent avec moi du fond de leur coeur : Dieu tout-puissant, protège notre Patrie !

"Le peuple répète : Dieu tout-puissant, protège notre Patrie ! Ah ! nous sentons combien il est doux d'avoir une patrie. C'est une mère tendre qui chérit tous ses enfants, qui sourit en leur faisant du bien, qui soupire quand elle est forcée de les punir... Heureuse et mille fois heureuse la Nation française d'avoir enfin éprouvé, à ce doux nom de patrie, cette émotion salutaire qui l'a réveillée de sa funeste léthargie. 0h nation la plus sensible de la terre ! Sois aussi la plus heureuse ! Nous sommes fiers de t'appartenir, ta prospérité sera toujours l'objet de nos voeux, comme le but de nos travaux ! Vive la Nation !

"Le peuple répète : Vive la Nation !

"Et pourquoi ne nous honorerions-nous pas d'être Français puisque les Français vont être gouvernés par les lois les plus justes ? Chers concitoyens, nous ne verrons plus le pouvoir arbitraire attenter à nos biens, à nos droits et à notre liberté. Nous ne verrons plus un petit nombre de bas protégés et de vils intrigants envahir le fruit de nos sueurs et de nos peines. Nous ne verrons plus de simples préposés à la perception de l'impôt s'engraisser de notre substance. Nous ne verrons plus les premières places accordées au hazard de la naissance ou vendues au riche corrompu. Nous ne verrons plus les ressources du pauvre, de la veuve et de l'orphelin livrées à l'insatiable avidité de la chicane. La Loi devient enfin la conservatrice de nos droits. Vive la Loi !

"Le peuple répète : Vive la Loi !

"C'est au chef suprême de notre Nation que nous sommes redevables de l'heureuse révolution qui ramène le règne des bonnes lois de la liberté. C'est lui qui a rendu à la Nation toute sa splendeur. Ce digne rejeton du bon Henri a voulu s'environner de son peuple pour travailler avec lui an grand ouvrage de sa régénération.

"Il ne veut plus accorder sa confiance qu'à ceux qui s'occuperont avec lui du bonheur de son peuple. Vive le Roi !

"Le peuple répète : Vive le Roi !

"Oh oui ! qu'il règne, ce bon Roi ! qu'il soit à jamais le modèle des grands princes ! Qu'il soit longtemps le témoin du bonheur des Français !

"Le peuple : Vivent nos pères ! Vivent nos mères ! Vivent nos enfants ! Vivent nos soldats citoyens ! Vivent notre bon maire et nos officiers municipaux !

"Si les sentiments que nous manifestons en ce grand jour nous sont chers, jurons de les conserver jusqu'à notre dernier soupir !

"Le peuple : Nous le jurons !

"Jurons de rester fidèles à la Nation, à la Loi, au Roi, et de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le Roi !

"Le peuple : Nous le jurons !

"Jurons de protéger de tout notre pouvoir, et conformément aux lois, la sûreté des personnes et des propriétés !

"Le peuple : Nous le jurons !

"La libre circulation des grains ! La perception des impôts sous quelque forme et dénomination que la loi la prescrive !

"Le peuple : Nous le jurons !

"De demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la Fraternité !

"Le peuple : Nous le jurons !

"Citoyens, respectons nos serments ; le Ciel punit les parjures.

Les citoyens de la Croix-Rousse ont, pendant toute la journée du 14 juillet, conservé la douce émotion qu'ils ont éprouvée pendant la cérémonie du serment. Cette fête a été pour eux la fête d'un peuple qui commence à goûter les charmes de la liberté et l'espérance des biens qu'elle procure, d'un peuple que son amour pour le travail a préservé de la corruption. Pendant toute la journée de cette fête vraiment civique, au milieu des danses les plus animées, chacun répétait avec délices les acclamations de Vive la Nation ! Vive le Roi ! Vivent nos pères ! Vivent nos mères ! Vivent nos enfants !

La nuit a séparé les citoyens et réuni les familles particulières, chacune autour d'une table où présidait la gaîté, où l'on se rendait compte des jouissances de la journée, et où les sentiments de la nature, reprenant toute leur énergie, donnaient un nouveau prix aux doux noms de père, de mère, d'enfant et d'époux".

Le décret du 13-19 février prohibait les voeux monastiques et permettait aux religieux et religieuses de sortir de leurs couvents faisant une déclaration à la municipalité. A ce moment, nos Augustins étaient au nombre de treize, soit neuf Pères et quatre Frères.

C'étaient les Pères :
Patrice Labat, prieur.
Constantin Plagniard.
Alexis Pellin.
Camille Larivoire.
Basile Célard.
Gabriel Bidal.
Benoît Latreille.
Vivant Cirlot.
Elisée Renaud.

Les Frères :
Georges Tissot.
Epiphane Poncet.
Marc Durand.
Charles Plantier.

Tous déclarèrent vouloir quitter la vie commune. Mais leur départ ne s'effectua que successivement.

Voici l'état civil et religieux de la plupart d'entr'eux.
Pères :
- LABAT (Pierre) fils de Jean et de Marie Bompart. Né à Clermont-Ferrand, baptisé dans l'église paroissiale et collégiale Notre-Dame-du-Port, de cette ville, le 20 juillet 1725. Vêture, le 6 mai 1742. Profession, le 7 mai 1743. En religion : Mathias de Saint-Patrice.
- PLAGNIARD (Charles) fils de joseph, marchand teinturier en soie à Lyon, et de Marie Audras. Né à Lyon et baptisé dans l'église Saint-Nizier, le 2 avril 1742. Vêture, le 19 septembre 176o. Profession, le 30 septembre 1761. En religion : Constantin de Saint-Joseph.
- PELLIN (Pierre-Alexis) fils d'Alexis, marchand épicier et bourgeois de Lyon, et d'Eléonore Allard. Né à Lyon, le 25 février 1732, baptisé le lendemain dans l'église Saint-Pierre-et-Saint-Saturnin. Vêture, le 15 mai 1747. Profession, le 16 mai 1748. En religion : Simon de Sainte-Eléonore.
- LARIVOIRE (François-Marie) fils de Barthélemy, marchand de soie, et de Marie Barban. Né à Lyon, et baptisé dans l'église SaintNizier le 12 août 1727. Vêture, le 24 août 1743. Profession, le 25 août 1744. En religion : Camille-Etienne de Sainte-Julie.
- CÉLARD (Pierre), fils d'Antoine, maître guimpier, et de Jeanne Chavarot. Né à Lyon le 20 décembre 1729, baptisé le lendemain dans l'église Saint-Nizier. Vêture, le 11 septembre 1747. Profession, le 12 septembre 1748. En religion : Basile de Sainte-Jeanne.
- BIDAL (Pierre-joseph) fils de Claude, maître chirurgien juré de Lent-en-Dombes, et de Françoise Mignot. Né à Lent le 11 mars 1736, baptisé le lendemain dans l'église paroissiale. Vêture, le 11 août 1754. Profession, le 12 août 1755. En religion : Gabriel de Sainte-Françoise.
- LATREILLE (Hector), fils de Hilaire, marchand fabricant en soie, et de Catherine Bègue. Né à Lyon et baptisé dans l'église Saint-Pierre-et-Saint-Saturnin le 1er décembre 1739. Vêture le 8 décembre 1754. Profession, le 9 décembre 1755. En religion : Bendit de Sainte-Catherine.
- RENAUD (Claude), fils de Jacques, tireur d'or à Lyon, et de Marguerite Revel. Né à Lyon, le 23 février 1748, baptisé le lendemain dans l'église Saint-Nizier. Vêture, le 12 juin 1759, Profession, le 12 juin 1760. En religion : Elisée de Sainte-Catherine.

Frères :
- TISSOT (Jean-François), fils de Jean-Louis, laboureur, et de Calise. Né à Evire en Savoie, le 18 octobre 1739 et baptisé le même jour. Profession, le 10 avril 1772. En religion : Georges de la Vierge Marie.
- PONCET (Marin), fils de Jean, voiturier à Villevert, paroisse d'Albigny en Lyonnais, et de Jeanne Pillon. Né à Albigny le 22 mars 1727, baptisé dans l'église paroissiale. Vêture, le 6 octobre 1754. Profession, le 7 octobre 1755. En religion : Epiphane de Sainte-Jeanne.

Le P. Elisée Renaud parait avoir été un des premiers à user de sa liberté. Il adresse à la municipalité, le 17 octobre, une requête à l'effet d'être autorisé à retirer ses effets mobiliers, déclarant "cesser la vie commune à raison du dépérissement de sa santé, pour vivre en son particulier, en honnête citoyen soumis à tous les décrets de l'Assemblée Nationale". Cette autorisation lui fut accordée.

Voici l'inventaire qui fut dressé du mobilier du P. Renaud, et qu'il signa pour décharge :
Dans la chambre : un bois de lit sur lequel un sac de paille, deux matelas, deux couvertures laine blanche, une paire de draps toile ménage, un traversin plume, une alcove avec ses rideaux toile peinte et une suspente au-dessus, un mauvais prie-Dieu, un placard bois sapin fermant à quatre portes, une mauvaise commode bois noyer avec ses garnitures cuivre à trois tiroirs, une petite table bois noyer, trois chaises garnies, un fauteuil à bras recouvert en mauvaise zibeline.
Dans le bûcher : un moule environ de bois à brûler, un placard à deux portes et une bibliothèque, le tout bois sapin, un rideau de porte avec la tringle, conforme à ceux de l'alcove.

Cependant l'administration municipale fait de son mieux pour donner satisfaction aux intérêts de ses mandants, et assurer la sécurité publique.

Elle nomme, le 11 mai, au poste de commissaire et huissier de police, avec un traitement annuel de 72 livres, le sieur Charles Burigniot "déjà sergent de diverses juridictions".

Le procureur de la commune ayant représenté "que la Providence venait d'accorder aux voeux des Français une abondante récolte, de laquelle résultait déjà une diminution très considérable sur le prix des grains", l'administration municipale édicte le règlement qui suit, portant taxation du prix de pain (20 juillet).

ART. 1
Les boulangers de la commune continueront à fabriquer les trois qualités de pain connues sous le nom de pain bis, pain forain et pain blanc, en quantité suffisante pour les besoins des citoyens.

ART. 2
Le pain sera de bonne qualité, surtout le pain bis destiné particulièrement pour la classe indigente, sous peine de 50 livres d'amende contre les contrevenants, et de confiscation du pain qui se trouverait de mauvaise qualité.

ART. 3
Le prix du pain sera fixé, à commencer demain, savoir Le pain bis à 2 sous 3 deniers ;
Le pain forain à 3 sous 3 deniers Le pain blanc, ou miche, à 3 sous 6 deniers.

Enjoignons à notre commissaire de police de faire des visites fréquentes chez les boulangers de la commune, et à se transporter partout où il sera requis.

Toutefois, en dépit de cette règlementation, des abus se renouvelèrent. Plusieurs citoyens se plaignaient que quelques boulangers fabriquaient du pain de mauvaise qualité, le vendaient à faux poids, et que les cabaretiers débitaient leur vin à fausse mesure.

On taxa donc à nouveau (15 septembre) le prix du pain qui fut fixé comme il suit :
3 sous 6 deniers la livre de pain blanc 3 sous la livre de pain forain ;
2 sous la livre de pain bis.

Quatre commissaires furent en outre désignés pour, conjointement avec le commissaire de police et après avoir prêté serment, surveiller l'exécution des ordonnances municipales.

Ces temps troublés, on le conçoit, voyaient se multiplier les malfaiteurs. La police de Lyon ayant éloigné de cette ville les "étrangers et vagabonds qui l'infestaient", nombre de ceux-ci avaient pu se réfugier dans les agglomérations environnantes. Pour ce motif, le maire Delorme prend, le 26 juillet, l'arrêté suivant :

ART. PREMIER
Tous les gens sans aveu, sans domicile et reconnus vagabonds ou suspects, sortiront de notre territoire.

ART. 2
Tous les cabaretiers, aubergistes et autres qui logent, se conformeront à nos précédentes ordonnances concernant les logements, sous les peines y portées.

ART. 3
Tout attroupement sera dissipé par la force de notre milice nationale, invitant les concitoyens à nous dénoncer les auteurs et fauteurs desdits attroupements.

ART. 4
En attendant que les secours du Gouvernement, ou la charité de nos concitoyens, viennent seconder notre zèle pour détruire la mendicité dans notre commune, nulle personne ne pourra mendier publiquement sans se faire inscrire sur un registre qui sera, à cet effet, tenu par notre secrétaire greffier, et sans exhiber, toutes les fois qu'elle en sera requise, le certificat de sa déclaration, sous peine de prison.

ART. 5
Défenses sont faites, sous pareilles peines, à toute personne étrangère à notre commune de mendier dans notre territoire, et invitons nos concitoyens à les renvoyer sans aucun espoir de secours.

ART. 6
Pour assurer l'exécution des ordonnances de police du Royaume, et des décrets de l'Assemblée Nationale concernant la sûreté et la tranquillité publique, tout citoyen depuis l'âge de dix-huit ans jusqu'à celui de soixante, sera tenu de monter la garde et de faire le service lorsqu'il sera commandé, àpeine de trois livres d'amende pour la première fois, au payement desquelles il sera contraint par corps, et de trois jours de prison en cas de récidive.

ART. 7
Les citoyens commandés pour le service ne pourront quitter leur poste sans l'autorisation de leur capitaine, à peine d'encourir les punitions militaires qui seront prononcées par MM. les Commandants et Officiers de l'Etat-Major et le Capitaine.

ART. 8
Seront enfin exécutées toutes les ordonnances et poursuivis les auteurs, complices et fauteurs de ces délits, dénoncés et livrés aux tribunaux compétents.

Le 9 novembre, nouvel arrêté :
Considérant qu'il convient "à l'ordre public et au maintien des moeurs de défendre toute assemblée dans les cabarets et autres lieux ; que ces sortes d'assemblées sont des occasions de rixes et de corruption" la municipalité édicte :

ART. PREMIER
Les ordonnances de police concernant les danses publiques seront exécutées suivant leur forme et teneur.

ART. 2
Défenses sont faites à tous cabaretiers, aubergistes et autres, de tenir chez eux des assemblées et des danses sans notre permission expresse, sous peine de cinquante livres d'amende contre les contrevenants, et d'une plus grande peine en cas de récidive.

ART. 3
Nous invitons notre garde nationale à seconder à cet égard nos vues d'ordre public.

Le 28 novembre, le Conseil général de la commune, accompagné de la garde nationale, se rend dans l'église des Augustins où une messe est célébrée à l'autel de Notre-Dame.

A l'issue de la cérémonie et sur la place publique, le serment civique est prêté entre les mains du sieur Benoît Bonamour, par MM. Jean-Baptiste Burel, élu maire en remplacement de Jean-Baptiste Delorme décédé, Denis Frenel, Anthelme Léger, François Fontanel, Charles Cantot, nouveaux officiers municipaux, Mazet, Caussanel, Pitiot, Simon Boucharlat, Pierre Moulin, Jacques Berthet, Sébastien Mulet, Claude-Antoine Chevassu, Pierre Rivière, nouveaux notables et Fleury Lanyer, procureur de la commune. Tous jurent de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution du royaume, d'être fidèles à la Nation, à la Loi, au Roi et de bien remplir leurs fonctions.

Etant donné l'installation du tribunal du District, et les prescriptions de la loi substituant aux anciennes juridictions une nouvelle organisation judiciaire, le Bureau de la municipalité se transporte, le 17 décembre, au château de Cuire où se trouve l'auditoire de la justice du bourg, et consigne, dans le procès-verbal qui suit, le résultat de cette descente :

"Etant arrivés audit château sur les deux heures et demie, nous y avons trouvé le sieur Mondet, bourgeois, qui nous a dit que, depuis deux ans, il tient lesdits appartements du sieur Veillas, locataire du sieur Boulard de Gatellier, qu'il n'y a aucuns papiers ni titres relatifs à la justice de Cuire-la-Croix-Rousse dont le greffe est chez Me Lanyer, notaire royal et greffier de ladite juridiction dans sa maison sur le chemin de Saint-Clair.

"Nous nous sommes transportés dans la maison et domicile de Me Fleury Lanyer, conseiller du Roi, notaire à Lyon, sur le chemin neuf de Saint-Clair, où s'est trouvé ce dernier. Il nous a conduits dans une chambre, et a ouvert un placard dans lequel il nous a dit qu'étaient toutes les minutes du greffe de la juridiction de Cuire-la-Croix-Rousse, dont il est propriétaire ; qu'en sa qualité d'officier public, il ne pense pas qu'on puisse le dépouiller des minutes qui lui appartiennent ; qu'au surplus, il ne s'oppose pas à ce que nous mettions le scellé sur ledit placard qui les renferme.

"A l'instant, notre secrétaire greffier a fermé le placard à clef, l'a retirée, et nous avons apposé nos scellés.

"Signé sur la minute : Lanyer, Burel maire, Léger, Defarge, Cantot et Omelle secrétaire greffier".

Ces scellés ne furent levés qu'au mois de mars 1794.

En remplacement de la juridiction seigneuriale désormais abolie, une justice de paix est érigée à la Croix-Rousse. Son premier titulaire fut Claude-Antoine Chevassu, élu par l'Assemblée primaire, et qui prêta serment.

Le 22 septembre, notre municipalité remet à l'administration du district un rapport sur la situation générale de la commune, qu'il est intéressant de consigner ici :

- Instruction.
1° Il existe dans le bourg deux écoles publiques et gratuites, fondées pour les enfants pauvres, sous l'inspection du Bureau de Saint-Charles. Les garçons y sont enseignés par des ecclésiastiques qui se disposent au sacerdoce ; les jeunes filles par les Soeurs de Saint-Charles. Nos concitoyens paraissent satisfaits des soins qu'on y donne aux enfants de l'un et de l'autre sexe.

2° Il y a deux maîtresses des Petites Ecoles pour les jeunes filles, sous l'inspection des officiers de la communauté des Cinquante instituteurs de Lyon.

3° Il y a une école publique pour l'éducation de la jeunesse, dont l'établissement tient aussi à la communauté des Cinquante instituteurs de Lyon.

La municipalité espère que l'Assemblée Nationale décrétera incessamment son plan d'éducation nationale. Elle se dispense ainsi d'exposer quelques vues d'amélioration, pour ne pas exposer l'enseignement public de son canton à des changements sur lesquels il faudrait revenir.

- Culture.
1° L'excessive cherté des fermes et du terrain force les habitants à un travail constant et opiniâtre. Il n'y a pas un pied de terrain sans culture.

2° Il est important d'occuper les bras faibles à préparer les matières propres à l'industrie. Important aussi d'occuper les indigents aux travaux publics, comme la réparation des chemins, ce qui les mettrait à même d'échapper à la mendicité.

3° Si le Gouvernement accordait quelques secours, ceux-ci joints aux générosités particulières aideraient à la disparition de l'indigence.

- Paroisse
Voici les principales raisons d'ériger la commune en paroisse :
1° L'impossibilité d'obtenir pendant la nuit les secours religieux par suite de la fermeture des portes de la ville.

2° L'éloignement qui ne permet qu'à un petit nombre l'assistance régulière aux offices paroissiaux.

3° La division de la commune en trois paroisses semble présenter trois classes de citoyens. Il y aurait donc plus d'union s'ils vivaient sous les yeux d'un même pasteur.

4° Les moeurs et l'industrie de la population, qui dépasse 4.000 âmes, ne ressemblent pas à celles des villes.

5° Il existe ici une église assez vaste pour réunir tous les citoyens.

La municipalité exprime le voeu que les Augustins remplissent provisoirement les fonctions curiales. Leur nombre et le zèle qu'ils ont constamment déployé leur méritent la confiance de tous.

Dans toutes les paroisses agricoles - ajoute le rapport - on fait lecture, à la messe du dimanche, des décrets de l'Assemblée Nationale. Chez nous, faute d'une paroisse et de réunions communales, il n'y a que des affiches lues par un petit nombre de personnes.

- Contributions indirectes.
Il y avait les traites foraines, etc... et le quadruple des droits d'aides sur les vins tirés du Lyonnais ou des provinces voisines. Nous allons être affranchis de ces droits, mais déjà la ville de Lyon s'est injustement attribué, au détriment de la commune, un droit d'octroi sur le débit du vin et de la viande.

- Corvées.
La province du Franc-Lyonnais, dont faisait partie la Croix-Rousse, ayant eu jusqu'ici une administration particulière, la corvée s'y faisait en nature, et les bras des contribuables n'étaient occupés qu'à la création ou à la réparation des chemins du territoire.

Lorsque la corvée fut convertie en une prestation en argent, cette prestation devait être affectée au même objet. Cependant, les Intendants ont employé à des chemins d'autres provinces les sommes exclusivement destinées à ceux de la nôtre. D'où le droit pour nous de réclamer à l'ancienne administration une somme de près de 3.000 livres dont l'emploi a été détourné, et qui serait nécessaire pour rétablir le chemin de la Boucle très utile au bourg, et celui de Cuire qui se dégrade sans cesse, comme aussi pour en construire un troisième de Serin à la Croix-Rousse, et établir ainsi une voie de communication entre les deux fleuves.

- Séparation d'avec Cuire.
Elle serait contraire aux intérêts de la commune, et aux vues de l'Assemblée Nationale qui veut unir et non diviser.

Elle serait impraticable encore parce que la section de Cuire découpe très irrégulièrement le reste de la commune. Celle-ci possède des chemins et un port communs, qui seraient mal entretenus s'ils étaient confiés à l'administration d'une petite municipalité.

CHAPITRE IV
1791


Gestion de la municipalité. - Sectionnement de la commune. - Taxe du pain. - Etat indicatif des propriétés. - La constitution civile du clergé. - Hésitations du curé de Cuire sur le serment. - Injonctions des corps administratifs. - Prestation du serment par le curé de Cuire. - La taxe patriotique. - Le club des amis de la Constitution. - Mesures de police. - Enrôlement de volontaires. - Suppression des armoiries. - Règlementation sur la fabrication du pain. - Subvention. - Emoluments du commissaire de police.

Dans sa séance du 9 janvier 1791, la municipalité rend compte de sa gestion. L'actif est de 2.362 livres 14 sous, le passif de 2747 livres sous 9 deniers, soit un déficit de 384 livres 7 sous et 9 deniers. Il est encore décidé qu'une requête sera adressée à l'Assemblée Nationale pour faire déclarer dette de la commune l'emprunt de 2.200 livres, hâtivement conclu quelques mois auparavant, pour l'achat des fusils destinés à la garde nationale.

Pour obéir au décret du 1er décembre précédent, la municipalité divise en trois sections (24 janvier) le territoire de la commune, et détermine comme suit leurs délimitations :
1° Section du Rhône ou du Levant. Le Rhône à l'est. Au nord, le chemin qui tend des anciennes limites de la Bresse et du Franc-Lyonnais à la croix de la Mission de Caluire (à l'angle de la terrasse de la maison Spreafico), puis la ligne séparative entre la paroisse de Caluire et la commune de la Croix-Rousse. A l'ouest : le grand chemin de Caluire à la Croix-Rousse, de la croix de la Mission à l'extrémité méridionale du bourg de la Croix-Rousse. Au midi, les fortifications de Lyon jusqu'au Rhône.

2° Section du Centre. A l'est, le grand chemin de Caluire, depuis les fortifications jusqu'à l'extrémité orientale de la ruelle Poulaillon qui limite la paroisse de Caluire. Au nord : ladite ruelle Poulaillon et la limite qui la continue jusqu'à la maison Merlino sur la Saône. Au couchant : la Saône, depuis la maison Merlino jusqu'au chemin qui tend du pont de Cuire à la porte Saint-Sébastien. Au midi ledit chemin jusqu'à son débouché près des remparts.

3° Section de la Saône ou du Couchant. Forme un triangle dont le côté nord est limité par le chemin du port de Cuire, le côté ouest par la rivière de Saône jusqu'aux limites plantées près des portes de Serin, le côté sud enfin par les fortifications de la ville.

Notification de cette division du territoire communal fut adressée au curé de Cuire pour qu'il en fasse l'annonce au prône, en même temps qu'un officier municipal en donnera lecture à la messe qui se célèbre à 8 heures en l'église des PP. Augustins, "et ce par le défaut d'église paroissiale dans l'étendue de la municipalité".

Au même moment, la municipalité recevait les plaintes de la population sur la mauvaise qualité du pain qui était bien inférieur à celui de Lyon, ainsi qu'il ressortait d'une comparaison qui en avait été faite.

Les maîtres boulangers de la Croix-Rousse appelés se déclarèrent disposés à ne faire qu'une seule qualité de pain, comme ceux de la ville, et au même prix si on le voulait. Mais s'ils doivent suivre le régime actuel pour les trois qualités de pain, ils n'accepteront d'autre diminution que celle d'un denier sur le pain bis.

L'affaire prit fin sur un avis de la municipalité portant que le prix de la miche était désormais fixé à 3 sous 9 deniers, celui du pain forain à 3 sous quelqu'en soit le poids, et celui du pain bis à sous 9 deniers la livre.

Le 31 janvier, il est procédé à la nomination d'une commission de dix-huit membres, chargée d'établir un état indicatif des propriétés existant sur le territoire de la commune, en vue de la contribution foncière.

Depuis plusieurs mois déjà, l'Assemblée Nationale avait voté la Constitution civile du clergé. Afin de l'imposer plus impérieusement encore, elle venait, par un décret du 27 novembre 1790, sanctionné par le roi le 23 décembre, d'astreindre les évêques et les prêtres, considérés comme fonctionnaires publics, au serment d'y adhérer.

On sait quelles divisions lamentables causa cette oeuvre schismatique, et quels déchirements funestes engendra cette ingérence abusive du pouvoir civil dans le domaine des consciences.

Dès le 11 décembre, le curé de Cuire, l'abbé Parichon, mandait au Conseil général du Département qu'il ne pouvait prêter le serment qu'après que cette administration aurait statué sur la réunion de sa paroisse à celle de Caluire.

Le conseil lui répondait, le même jour, que Cuire étant, par provision, réuni à la municipalité de la Croix-Rousse, il devait prêter le serment devant cette dernière sans attendre la décision à intervenir.

Dans sa lettre au Département, l'abbé Parichon appelle le serment "un devoir auquel il est très urgent qu'il satisfasse", et il ajoute qu'en ce qui le regarde personnellement, il n'a rien reçu de son traitement de la présente année. Il semble donc qu'à ce moment, le curé ne se rend pas un compte très exact du caractère de cet acte dans lequel il voit surtout une formalité à remplir pour toucher le traitement qui lui est dû.

Le 15 janvier 1791, la municipalité adresse au curé la lettre suivante :
"Monsieur,
"Nous avons l'honneur de vous envoyer ci-incluse la copie de la lettre que les Administrateurs du Directoire du District de Lyon viennent de nous écrire. Nous y joignons un exemplaire de la Loi relative au serment à prêter par les Evêques et autres ecclésiastiques. Nous vous prions de la publier demain dimanche à votre prône, et de nous accuser la réception de la présente, de la Loi et de la publication que vous en aurés faite.

"Nous avons l'honneur d'être avec respect, Monsieur, Vos très humbles et très obéissants serviteurs.
"Les maire et officiers composant le Bureau de la municipalité de Cuire-la-Croix-Rousse : Léger, Bonamour, Burel cadet, maire".

Le curé donne bien lecture de la lettre, mais il s'abstient de la faire suivre du serment.

Estimant qu'il y a refus manifeste, le procureur de la commune requiert - 30 janvier - que M. Parichon soit dénoncé au Directoire du Département, pour statuer ce qu'il appartiendra.

Dès le lendemain, la municipalité fait signifier au curé une mise en demeure de prêter le serment. Copie de cette sommation est confiée à Valat, commis du secrétaire greffier, qui déclare n'avoir rencontré au presbytère que la domestique, Catherine Favier, laquelle a dit que son maître se trouvait à Lyon, et a refusé de signer pour ne le savoir.

L'abbé Parichon formait aussitôt une opposition motivée sur les difficultés qui divisaient les habitants de Cuire et ceux de la Croix-Rousse. Etant donné les prétentions des premiers d'appartenir au canton de Saint-Cyr, et par là-même, de ne pas relever de la municipalité de la Croix-Rousse, il ne paraissait pas au curé qu'il dût prêter le serment devant cette dernière.

Sans s'arrêter à l'acte d'opposition du curé, et considérant "qu'il ne peut ni ne doit prêter son serment que devant elle, sous peine de nullité comme contraire aux décrets et aux loix qui l'indiquent" notre municipalité décida que le jour même - 2 février - elle se transporterait à Cuire pour recevoir le serment exigé. Le procès-verbal qui suit, nous dira l'insuccès de cette démarche :
"Aujourd'hui 2 février 1791, à 10 heures du matin, nous maire et officiers municipaux soussignés, nous sommes transportés à l'annexe de Cuire, dépendant de la paroisse de Vaise, pour, en conformité de notre ordre d'aujourd'hui notiffié au sieur Parichon, vicaire desservant ladite annexe, recevoir le serment civique que doit prêter ce dernier par devant nous en conformité des loix et décrets.

"Où étant arrivés, nous sommes entrés dans la cour du château, au-devant de la porte de l'église où se célébrait une messe qui était déjà au Credo. L'église s'étant trouvé remplie de citoyens, nous attendions dans ladite cour, pour ne pas troubler l'office divin, que la messe fut finie pour recevoir le serment civique du dit sieur Parichon. A l'instant, un particulier est venu nous instruire que ce n'était pas M. Parichon qui était à l'autel, qu'il avait dit sa messe et qu'il était chez lui. De suite, nous nous sommes transportés au domicile de ce dernier, lequel a fait réponse qu'il s'en tenait à la signification qu'il a fait faire à la municipalité ce matin.

"L'avons interpellé de nous déclarer s'il veut se conformer aux décrets et prêter son serment. A répondu que sa messe de paroisse étant célébrée et son peuple n'étant plus assemblé, et que ledit serment étant fait en grande partie pour le peuple, il déclarait que ce n'était plus l'heure ni le moment de prêter ledit serment auquel il ne s'était pas refusé, et qu'en conséquence lui, dit Parichon, avait dressé procès-verbal de non comparution à l'issue de sa messe qui n'a été finie qu'après 10 heures. Et puis, se reprenant, a dit sur les 10 heures, ajoutant que le dernier coup de la messe a été sonné à 9 heures et quart, lequel interpellé de signer sa réponse, a fait refus.

"A lui représenté qu'il fait erreur sur l'heure, que la municipalité est arrivée avant 10 heures, que les paroissiens sont encore actuellement assemblés dans l'église qui entendent la messe, qu'une partie est au-devant de la porte d'icelle, et quelques-uns chez lui, qu'il n'est question que de les faire rentrer dans l'église et prêter son serment en leur présence, lui déclarant qu'à défaut par lui de s'y conformer sur-le-champ, nous prenons sa résistance pour un refus formel, lui réitérant que lui ayant indiqué l'heure de dix, à la forme des décrets, il était tenu de nous prévenir, et que dans l'acte qu'il nous a fait signifier ce matin, il ne nous a indiqué aucune heure précise.

"Dont et du tout, etc...
"Dans la maison dudit Parichon qui a refusé de signer.
"Burel maire, Defarge, Chevassu, Nesme, Pitiot, Simon Boucharlat, Lanyer, procureur syndic et Omelle, secrétaire greffier".

La municipalité incontinent rendit compte du fait au Directoire du district, lui demandant la marche à suivre "pour parvenir à remplir sa demande".

Trois jours après, les réponses concordantes du District et du Département étaient arrivées et prescrivaient "d'accélérer le serment".

Mais, dans l'intervalle, les paroissiens de l'annexe étaient vigoureusement intervenus. Ils avaient, par le ministère de l'huissier Tardy, signifié à la municipalité "qu'ils répugnent à ce que leur pasteur prête son serment devant elle, s'opposant à ce qu'elle se transporte à Cuire pour le recevoir, et déclarant que, si elle insiste, ils repousseront la force par la force". Il était difficile d'exprimer, en termes plus véhéments, l'antagonisme des deux populations.

Devant cette menace, le maire Burel proposa (6 février) d'ajourner au. dimanche suivant l'opération prescrite par l'autorité supérieure, et cela pour laisser à la Municipalité le temps de prendre les précautions requises "pour concilier les esprits égarés des habitants de l'annexe et éviter une insurrection". Ce qui fut adopté.

Enfin, le dimanche 13 février, la formalité si instamment exigée recevait son accomplissement, et le curé prononçait le serment, ainsi qu'il est stipulé au suivant procès-verbal :

"Ce jourd'huy, dimanche 13 février 1791, sur les neuf heures et demy du matin, nous maire et officiers municipaux de Cuire-la-Croix-Rousse, assistés de notre secrétaire greffier et accompagnés de notre garde nationale, nous nous sommes transportés dans l'église curiale de l'annexe de Cuire, où étant arrivés, Monsieur Antoine Ignace Félicité Parichon, vicaire desservant ladite annexe, est venu se présenter à la municipalité, et a déclaré qu'il allait dire et célébrer sa messe à l'issue de laquelle il a déclaré qu'il prêterait son serment civique, en conformité de la loi et décret du 27 novembre dernier. La messe ayant été célébrée, Monsieur Parichon a juré publiquement, au-devant de l'autel, de remplir ses fonctions avec exactitude, d'être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout son pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le Roi.

"De laquelle prestation de serment nous lui avons octroyé acte.
"Fait et rédigé dans la sacristie les jour et an que dessus, et a ledit Parichon signé avec nous.
"Parichon, prêtre vicaire, Burel maire, Bonamour, Léger, Guinat, Chevassu, Frenel, Nesme, Boucharlat, Defarge, Simon Boucharlat, Baudrand, Lanyer, procureur syndic et Omelle, secrétaire greffier".

Trois jours après, la municipalité adressait à l'administration du district notification de cette prestation de serment. Elle y joignait copie de la réclamation du curé concernant le traitement qui lui était dû.

Sur le vu de ces pièces, le Directoire déclara (1er mars) estimer qu'à la forme de l'article 9 du décret du 24 juillet 1790, l'abbé Parichon doit être payé de la somme de 628 livres faisant, avec celle de 72 livres, qu'il a reçue l'année dernière à compte de sa portion congrue le traitement de 700 livres accordé par ledit article 9. Il lui sera payé, en outre, la somme de 175 livres, montant de son traitement pour les trois premiers mois de l'année courante.

Nous verrons bientôt que le curé de Cuire n'alla pas plus loin dans la voie du schisme, et qu'en refusant son concours à l'évêque intrus, il libérait sa conscience et restait fidèle aux voeux de son sacerdoce.

Le 10 février, le Directoire du district engage la municipalité à vérifier les déclarations concernant la taxe patriotique due par quiconque a un revenu de 400 livres, et à taxer ceux qui n'auraient pas satisfait à cette obligation.

En exécution de cet ordre, la municipalité fait comparaître les collecteurs déjà chargés de cette vérification, lesquels rapportent avoir reconnu que certaines déclarations, dont ils ont pris note, ne sont pas sincères. Ils ajoutent que "beaucoup de particuliers n'en n'ont point fait, mais que leurs facultés les en dispensent, et qu'aucun forain n'est compris dans le nombre de ceux qui en ont fait". La municipalité décide alors que ces indications seront transmises au District, avec un état nominatif des forains qui n'ont fait aucune déclaration pour la contribution patriotique.

A ce moment, apparaît un groupement politique qui se donne mission de stimuler le zèle des administrations. C'est la Société populaire des Amis de la Constitution, formée d'ardents patriotes, véritable club - ainsi d'ailleurs qu'il se désigne lui-même - qui, à côté du corps municipal qu'il harcèlera de ses exigences, ne tardera pas à exercer une action souvent prépondérante.

Voici dans quels termes la Société notifie sa constitution et détermine, auprès de la municipalité, le but qu'elle s'est assigné :
"Se sont présentés - 6 février - les sieurs Matheron, Lafay, Jumel père et Doriel, se disant commissaires d'une société patriotique établie dans notre bourg, sous la dénomination de Société populaire des Amis de la Constitution pour, au nom de ladite Société, instruire la municipalité, à la forme des décrets, qu'ils tiendront leur assemblée dans une maison de ce bourg, qu'il ne s'y passera rien de contraire aux moeurs et aux loix constitutionnelles, que leur but est de s'instruire en commun des décrets de l'Assemblée Nationale, de surveiller les ennemis de la chose publique, d'inviter, par leurs exemples et leurs avis, leurs concitoyens à respecter les loix du royaume...

"La municipalité a applaudi à la sagesse de leurs motifs, et a arrêté que mention serait faite de leur députation à son procès-verbal de ce jour".

Un des premiers soucis de ces fougueux patriotes fut de réclamer l'abolition du port du costume religieux. Moins empressée, la municipalité répondit qu'elle attendait les ordres du District ou du Département, placés au-dessus d'elle, et qui ne s'étaient pas encore prononcés.

Elle acueillit mieux leur requête touchant une pétition qu'ils avaient dessein d'adresser à l'administration supérieure, pour en obtenir 400 fusils destinés à l'armement de la garde nationale.

Cette pétition n'eut pas un effet immédiat, mais elle indiquait un motif malheureusement trop réel : le brigandage qui sévissait un peu partout.

Déjà le Département avait appelé l'attention des municipalités sur "les vols qui se multiplient à l'infini... les brigands qui se répandent sur les grandes routes... et souvent attaquent les maisons, les fracturent et s'y introduisent en troupes" et leur avait enjoint d'employer les gardes nationales pour veiller au bon ordre et réprimer ces excès.

Répondant à ces vues, la municipalité de la Croix-Rousse qui, d'ailleurs, avait constaté que "depuis quelques mois, il s'était répandu, dans son canton et lieux circonvoisins, des brigands qui attaquaient nuitamment les propriétaires et commettaient des violences répréhensives", la municipalité prescrivit, le 26 février, les mesures de police suivantes :

ART. PREMIER
Sans délai, les officiers de l'Etat-Major de la garde nationale du bourg seront requis d'ordonner, pour chaque nuit, des piquets dans les différents quartiers, rues et chemins du territoire.

ART. 2
Les patrouilles se transporteront partout où le capitaine de service le jugera convenable pour y rechercher les gens sans aveu.

ART. 3
Tous les habitants sont invités à dénoncer quiconque sera connu pour être auteur des excès qui font l'objet des préoccupations des corps administratifs.

Le club, que nous verrons désormais s'ingérer dans toutes les questions et provoquer, sous prétexte de légalité, des mesures souvent vexatoires, le club réclama (2 mars) que des commissaires fussent établis pour prendre les noms de ceux qui désiraient s'enrôle dans les troupes auxiliaires.

Le maire fit adopter la motion. On commit les sieurs Pierre Burel, Repelin, capitaines, et Caussanel, lieutenant dans la garde nationale, pour enregistrer les volontaires à destination des troupes auxiliaires.

Après trois semaines écoulées, ces commissaires déclaraient n'avoir vu personne se présenter pour l'enrôlement. Ils en attribuaient la cause à ce que les citoyens de la commune n'étaient pas suffisamment instruits de leur mission. On décida donc d'afficher les noms des trois commissaires avec indication de leur charge de recruteurs.

Vient ensuite une nouvelle injonction du club relative, celle-là, à la suppression des armoiries existant sur les portes et maisons de plusieurs habitants et forains de la commune.

La municipalité délègue les sieurs Guinat et Nesme à l'effet de vérifier les maisons portant à l'extérieur "des blasons, armoiries et sauvegardes", prendre les noms des propriétaires et les inviter à faire disparaître ces signes nobiliaires. Au cas où ceux-ci ne s'exécuteraient pas, la municipalité rendrait une ordonnance pour les y contraindre.

Il faut croire que les contrevenants ne mirent aucune hâte à déférer à cette invitation car, trois mois plus tard, la municipalité toujours stimulée par le club, enjoignait aux propriétaires de maisons portant des armoiries, de les effacer dans les huit jours, sous peine de les voir supprimer d'office par les agents municipaux.

Nous avons vu que la municipalité avait édicté, au commencement de l'année, un règlement relatif à la fabrication du pain : il ne donna pas longtemps satisfaction.

Dès le 3 avril, le club récriminait amèrement et formulait, en termes comminatoires, les plaintes de la population : "Nous avons fait entendre la voix du peuple de la commune qui se récrie contre l'insalubrité de sa nourriture, contre la fraude et l'égoïsme des boulangers... Nous avons prouvé que le pain bis est nuisible à la santé, que celui seul de la Nation, fait tel qu'il doit être, convient à la constitution des hommes, et que notre voeu est l'effet de la volonté générale".

Le club demande donc à la municipalité :
1° qu'il ne soit fait que deux qualités de pain : le pain de la Nation et le pain miche ;
2° que le pain national ne soit vendu qu'au prix de deux sous la livre, comme à Lyon ;
3° qu'il soit fait chez les boulangers des visites "fréquentes", pour surveiller leur fabrication.

"Il ne tient qu'à vous - termine le club en s'adressant aux officiers municipaux - de vous faire chérir de la commune dont vos concitoyens vous ont confié l'administration. Rendez-vous à la volonté du peuple. Lui seul sait ce qui lui est bon. Sa voix auguste et pure ne s'élève jamais que contre l'injustice".

Il est permis de croire que cette adjuration pathétique reçut un accueil bienveillant.

Notre municipalité, heureusement, n'avait pas à traiter toujours d'affaires aussi coercitives. Ayant reçu du Département un lot de 1.200 pieds d'arbres, de la pépinière royale, destinés à la commune, la municipalité les délivre aux citoyens, après en avoir prélevé un certain nombre pour être plantés sur la nouvelle place d'union, sise à l'extrémité du bourg, du côté de Lyon.

Et comme, vers le même temps, une subvention de 300 livres lui avait été promise pour être employée aux ateliers de charité et au soulagement des pauvres, et que la commune ne possédait point d'atelier de charité, la municipalité décide de consacrer cette somme à faire niveler la place d'union à journées par des indigents. "Nous retiendrons ainsi - explique-t-elle - plusieurs de nos concitoyens qui, faute de travail, sont obligés d'en aller chercher hors de notre commune".

Les travaux furent immédiatement commencés, mais la subvention promise ne venait pas. Le conducteur de l'ouvrage fit des avances dont il réclama le remboursement. Quatre mois après, la municipalité insistait encore auprès du District pour entrer en jouissance des 300 livres, sur lesquelles 170 livres avaient été déjà avancées pour niveler "un terrain informe pour en faire une place publique". La subvention ne paraît avoir été versée que le 5 juillet.

Le Commissaire de police municipal, Burigniot, s'était plaint que ses appointements de 6 livres par mois étaient trop modiques eu égard à ses occupations multiples, et qu'il avait dépensé plus que son traitement "pour coller les affiches et faire des démarches tant à Cuire qu'à Saint-Clair et Serin".

Invité à présenter un état de ses déboursés, le commissaire démontra que, du 11 mai à ce jour 23 mars, il avait procédé à la pose de 3.700 affiches dans la commune. La municipalité fit droit à sa demande en portant ses émoluments au chiffre annuel de 150 livres.

CHAPITRE V
1791 (suite)


Erection de la Croix-Rousse en paroisse. - Te Deum pour le rétablissement de la santé du roi. - Réception de l'évêque Lamourette. - Service funèbre à la mémoire de Mirabeau. - Refus de lecture du curé de Cuire. - Son remplacement par Nodet, prêtre assermenté. - La fuite du roi et le massacre de Poleymieux. - Mesures de police. - Acte de mutinerie dans la garde nationale.

Le voeu formulé par les habitants de la Croix-Rousse, lors de la convocation des Etats-Généraux, de voir leur commune érigée en paroisse, exprimait une nécessité trop évidente pour que le corps municipal n'y revienne pas avec insistance.

Le 23 mars, il décide d'adresser un mémoire aux administrateurs du district pour demander que "l'église des cy-devant Pères Augustins soit adjugée à la commune, ainsi que les appartements et jardin en dépendant, pour y établir une paroisse, un presbytère, un corps de garde, des écoles d'aumône, la salle de la municipalité, et tous autres établissements publics dont la commune pourrait avoir besoin".

Le 3 mai, il revient à la charge. Profitant du départ pour Paris de M. Edme de la Poix de Fréminville, un des citoyens actifs "dont le zèle pour la commune s'est efficacement montré dans toutes les occasions", il le charge d'être son organe auprès de l'Assemblée Nationale pour solliciter un décret qui - vu l'urgence reconnue d'ériger en paroisse le canton de Cuire-la-Croix-Rousse qui ne possède point d'église en propre - lui abandonne celle des Augustins. Il réclamait, en outre, la propriété des bâtiments conventuels pour y établir le logement du curé, la maison commune, la maison d'arrêt et les écoles.

"Le besoin de cette paroisse - expliquait la délibération - se faisait moins sentir auparavant grâce au zèle des Religieux Augustins qui administraient tous les secours spirituels aux habitants de ce canton. Mais depuis leur suppression, l'exercice du culte a été en quelque sorte interrompu, et il est instant d'ériger en paroisse ce canton".

La loi du 19 juin, qui déterminait la circonscription nouvelle des paroisses du département, donna en grande partie satisfaction au voeu de notre population.

Elle stipulait que "la Croix-Rousse sera desservie, sous le nom de Saint-Augustin, dans l'église du ci-devant monastère des Augustins réformés, laquelle aura pour succursalle l'église de Cuire, sous le nom de Saint-Blaise, qui cessera de dépendre de la paroisse de Vaise pour faire partie de celle de la Croix-Rousse, moyennant quoi la paroisse de Cuire est et demeure supprimée".

Voici donc le culte constitutionnel instauré sur notre colline, où il ne tardera pas à produire ses fruits ordinaires de divisions.

L'organisation paroissiale allait exiger quelques mois encore.

Le dimanche 27 mars, sur l'initiative du corps municipal, un Te Deum d'actions de grâces pour l'heureux rétablissement de la santé du roi est chanté, tant dans l'annexe de Cuire que dans l'église des ci-devant Augustins. C'est la dernière manifestation religieuse que nous voyons s'accomplir dans un sentiment de concorde générale.

Chacun sait que l'archevêque de Lyon, Mgr de Marbeuf, ayant refusé son adhésion à la constitution civile du clergé, fut remplacé par Lamourette (Adrien), promu évêque métropolitain de Rhône-et-Loire par le suffrage des électeurs, conformément aux règles nouvelles.

Avisée à cet effet par l'Administration du district, la municipalité de la Croix-Rousse ordonna que la garde nationale se joindrait à celle des autres communes pour se rendre, le samedi au soir 8 avril, sur la route de Paris, au-devant du prélat arrivant à Lyon.

De son côté, l'abbé Parichon se voyait invité, par la lettre suivante, à la cérémonie d'installation de l'évêque :
"A Monsieur le curé
Lyon, le 12 avril 1791.
A Cuire-.

"Monsieur,
"MM. les officiers municipaux de cette ville viennent de nous informer que l'installation de M. l'évêque du département de Rhône-et-Loire, a été fixée au jeudi 14 courant, neuf heures du matin, et de leur désir de voir augmenter par votre présence la solennité de cette cérémonie.
"Nous nous hâtons de vous en faire part, dans la persuasion où nous sommes de l'empressement que vous aurez d'y assister, et nous vous en faisons l'invitation.
"Le rendez-vous est au Séminaire de Saint-Irénée, quartier Saint-Clair.
"Les Administrateurs du Directoire du district de la Campagne de Lyon, Rieussec, président, Garnier, Delorme, Bernardon, Thévenet, Borde, procureur syndic et Breynier, secrétaire".

Un événement de cette importance ne pouvait laisser indifférents les chauds patriotes qu'étaient les Amis de la Constitution. Leur président, François La Nivernière avait conduit une députation de la société auprès de l'évêque. Il rendit compte de cette entrevue dans la séance du 17 avril :
"Après lui avoir fait un compliment court et très expressif de notre respect et de notre amour pour lui, ce prélat patriote nous a répondu dans les termes les plus tendres et affectionnés, et nous a dit combien il était sensible aux témoignages d'amitié que lui donnait la section de Cuire-la-Croix-Rousse. Elle ne pouvait avoir choisi, par l'interprète de ses sentiments, un organe plus digne de les faire sentir que son président, et ne le cédait pas en patriotisme aux Parisiens eux-mêmes.
"Il (le prélat) a comblé la députation de politesse".

Quelques jours auparavant, la mort de Mirabeau avait excité plus encore les ardeurs civiques des Amis de la Constitution. La disparition soudaine du fougueux tribun souleva partout la plus vive émotion. De toutes parts, des services funèbres furent célébrés dans les églises à sa mémoire.

A la séance de notre club - 10 avril - le président annonce la mort de Mirabeau, demande pour ses mânes un service solennel, et qu'il lui soit permis de jeter une fleur sur la tombe de "son ancien "ami".

L'assemblée arrête à l'unanimité que, le vendredi 15, un service sera célébré dans l'église des ci-devant Augustins, par les citoyens Larivoire et Plagniard, que la municipalité, les notables, le juge de paix et ses assesseurs, ainsi que l'état-major de la garde nationale y seront invités, et qu'enfin on enverra des lettres-circulaires aux trente sections de Lyon pour les prier de se joindre, par leurs députations, à leurs "frères" de la Croix-Rousse. Il y aura, le soir, séance publique où sera prononcé l'éloge funèbre du "génie sublime, de l'homme rare que les Amis de la Liberté ne cesseront de regretter".

Le procès-verbal de cette séance du soir présente un vivant tableau de ces scènes que les exagérations mêmes de leurs auteurs rendaient parfois quelque peu burlesques, mais qui se répétaient presque partout à cette époque de fièvre politique :
"Le citoyen président est monté à la tribune et y a prononcé l'éloge funèbre de Mirabeau. Il a d'abord fait un tableau déplorable de la France avant 1789. Il a dépeint avec des traits vifs et vrais l'état d'esclavage sous lequel nous gémissions. Il a fait l'énumération des maux qui nous assaillaient de toutes parts. Il nous a mis sous les yeux la corruption de la cour, la dépravation des moeurs de ses ministres, le despotisme, cet hydre à cent têtes qui nous poursuivait sans cesse, et ne nous laissait exister, après nous avoir enlevé nos propriétés, que pour insulter à loisir à notre infortune.
"Le trésor, si injustement appellé trésor royal, où s'engloutissaient nos richesses et les sueurs du laboureur, ne pouvant suffire aux vampires qui entouraient le trône, les ressources paraissant épuisées, on ne parlait de rien moins que de faire la banqueroute. Les ministres qui craignaient plutôt pour leur existence que pour celle de l'Etat, ne voulant pas prendre sur eux ce déshonneur, cette ruine morale du royaume, ils engagèrent le monarque à convoquer les Etats-Généraux.
"Il existait alors un génie sublime qui, aux talents rares de la parole et de la persuasion, réunissait les connaissances les plus étendues, le coeur le plus humain : Mirabeau vit nos maux. Sa grande âme fut émue à l'aspect des malheurs qui menaçaient la Nation. Dès lors, il jura de sauver sa patrie ; il lui voua sa plume, son éloquence, ses veilles, ses travaux ; il lui voua sa vie qu'il exposa vingt fois pour elle. Il jura de démasquer, d'écraser les ennemis de l'État ; il alla jusqu'au pied du trône les chercher, les abattre et les détruire".

Ce discours a été entendu avec des applaudissements redoublés. Le citoyen Jumel fils a lu à la tribune un discours analogue à la présente cérémonie lugubre. Il a été vingt fois applaudi. Le citoyen Antoine Teste, d'une des sections de la ville, a passé en revue les plus beaux traits de la carrière législative de Honoré Riqueti Mirabeau... il a pris occasion de l'amitié intime dans laquelle l'abbé Lamourette avait vécu avec Mirabeau pour faire son éloge, et nous exhorter à soutenir les efforts que ce digne prélat va faire pour ramener à leur devoir ceux de son clergé qui se sont montrés réfractaires. Il a terminé par une satire violente contre le clergé qui, par son luxe et la dépravation de ses moeurs, aurait causé la ruine entière de l'Église, si les portes de l'enfer pouvaient prévaloir contre elle...

La séance est terminée par la lecture de l'éloge funèbre de Mirabeau prononcé, le 4 avril 1791, dans l'église Saint-Eustache par M. Ceruti, au nom de la section de la Grange-Batelière, devant l'Assemblée Nationale.

"Le président a témoigné sa vive reconnaissance, et exprimé ses remercîments à MM. les maire, officiers municipaux et notables, à l'état-major de la garde nationale de la Croix-Rousse, aux députés de la Société des Amis de la Constitution séante au Concert, à ceux de la Société populaire séante au grand collège, et aux différentes sections qui avaient honoré l'assemblée de leur présence ; à nos concitoyens et concitoyennes, du silence, de l'attention et de la décence qu'ils ont apporté pendant la cérémonie du matin et la séance du soir".

Le curé Parichon avait-il pris part, comme il y était invité, à la cérémonie d'intronisation de Lamourette ? Nous ne saurions le dire, mais sa conduite immédiate va prouver qu'il ne reconnut pas l'autorité de l'évêque intrus.

Mis en demeure, le 6 mai, de donner lecture au prône de la lettre pastorale de Lamourette, Parichon s'y refuse. La municipalité lui notifie alors qu'elle se rendra en corps, le dimanche 22 mai, à 9 heures du matin, à sa messe, pour entendre la lecture qu'il devra faire de ladite lettre, en dresser procès-verbal, et au cas de refus, en connaître les motifs.

Derechef, le curé n'obtempère pas, et c'est un officier municipal qui, à son défaut, fait lui-même la lecture exigée. La municipalité envoie au District un rapport constatant ce refus formel.

Dès le soir du même jour, dans sa réunion ordinaire, le club constate l'attitude du curé et décide de le dénoncer au Département. Déjà à la précédente séance, un adepte l'avait accusé de se comporter "d'une manière fort douteuse du côté de son patriotisme".

Enfin, persistant dans son refus malgré une sommation réitérée, l'abbé Parichon dut abandonner ses fonctions, et, pour rester fidèle aux inspirations de sa conscience, se vouer désormais à l'exercice d'un ministère clandestin.

Mais là, inévitablement, l'attendaient les tracasseries des prétendus tenants de la liberté, sectaires intolérants du club officiel.

Le club dénonçait en novembre "le nommé Parichon, ci-devant "vicaire de Cuire, prêtre fanatique", pour avoir :
1° administré nuitamment les derniers sacrements au sieur Dubois, et avoir dit à son épouse que, au cas où son époux viendrait à mourir, il bénirait un emplacement dans son jardin. et l'y enterrerait ;

2° marié la demoiselle Valensot dans les caves du Calvaire ;

3° baptisé en cachette le fils de Jean Nugues.

Le club accusait en outre l'ancien curé d'avoir retenu : une custode, un ciboire, la clef en argent avec gland d'or du tabernacle, les "joujoux" de la Vierge Marie, et encore d'avoir donné l'ordre de porter le pain bénit à l'église des Collinettes le jour de la fête de Saint-Romain, patron de la paroisse.

Nous ne savons quelle suite fut donnée à ces imputations plus ridicules qu'odieuses.

Dès ce moment, nous perdons la trace de l'abbé Parichon. Mais le témoignage de son supérieur dira plus tard que le digne prêtre resta fermement attaché aux devoirs de son état.

Parichon fut remplacé, dans l'annexe de Cuire, par Jean-François Nodet, ci-devant capucin du Petit-Forez, à Lyon, prêtre assermenté, que nous retrouverons bientôt.

Le 24 juin, parvinrent à la municipalité les ordres adressés par le comité permanent des corps administratifs du département, en exécution des décrets que l'Assemblée Nationale venait de rendre àl'occasion de l'évasion du roi.

Conformément à ces ordres, la municipalité arrêta que deux de ses membres se tiendraient en permanence, et jusqu'à nouvel ordre, dans la salle de ses séances ; que la garde nationale, toutes sections réunies, assurerait jour et nuit une rigoureuse surveillance, ne laisserait passer aucune voiture sans la fouiller, arrêterait toutes personnes sans passeport et quiconque serait soupçonné appartenir àla famille royale, et ne laisserait passer aucune arme, munition, or ou argent, ni, en général, rien. de ce qui paraîtrait contraire à l'ordre constitutionnel.

Le serment prescrit à tous les corps armés, par l'Assemblée, ensuite de la fuite du roi, fut prêté le 10 juillet, par notre garde nationale réunie sur la place, au-devant de l'église. Le maire prononça la formule du serment, et chacun des hommes répondit individuellement : je le jure !.

Au même temps, le massacre de Guillin-Dumontet à Poleymieux, avec les affreux épisodes qui l'accompagnèrent provoqua dans tout le pays un sentiment d'épouvante et de violente réprobation.

Le maire de la Croix-Rousse adressa, le 29 juin, la lettre suivante aux municipalités de Caluire, Rillieux, Fontaines et Sathonay :
"Messieurs,
"Les scènes d'horreur qui se sont passées dans notre voisinage, nous annoncent qu'il est encore parmi la classe des citoyens les plus favorisés de la Constitution, des monstres qui ne sçavent respecter ni la loi à laquelle ils ont juré d'être fidèles, ni les principes de justice gravés dans le coeur de tous les hommes. Cet événement doit réveiller le zèle des bons citoyens, il faut qu'ils se réunissent pour protéger les propriétés et les personnes.
"C'est dans ces dispositions que je vous offre, au nom de notre commune, tous les secours qui dépendent de notre garde nationale dans le cas où vous en auriez besoin pour repousser quiconque porterait atteinte aux propriétés de notre territoire.
"Je suis fraternellement etc... Burel, (maire)".

On sait que la procédure engagée à la suite de ce meurtre, pour en punir les auteurs et assurer à la veuve et aux enfants de Guillin les indemnités auxquelles ils pouvaient prétendre, n'aboutit pas. L'intervention du comité central des clubs fut prépondérante dans cet abandon des poursuites. Celui de la Croix-Rousse avait décidé - 1er août - de s'associer à l'action des autres clubs de la ville, pour faire imprimer l'adresse à l'Assemblée Nationale, rédigée par le citoyen Soubry, sur l'affaire de Poleymieux.

Le service intensif qu'imposaient ces événements à notre garde nationale, n'allait pas sans déterminer parfois, dans ses rangs, quelques défaillances individuelles. Trois frères, du nom de Puy, propriétaires d'immeubles, ayant refusé de monter la garde, furent condamnés à l'amende fixée dans l'assemblée primaire, et traduits au poste pour ne l'avoir pas acquittée. L'un d'eux proféra même des injures au corps municipal.

Rendant compte au District de cet acte de mutinerie - 4 juillet - la municipalité lui exposait aussi ses constations et ses vues :
"Ici comme ailleurs, les bourgeois voudraient se soustraire au service de la garde nationale. En quelque sorte, ce n'est que parmi la classe indigente des citoyens que se développe le zèle et le patriotisme dans les circonstances critiques inséparables d'une révolution.
"Si la municipalité ne se montrait pas ferme, le citoyen malaisé serait seul à supporter le fardeau, il s'en plaindrait avec raison. Si les décrets ne prescrivent pas les contraintes nécessaires, les municipalités semblent avoir le droit de les édicter sous forme de police, surtout lorsque leurs ordonnances sont conformes à la volonté générale de la commune, dans des circonstances impérieuses plus fortes que la loi.
"La municipalité ne fait aucune réflexion sur les injures que le sieur Puy lui a lancées dans un moment d'humeur. Elle sait bien que les administrateurs, exerçant avec fermeté, soulèvent toujours des mécontentements".

Ce petit conflit n'eut aucune suite car l'insulteur, promptement revenu de son animosité, paya sans protestation son amende.

Par la même occasion, la municipalité assurait le district que le sieur Omelle, nommé chef de la garde nationale par le suffrage de ses concitoyens, de même que la commune elle-même l'avait désigné pour le poste de secrétaire greffier, le sieur Omelle méritait tous ses éloges.

CHAPITRE VI
1791 (suite)


Vente du claustral et du mobilier des Augustins. - Vente de la prébende des Vignerons- Limitation des deux districts. - Le 14 juillet. - Taxe du pain. - Cérémonies cultuelles prescrites par l'autorité civile. - Serment de l'ex-Père Larivoire. - Ingérence du club dans les choses du culte et dénonciations. - Remplacement du sous-maître de l'école.

Entre temps, commençait l'aliénation des anciens biens d'Eglise, maintenant biens nationaux. Le commissaire du Directoire du district s'était présenté, dès le 31 mai, au couvent des ci-devant Augustins, et avait procédé au récolement des meubles, effets, argenterie et ornements qui s'y trouvaient.

Les ornements et l'argenterie sont emballés et transportés aux dépôts publics, sauf toutefois quelques vases sacrés et vêtements sacerdotaux reconnus nécessaires pour la continuation du culte, notamment pour les cérémonies des prochaines fêtes de la Pentecôte et de la Fête-Dieu.

La bibliothèque est provisoirement laissée à la disposition des ci-devant religieux, MM. Labat et Latreille, qui ont reçu le commissaire et l'ont accompagné au cours de ses opérations. M. Labat signe le procès-verbal qui en est dressé, M. Latreille s'y refuse.

Quant au mobilier, il est vendu aux enchères, le 20 juin, pour la somme de 185 livres 2 sous.

La vente des bâtiments conventuels et de leurs dépendances va suivre. Ils sont auparavant divisés en quatre lots :
1° Un terrain d'environ 6.740 pieds de superficie, situé à l'angle de la grande rue du faubourg et de la place, faisant ci-devant le cimetière. De cette superficie, une étendue de 1.826 pieds restera en cour commune pour isoler l'église.

2° (lot réservé). Partie des bâtiments claustraux propre à "faire la paroisse et le presbytère". En conséquence, il comprendra l'église, les chapelles et les parties en dépendantes, le bâtiment de l'horloge, son escalier et une pièce à la suite, côté d'occident, la moitié du cloître, côté de l'église, àpartir du milieu des façades, au nord et au midi du cloître. Il comprendra encore le grand escalier, la sacristie et le choeur derrière l'église, dont les pièces au-dessus formeront le logement du curé qui aura, dans l'ancien cimetière, un jardin d'environ 2.300 pieds, et une petite cour attenante.

3° Le surplus des bâtiments claustraux, à compter de la ligne du milieu du cloître indiquée ci-dessus, et la totalité de la cour renfermée par ce cloître, faisant lesdits bâtiments et cour, une superficie d'environ 17.699 pieds carrés. De ce même lot, dépendra le jardin attenant, d'environ 3 bicherées 3/8.

4° Le grand jardin clos de murs, et faisant l'angle du chemin tendant à Cuire (aujourd'hui rue de Cuire) et de la rue des Pères (aujourd'hui rue Hénon). Superficie d'environ 9 bicherées.

La totalité des trois lots aliénables est adjugée, le 24 août, au sieur Jean Lenoir, entrepreneur à Cuire, pour la somme de 43.000 livres.

Le nouveau propriétaire ne tardera pas à morceler le tènement qu'il vient d'acquérir pour en revendre les diverses parties à des particuliers.

La prébende des Vignerons était contigue au couvent des Augustins, du côté nord. Elle comprenait une maison et terres cultivables, d'une superficie de dix bicherées, et avait été adjugée, le 17 mars, à Michel Carret, chirurgien, pour le prix de 17.400 livres.

Son dernier bénéficiaire fut Nicolas Navarre, sacristain-curé de Saint-Nizier.

Nous avons parlé plus haut des menées séparatistes de la section de Cuire. Voici maintenant que l'intégrité communale est menacée par des projets d'annexion, ou de remaniements, dans la limitation à établir entre les districts de la ville et de la campagne.

Dès le 31 mars, le Directoire du département était saisi d'une délibération de la municipalité qui repoussait la réunion de la Croix-Rousse à la ville de Lyon, réunion discutée à ce moment dans les conseils de l'administration supérieure.

Antérieurement, la municipalité avait adressé, au même Directoire, un acte de protestation contre les limites proposées à la séparation des deux districts.

La section de la Croix-Rousse demandait l'attribution définitive de la commune au district de Lyon. Celle de Cuire, au contraire, voulait être rattachée au district de la Campagne pour ces motifs : que les cultivateurs sont éloignés par leurs habitudes de celles des villes ; que la situation élevée de leur territoire ne les laissera pas participer aux avantages que l'industrie et le commerce assurent aux habitants de Lyon ; que, d'ailleurs, la ville et le bourg sont de fait séparés par les murs et fossés de la fortification, etc.

Le conseil général du Département, à diverses reprises, délibéra sur la question et finit par décider le 15 décembre, que l'Assemblée Nationale serait priée de décréter :
1° que, à dater de la Saint-Martin 1792, la commune de Cuire-la-Croix-Rousse et celle de Caluire seraient réunies pour ne former qu'une seule municipalité et un seul canton ;
2° que les limites de ladite commune au nord, du Rhône à la Saône, constitueront celles du district de Lyon.

Ce voeu ne fut qu'imparfaitement rempli. La loi du 2 mars 1792 rattacha Cuire au canton de la Croix-Rousse, et Caluire à celui de Saint-Cyr. Cuire-la-Croix-Rousse continua d'appartenir au district de Lyon, et Caluire à celui de la Campagne.

Les citoyens de Cuire-la-Croix-Rousse sont invités, le 14 juillet, par voie d'affiches, à assister à la prestation du serment civique qui aura lieu, à midi précis, sur la place de la fédération de la commune.

A ce même moment, la municipalité constatant la diminution du prix des grains et l'espérance que donne la plus belle des récoltes, arrête que le pain uniforme, tel qu'il se fabrique dans la ville de Lyon "sans son ni recoupe", sera fixé au prix de 1 sous 9 deniers la livre.

Quelques jours plus tard, le 3 août, la municipalité autorisait les habitants de la commune, sauf l'agrément de l'évêque, à aller en procession à Notre-Dame de Fourvière "y entendre une messe pour demander à Dieu, par l'intercession de la très Sainte Vierge, de donner la pluie dont la terre a le plus grand besoin".

Cette immixtion de l'autorité civile dans l'accomplissement d'un acte essentiellement cultuel peut étonner. C'est, avec beaucoup d'autres, une caractéristique de l'esprit du temps, qui démontre combien le sentiment religieux gardait encore d'empire sur les âmes.

Le club lui-même, ce foyer d'ardent civisme, cette jacobinière où s'élaboraient les motions les plus avancées, et qui réunissait tout ce que la commune comptait d'hommes exaltés, le club manifestait aussi son attachement à la religion séculaire des Français. C'est ainsi qu'il décida d'assister en corps à la messe célébrée dans l'église des ci-devant Augustins, et suivie du chant du Veni Creator, à l'occasion des élections à l'Assemblée Législative.

Le club demandait à la municipalité d'ordonner qu'une procession soit faite le jour de la Fête-Dieu et que deux reposoirs soient élevés, l'un à la porte de la Croix-Rousse, l'autre près du chemin de la Boucle.

Il statuait enfin de faire célébrer, au décès de ses membres, un service funèbre auquel seraient conviés tous les sociétaires.

Il excluait pour un mois, un de ses adhérents, le citoyen Nicou, pour l'avoir insulté, et avoir "juré par différentes fois le saint nom de Dieu".

Mais cette mentalité était étroitement subordonnée à la politique du jour, et puisque cette politique n'admettait à l'exercice du culte public que les seuls prêtres assermentés, à l'exclusion des autres qu'elle tenait pour ennemis de la Révolution, le club poursuivait de son hostilité tout ce qui, dans l'ordre religieux comme ailleurs, ne se soumettait pas aux prescriptions de la législation nouvelle.

Dès le 24 avril, un de ses membres, l'ex-augustin Larivoire, avait réitéré, devant la municipalité, le serment de fidélité à la Constitution qu'il avait prêté lors de la précédente fédération.

Les prédications accoutumées du carême avaient été commencées par l'ex-augustin Basile Célard. Le club demande aussitôt que le prédicateur soit astreint au serment civique exigé de tout fonctionnaire public. L'abbé Célard est alors remplacé par l'abbé Plagniard, comme lui ci-devant augustin, mais qui avait donné des gages à l'ordre nouveau.

Le club témoigne à Plagniard sa reconnaissance, l'invite à venir dans son sein recevoir les félicitations dues à son patriotisme, et décide de se rendre en corps à son prochain sermon. La séance, ajoute le procès-verbal, commencera aussitôt après que cet hommage aura été rendu à la Religion.

Puis, c'est l'aumônier et les Soeurs de l'établissement de l'Enfance qui sont, à leur tour, l'objet des mêmes récriminations du club. Les Soeurs sont peu après dénoncées pour leur refus de conduire les enfants à la messe du prêtre assermenté.

Le club accentue son ingérence en demandant à l'Assemblée Nationale d'autoriser l'évêque à requérir les prêtres assermentés de se rendre dans les paroisses dépourvues de pasteurs, pour y exercer les fonctions curiales, sous peine de privation de leur traitement.

Cette ingérence frise le ridicule quand notre club discute, le 5 juin, sur la nécessité du mariage des prêtres, conclut à la validité de ce mariage et transmet cette motion au comité central.

Mais elle devient odieuse quand elle en arrive aux procédés de persécution brutale. Dans la séance même où ils réclament le mariage des prêtres, nos réformateurs décident de demander au citoyen évêque, la fermeture des églises des Missionnaires, de la Charité, de Saint-Charles, de la Trinité et de Sainte-Marie de Bellecour. Les citoyens Richard et Larivoire sont, à cet effet, délégués auprès de Lamourette.

Puis les dénonciations surgissent.

Nous avons vu plus haut celles qui visaient le curé Parichon. Au milieu d'août, on signalait "un conciliabule de prêtres réfractaires" dans la maison de l'Enfance. Le citoyen Mure est chargé d'informer sur "cet objet important".

L'enquête révèle qu'il y a actuellement, dans le canton, six ou sept maisons où des prêtres réfractaires vont journellement dire des messes. Ce sont : la maison Savaron, celle du juge de paix Chevassu, les maisons Dupré et Plagenal, l'habitation de Jean Mulet, jardinier, près l'Enfance, la maison Vouty, à la tour de la Belle-Allemande, la maison de la veuve Lanoix et celle des demoiselles Guillermain dans laquelle on voit entrer quotidiennement l'ex-Père Basile Célard. Est encore citée la chapelle de l'ancien séminaire de Saint--Pothin, maintenant propriété de la veuve Esparon, où célèbrent des prêtres "non conformistes".

Le club expose, en outre, que les habitants de Cuire insultent ouvertement leur vicaire constitutionnel. Ils ont même, dans une procession récente, caché malicieusement le crucifix et la bannière.

Enfin, il dénonce à nouveau l'aristocratie hautement déclarée de l'aumônier et des Soeurs Saint-Charles qui n'ont point prêté le serment à la Constitution, et n'amènent plus les enfants, confiés à leurs soins, à la messe du bourg depuis que deux des ci-devant augustins ont prêté le serment.

En conséquence, le District est invité à ordonner des perquisitions et visites domiciliaires. La municipalité est accusée en même temps d'user en cette occurrence, d'une tolérance incivique en se refusant à sévir bien que plusieurs fois avertie.

Quelle suite fut donnée à ces sommations ? Nous ne saurions le dire, n'ayant rencontré jusqu'ici aucun document propre à nous renseigner.

Nous savons seulement que le sous-maître des petites écoles, qui avait refusé le serment, fut remplacé, le 28 août, par les sieurs Gayet et Touron envoyés par M. Aymard, supérieur du Séminaire de Saint-Irénée. L'abbé Joseph Fournet avait été d'abord désigné pour cette suppléance, mais la municipalité n'avait pu l'agréer à cause d'un défaut de prononciation dont il était atteint, et aussi parce qu'elle l'estimait trop jeune pour conduire seul une école composée de plus de cent jeunes gens.

CHAPITRE VII
1791 (suite)


L'ex-augustin Plagniard, curé de la Croix-Rousse. - Inventaire des effets de la sacristie. - Prestation du serment par les vicaires. - Election des fabriciens. - Inventaire général des effets et du mobilier de l'église. - Création d'un cimetière. - Règlement du compte des ex-Augustins. - Proclamation de la loi constitutionnelle. - Election d'une nouvelle municipalité. - Inscription pour le jury. - Taxe du pain. - Demande pour la réunion de Caluire à Cuire-la-Croix-Rousse. - Projet d'un pont sur la Saône. - Les notaires de la Croix-Rousse. - Difficultés pour la rentrée des impôts.

L'heure était venue où l'érection de la Croix-Rousse en paroisse devait se compléter par l'élection du curé appelé à la desservir.

L'ex-prieur des Augustins, l'abbé joseph Labat, s'était présenté à la municipalité le 17 août. Il lui avait déclaré avoir toujours donné des preuves multipliées de son patriotisme, et de la parfaite conformité de ses principes avec ceux de la constitution civile du clergé. S'il s'était abstenu de prêter le serment, c'est qu'il n'y était pas astreint, n'étant pas fonctionnaire public.

Mais, comme des ennemis secrets s'en prévalaient pour le calomnier, il priait la municipalité de vouloir bien l'admettre à prêter un serment "qui est d'avance écrit dans son coeur". Le maire l'assura qu'il ne lui a jamais fait injure de douter de ses sentiments qu'il a manifestés en maintes occasions. Puis, il reçut son serment que Labat prononça à la manière accoutumée, la main sur la poitrine, en disant : "je jure d'être fidèle à la Nation, à la Loi, au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution civile du clergé décrétée par l'Assemblée Nationale".

C'était sa candidature à la cure nouvelle que l'ex-prieur posait implicitement, candidature que la municipalité ne tardait pas d'appuyer par ces arguments, justificatifs :
1° Il importe que le nouveau curé jouisse de la confiance générale pour que sa désignation n'entraîne pas les mêmes troubles qui affligent beaucoup de paroisses du département.

2° Il convient de réaliser le voeu déjà formulé dans les assemblées primaires, que les fonctions curiales soient attribuées à un des ci-devant religieux Augustins : ce serait reconnaître le zèle fervent et la piété de quelques-uns de ces Pères qui, en fait, remplissaient jusqu'ici la plupart de ces fonctions.

3° Enfin, l'abbé Labat, entre tous, est particulièrement digne du suffrage des électeurs pour les considérations que voici : depuis près de trente ans qu'il réside dans cette commune, l'exprieur a montré autant de zèle à prodiguer les secours spirituels que de patriotisme ; la confiance méritée de ses concitoyens l'a désigné aux fonctions d'aumônier de la garde nationale dès sa formation, en juillet 1789, fonctions dans lesquelles il a été continué depuis, avec l'assentiment de tous. Il a protesté dans l'assemblée primaire du 25 mai 1790, tant pour lui que pour sa communauté, contre les efforts tentés auprès des corps ecclésiastiques pour les amener à repousser le décret du 13 avril. L'ex-prieur déclarait regarder ce décret "comme le témoignage le plus assuré du respect de l'Assemblée Nationale pour la Religion". Enfin il a prêté le dernier serment civique, et prouvé en toute occasion qu'il portait dans son coeur les principes récemment décrétés de la Constitution civile du clergé. En conséquence, la municipalité exprimait le voeu que l'assemblée électorale du canton portât ses suffrages sur l'abbé Labat pour la cure de la paroisse.

Malgré cette sorte de pression et nonobstant les titres civiques si abondamment exposés, le corps électoral fit choix d'un autre sujet : l'ex-augustin Constantin Plagniard, maintenant l'abbé Charles Plagniard, qui devint ainsi le premier curé de la Croix-Rousse érigée, comme on l'a vu, en paroisse sous le vocable de Saint-Augustin qu'elle devait garder jusqu'au Concordat.

Le nouveau pasteur était un adepte déterminé de la Révolution. Il s'était déclaré pour elle dès ses commencements, et la suite de cette étude montrera qu'il se laissa entraîner jusqu'aux conséquences extrêmes d'une situation toujours plus violente. Plagniard, du reste, ne tarda pas à s'imposer à l'attention par la publication d'un libelle dirigé contre les enseignements de l'archevêque de Marbeuf.

Le vicaire Nodet, desservant l'église de Cuire, y avait remplacé l'abbé Parichon que nous avons vu refuser son adhésion à Lamourette.

La cure étant pourvue d'un titulaire, la municipalité fit dresser un inventaire des effets et ornements destinés au culte. Ces objets étaient restés dans la sacristie des ci-devant Augustins, sous la garde des ex-frères Tissot et Plantier.

L'installation solennelle du curé de la Croix-Rousse eut lieu le dimanche 20 octobre, avec le cérémonial énoncé dans le procès-verbal qui suit, consigné au régistre de la municipalité :
"Nous (officiers municipaux) nous sommes transportés, accompagnés de la garde nationale de cette commune pour le maintien du bon ordre, dans l'église paroissiale de Saint-Augustin, où étant à la principale porte d'entrée, après y avoir attendu un instant, est intervenu le sieur Plagniard, curé nommé par les électeurs à la pluralité des suffrages, accompagné de ses diacres et sous-diacres. Nous avons de suite mis en possession ledit sieur curé de l'église paroissiale et des fonts baptismaux. De là, il est monté en chaire où il a prononcé un discours constitutionnel, à la suite duquel il a prononcé le serment suivant : je jure d'être fidèle à la Nation, à la Loi, au Roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution civile du clergé décrétée par l'Assemblée Nationale. De laquelle prestation de serment il a requis acte que nous lui avons octroyé. Ensuite, il est descendu de la chaire et nous l'avons mis en possession du maître-autel. De là, nous l'avons conduit à la sacristie et au clocher, l'avons pareillement mis en possession desdits deux objets. Après quoi, il est revenu célébrer une grand'messe au maître-autel, après la célébration de laquelle nous l'avons accompagné à la procession qu'il a faite sur toute sa paroisse dans les extrémités, seulement à l'exception de la succursale d'icelle, dont nous avons renvoyé la mise en possession au dimanche vingt-trois de ce mois.
"De retour de la dite procession, nous sommes retirés dans la salle ordinaire de nos séances, à l'effet de rédiger les présentes avec ledit sieur Plagniard qui a signé avec nous".

Comme il vient d'être dit, la prise de possession de la succursale de Cuire par Plagniard eut lieu le 23 octobre. En voici le procès-verbal :
"Sur la réquisition du procureur de la commune et celle du sieur Plagniard, curé de la paroisse de Saint-Augustin, assistés de la garde nationale de cette commune, nous nous sommes rendus avec les susnommés en procession pour mettre ledit sieur Plagniard, curé, en possession de la succursale de Cuire dépendante de la susdite paroisse.

"Etant arrivé dans l'église de la succursale susdite, nous avons mis en possession ledit sieur curé de la manière accoutumée, en présence du sieur Nodet, vicaire desservant icelle. M. Léger, un des officiers municipaux substituant M. le procureur de la commune, a requis acte de la mise en possession de la succursale et autres objets en dépendant, dont et du tout nous avons octroyé acte, et ont les susnommés signé avec nous".

Le 16 octobre, le sieur Pitra (Antoine), premier vicaire de Plagniard, prêtait serment dans l'église paroissiale, en présence du curé et du corps municipal qui en dressait le procès-verbal qui suit :
"Ledit sieur Pitra est monté en chaire où il a prononcé un discours constitutionnel, à la suite duquel il a prononcé le serment suivant : Je jure d'être fidèle à la Nation, à la Loi et au Roi, de maintenir de tout mon coeur la constitution civile dît clergé décrétée par l'Assemblée Nationale".

Le 27 novembre, le sieur Enay (Claude-François), nommé second vicaire, prêtait son serment dans les mêmes termes et avec le même cérémonial, après avoir prononcé un discours "très édifiant".

Sur la demande du curé Plagniard, la municipalité avait désigné le 7 novembre, deux de ses membres, MM. Burel, maire, et Léger, pour administrer le temporel de l'église, jusqu'à ce que l'Assemblée primaire ait été convoquée pour l'élection de quatre fabriciens.

Cette élection eut lieu le 11 décembre, et désigna aux fonctions de fabriciens : MM. Francey fils, Guinat, Bonamour et Berthet.

Le premier soin de ceux-ci fut de se présenter au curé, et de réclamer la remise des comptes laissés par leurs prédécesseurs intérimaires. Sur la demande qu'ils lui en firent, la municipalité leur concéda provisoirement l'usage d'un petit cabinet contigu à la salle de ses séances, pour y déposer leurs régistres de comptabilité et délibérer sur les affaires de la paroisse. Le District était en même temps invité àréserver aux fabriciens une salle dans les vastes locaux du presbytère, lorsqu'il en fixerait les dispositions définitives.

Leur installation se fit, le vendredi 6 janvier 1792, avec le cérémonial énoncé au procès-verbal que voici :
"Nous, maire, officiers municipaux, nous sommes rendus au choeur de l'église paroissiale, et après avoir ouï la messe et à l'issue d'icelle, où étaient les sieurs Francey fils, Bonamour, Guinat et Berthet, fabriciens le sieur Pitra, vicaire de ladite paroisse, après la messe célébrée par le sieur Enay, a fait lecture du procès verbal de l'élection desdits fabriciens, de la notification qui en a été faite au sieur Plagniard, curé. Et de suite, lesdits sieurs ont été installés fabriciens de cette paroisse, et ont prêté le serment requis par lequel ils ont juré de remplir avec exactitude les fonctions qui leur étaient confiées".

Entrant en charge, les nouveaux fabriciens procédèrent, le 19 janvier, à un inventaire général des ornements et effets mobiliers de l'église et de la sacristie. Nous le reproduisons in-extenso.

ARGENTERIE
Trois calices unis. Trois ciboires et la piscine. Un grand ostensoir. Une boîte pour les saintes huiles. Une boîte pour les fonds baptismaux. Un récipient pour la sainte hostie de l'ostensoir. Une petite sainte Vierge en bois sur un globe en argent, et son sceptre en argent.

CUIVRE BLANCHI
Une croix pour les processions. Deux chandeliers d'acolyte. Un encensoir et sa navette. Quarante-deux chandeliers, tant grands que petits. Huit croix pour l'autel, tant grandes que petites. Huit lampes. Deux bénitiers. Deux chandeliers à branches pour l'exposition.

CUIVRE ROUGE
Une lampe portative. Quatre chandeliers pour messe basse. Deux chandeliers pour la sacristie. Deux bassins en cuivre. Deux bras dorés pour l'exposition. Un bassin d'étain. Un falot pour accompagner le bon Dieu.

ORNEMENTS
Vingt-cinq chasubles communes passées. Deux dalmatiques en soie brochées, communes et passées. Une chasuble et deux dalmatiques damas blanc, galons or. Une chasuble et deux dalmatiques damas cramoisi, galons argent. Une chasuble et deux dalmatiques damas noir, galons argent. Un ornement complet en panne noire, très commun. Une chasuble gros de Tours, brochée argent et bordée galons argent. Une chasuble damas broché, nuée or et galons or. Une chasuble damas violet, galons système argent. Une chasuble satin vert, dentelle or et argent. Une chape tissu de galons or. Une chape commune et inservable. Une chape moire violet, galons argent. Quatre chapes noires, bien usées et communes, galons soie. Une chape velours noir, galons argent. Deux écharpes dont une en damas blanc, galons argent, et l'autre en gros de Tours blanc brodé galons argent, le tout vieux et commun. Un dais damas blanc broché, franges or, doublé d'un taffetas ponceau. Un dais damas cramoisi pour le viatique. Un voile pour le Saint-Sacrement, soie et frange or. Cinq pavillons pour l'exposition du Saint-Sacrement. Vingt-quatre bouquets artificiels, tant rouges que blancs. Un gros bouquet artificiel dans un étui de verre. Quatre robes de soie pour l'Enfant-Jésus.

LINGES
Dix-huit aubes unies. Neuf aubes garnies en dentelles. Neuf aubes dont huit en mousseline et une dite unie. Trois aubes avec garnitures pour acolytes. Dix surplis unis sans garnitures. Dix surplis garnis en dentelle et mousseline. Seize nappes garnies. Trente nappes unies, tant grandes que petites. Cinq nappes pour la communion. Neuf nappes plus petites pour le même objet. Dix-sept essuie-mains. Soixante-dix-sept corporaux. Quatre-vingt-dix-neuf amicts.
Trois cents purificatoires et lavabos. Vingt cordons blancs. Dix cordons de couleurs.

EFFETS MOBILIERS DE L'ÉGLISE
Trois grands tableaux dans le sanctuaire, compris celui du Maïtreautel. Onze grands tableaux, compris celui de la chapelle de Sainte-Modeste. Quatre petits tableaux dans l'église. Vingt-deux tableaux moyens dans la chapelle de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, non compris les tableaux des voeux rendus. Deux bancs de noyer servant de coffres. Quatre bancs de chêne. Deux prie-Dieu en noyer.

La nécessité d'un cimetière, à l'usage de la paroisse et de son annexe, s'imposait impérieusement.

Déjà la municipalité de Lyon avait proposé à celle de la Croix-Rousse (18 juillet) l'établissement à frais communs, sur le territoire de cette dernière, d'un cimetière où seraient inhumés, avec les habitants de la commune, ceux de la ville qui demeurent dans le périmètre compris entre les remparts et les rues de la Vieille-Monnaie et Bouteille.

Mais la municipalité de la Croix-Rousse, malgré son désir d'être agréable à celle de la ville, avait repoussé ce projet pour les considérations suivantes énoncées dans sa délibération "le devoir de l'administration municipale est d'écarter avec soin tout ce qui pourrait concourir à vicier l'air qu'on respire dans la commune". Or, l'adjonction des inhumations d'une partie de la ville à celles de la commune, dont la population est déjà considérable, ne pourra qu'augmenter "l'intensité des miasmes délétères, des émanations cadavéreuses dont les effets sont si redoutables et si funestes".

Notre municipalité manifestait son intention d'établir le champ des morts à l'extrémité septentrionale de son territoire, et cela parce que "le vent du nord sublime les vapeurs et les disperse, tandis que le vent du midi les rabaisse et les porte en masse sur les lieux voisins".

Elle arrête son choix sur un emplacement de 5.377 pieds de superficie, situé au-dessus de la montée de Cuire, où se trouve la croix dite de l'Ile, limité au midi par les propriétés de Louis Ruby, et au couchant par celles de Pierre Guy.

Cet emplacement convenait à sa nouvelle destination pour ces motifs :
1° C'était autrefois un cimetière ;

2° il appartient à la commune dont il occupe à peu près le centre, bien qu'il soit éloigné des maisons ;

3° il est exposé aux vents du nord ;

4° son étendue est suffisante pour servir à la paroisse et à sa succursale, qui présentent un total de décès d'environ quatre-vingts chaque année.

La municipalité dressa un plan des lieux et le soumit à l'approbation du District qui autorisa la construction des murs de clôture. Il y avait urgence à ce qu'intervienne une décision définitive parce que, en attendant la mise en état du cimetière, les cadavres sont déposés dans les caveaux de l'église paroissiale où ils s'entassent, exhalent "une odeur infecte qui éloigne les citoyens le peuple murmure et une épidémie est à craindre". La moyenne des inhumations était comme on l'a dit, d'environ 80 chaque année.

Cette ratification, le Département la donna le 11 janvier. Aussitôt après, l'administration municipale mettait en adjudication les travaux d'appropriation du cimetière qui fut enfin bénit, par le curé Plagniard, le 10 décembre 1792. Les inhumations y commencèrent dès le lendemain.

Le Couvent des Augustins réformés de la Croix-Rousse n'était plus. Les Religieux, ensuite des lois nouvelles, s'étaient dispersés, leurs biens meubles et immeubles avaient été vendus comme biens nationaux. Mais il restait à liquider la situation quant aux personnes ayant formé la ci-devant communauté. Le Directoire du district y procéda le 29 septembre.

Tout d'abord, un tableau fut dressé comme suit, du compte de régie des Religieux, pour l'année 1790 :

RECETTES
Livres sous

Rentes et pensions : 1.578
Quêtes : 1.171
Produit des domaines d'Ampuis, de Chaneins et du clos de la Croix-Rousse : 2.578 19
Vente d'argenterie : 908
Vente d'étain : 60
Provision payée par le Directoire, du 3 août 1790 : 1.800
Autre du 3 janvier 1791 : 1.200
Vins de la récolte d'Ampuis de 1789 et provisions en nature existant dans le monastère au 1er jan-vier 1790 : 2.000

Solde du traitement de 1790

DÉPENSES
Remboursement de capitaux et payements de rentes : 2.066
Réparations : 165
Impositions et décimes : 27.117
Frais de culture et régie : 188

Traitement de 1790
2 religieux à 1.000 livres : 2.000 livres
5 religieux à 800 livres : 4.000 livres
2 religieux à 700 livres : 1.400 livres
2 frères à 400 livres : 800 livres
2 frères à 300 livres : 600 livres

Puis, le Directoire, après apurement des comptes produits par les deux administrateurs chargés de leur vérification, statua définitivement en ces termes :

"La recette, en sept articles, demeure fixée à 11.297 livres. La dépense, en quatre articles, demeure réglée à 2.692 livres 6 sous. Partant, la communauté est déclarée reliquataire de 8.604 livres 14 sous. Mais, d'un autre côté, elle a à répéter le traitement de chaque religieux et frère, pendant l'année 1790, et dont le total forme la somme de 8.800 livres.

"La communauté avait été déclarée reliquataire, à la forme de l'apurement du compte ci-dessus, de 8.604 livres 14 sous. Cette somme déduite des 8.800 livres, la communauté est créancière, toutes déductions et compensations faites, de 195 livres 6 sous. Au moyen de quoi, la totalité des pensions des religieux et frères pour 1790 se trouvera soldée.

"Le Directoire a fait ajouter au chapitre des recettes, le 6e article estimé à 2.000 livres, pour tenir lieu de la valeur des provisions et denrées existantes dans la communauté au 1er janvier 1790. Le Directoire arrête que le solde de 195 livres 6 sous sera réparti entre les religieux et frères au marc la livre de leur traitement, et qu'il ne sera néanmoins payé par le receveur du District qu'après qu'il lui aura été justifié que chaque religieux et frère, jouissant d'un traitement de plus de 400 livres, a fait sa déclaration de contribution patriotique et en acquitte les termes échus, et encore après qu'il aura été vérifié si les treize religieux et frères portés dans l'état du traitement, ont tous vécu en communauté pendant le temps indiqué dans cet état, si aucun n'avait quitté la vie commune et changé de domicile".

Le dimanche 16 octobre, eut lieu la proclamation solennelle, dans la commune, de la loi constitutionnelle établie par l'Assemblée Nationale et acceptée par le Roi. Cette proclamation fut faite par la municipalité. Le texte de l'acte constitutionnel avait été au préalable affiché, et lu au prône de la messe paroissiale.

Une nouvelle municipalité fut élue le 13 novembre. Elle était formée de Messieurs Burdet (Pierre), maire. De la Poix de Fréminville (Claude-Edme). Pitiot (Joseph). Nesme (Claude). Lacoste (Jean). Mazet (Pierre). Lanyer (Fleury), procureur de la commune. Les notables étaient Messieurs Francey fils (Pierre). De Fréminville fils. Gonon aîné (Jean). Mary (Pierre). Giraud (Louis). Baudrand (Jean). Lacour (Simon). Féraud (Martin). Berger (Joachim). Revol (Joseph). Privat (Jacques). Boucharlat (Gaspard).

Quelques jours plus tard, elle s'adjoignait le notable Boucharlat (Simon) à titre d'officier municipal suppléant.

Un des premiers soins de la nouvelle administration fut d'assurer l'exécution de la loi du 29 septembre, portant institution du jury.

A cet effet, un régistre fut ouvert où devaient s'inscrire tous les citoyens aptes à l'électorat, sous peine de privation, pendant deux ans, de droit de suffrage aux fonctions publiques.

Puis, elle règle la taxe du pain par l'arrêté suivant :

ART. PREMIER
A compter du 18 décembre, le prix du pain fabriqué avec de la pure farine de froment, sans aucun mélange de son ni recoupe, demeure fixé à deux sous six deniers la livre. Faisons défense aux boulangers de cette commune, ainsi qu'aux forains, d'en fabriquer ni exposer en vente d'une qualité inférieure, sous peine de dix livres d'amende.

ART. 2
Les qualités de pain supérieures seront vendues à prix débattu.

La municipalité délègue à Paris le notable De Fréminville fils pour obtenir de l'Assemblée Nationale un décret opérant la réunion de Caluire à Cuire-la-Croix-Rousse, conformément au voeu du Conseil Général du département.

La réunion de Cuire à Caluire, nous l'avons dit, bien qu'existant en fait, ne reçut que plus tard la consécration légale.

La municipalité proteste ensuite contre le projet de construction d'un pont sur la Saône, en face de la Pyramide de Vaise et devant aboutir sur la rive gauche, vis-à-vis les possessions du sieur Déchamp.

Cette protestation était basée sur ces motifs que la navigation souffrirait de cette construction parce que, la rivière faisant un coude à cet endroit, les bateaux courraient le risque d'être jetés contre les arches en cas de grosses eaux. Les intérêts généraux en souffriraient aussi en raison des frais énormes qu'entraînerait l'érection d'un pont qui aurait neuf arches au moins, si on l'établissait sur cette partie très large de la Saône, sans compter la dépense considérable qu'exigerait la construction de fortes culées, et le prolongement du quai jusqu'à la ville. Enfin, les intérêts du quartier de Serin seraient lésés en ce que les propriétés de son territoire perdraient de leur valeur par suite de l'éloignement du pont.

La municipalité demande donc que le nouveau pont soit rapproché du quartier de Serin, et placé en regard de la fonderie du côté de Vaise, et vis-à-vis du clos du sieur Constant sur le bord opposé. Cet emplacement n'exigera que trois arches, les deux culées et une des piles seraient fondées sur le roc, d'où grosse économie de main-d'oeuvre et pleine sécurité pour la navigation.

A une séance qui suit, et pour répondre aux stipulations de la loi du 6 octobre, la municipalité déclare que, vu le chiffre de la population de la commune, (4.500 âmes, 700 citoyens actifs) il y a lieu de n'y maintenir que deux notaires, sur les quatre qui y résident actuellement.

Elle manifeste sa préférence en faveur de MM. Omelle et Puy qui jouissent de la confiance la plus étendue, ce dernier ayant, en outre, une nombreuse famille.

Le Directoire du district accède à ce voeu, le 5 janvier suivant :
la rentrée de l'impôt était quelque peu laborieuse en cette fin de l'année 1791. Les contributions mêmes de 1790 n'étaient pas intégralement acquittées au 3 juillet "un reliquat de 3.259 livres 7 sous denier restait à recouvrer sur un ensemble de 17.662 livres 7 sous et denier mis à la charge de la commune. Les collecteurs expliquent que ce retard est dû aux bourgeois qui ont présenté au District des requêtes en réduction de taxes".

Le 31 juillet, le tableau des sections pour la contribution est déposé au greffe de la municipalité. Les propriétaires sont avisés d'avoir à y faire, dans la quinzaine, la déclaration de leurs revenus, sous peine d'être taxés d'office.

Huit jours plus tard, et sur la proposition de la Société des Amis de la Constitution, la municipalité statue que les citoyens seront tenus de payer, dans la huitaine, une somme égale à la moitié du chiffre de leur imposition pour 1790, et ce en acompte de leurs impositions pour 1791. Et pour accélérer ce versement, trente-deux commissaires pris, moitié dans le corps municipal, moitié parmi les Amis de la Constitution, reçoivent mission d'effectuer une tournée chez les contribuables. Ils donneront, pour les sommes qui leur seront remises, une quittance constituant décharge auprès du receveur de la commune.

Nonobstant ces mesures exceptionnelles, la perception des taxes ne s'opérait qu'avec lenteur car, le 16 septembre, le Directoire du district rappelait à la municipalité le payement en retard des acomptes de la contribution foncière et mobilière.

Ce retard s'élevait à la somme de 1.854 livres 7 deniers. Aussi des contraintes furent-elles décernées, dès le 23 septembre, par le receveur du district, Valesque, et la municipalité était-elle invitée à aider au paiement des taxes.

Enfin, présentant ses comptes à la municipalité, le 4 décembre, le receveur de la commune, Bassereau, constate qu'il reste à rentrer la somme de 1.286 livres 7 sous et 3 deniers sur le droit des patentes.

CHAPITRE VIII
1792


Rapport de la municipalité. - Menées séparatistes de Cuire. - Impositions écrasantes et protestations. - Déficit des finances communales. - Organisation de la garde nationale. - Prestation du serment et demande d'armes. - La maison de l'Enfance et réclamations de la municipalité.

Le 4 janvier 1792, par l'organe de son Bureau formé de MM. Bonamour, Léger, Defarge et Guinat, l'ancienne municipalité rend ses comptes à celle qui lui a succédé. Au nom de ses collègues, le sieur Léger prononce ce préambule :
"Messieurs, nous venons nous acquitter d'un devoir sacré et indispensable en rendant les comptes de notre administration. La Loi qui nous y oblige ne parle pas plus énergiquement à nos coeurs que le besoin de justifier, aux yeux de nos concitoyens, la confiance dont leurs suffrages nous avaient honorés. jaloux de conserver dans notre retraite leur estime et leur bienveillance, nous allons exposer au grand jour l'état de notre administration.
"Dans le compte qui vous fut rendu l'année dernière, vous vîtes avec quelle rigoureuse économie on avait administré les deniers de la commune. Le résultat que nous avons à vous offrir est moins satisfaisant peut-être, les dépenses se sont accrues avec les besoins, elles se sont multipliées en raison des circonstances.
"L'année dernière, toutes les dépenses relatives au service de la Garde nationale avaient été supportées par les officiers en chef et en sous-ordre cette année, le même désintéressement n'a pas eu lieu, ce qui a augmenté la masse du fardeau qui a pesé sur la commune. Nous avons eu aussi beaucoup de dépenses extraordinaires que les circonstances ont nécessitées".

Le total des dépenses a été de 1.470 livres 5 sous 3 deniers, et le compte récapitulateur présente un excédent de l'actif sur le passif de 2.151 livres 2 sous 5 deniers.

Cette situation constatée et décharge ayant été donnée des pièces justificatives le maire adresse quelques paroles élogieuses à l'ancienne municipalité :
"Il est flatteur pour nous de succéder à des administrateurs qui ont mérité, par leur attachement à la chose publique, leur zèle et leurs lumières, la reconnaissance de leurs concitoyens.
"Nous nous estimerions trop heureux si, dévoués comme nous le sommes, après avoir rempli notre tâche, nous avions imité nos "prédécesseurs".

Un arrêté du Département, en date du 15 décembre 1791, portait que l'annexe de Cuire demeurait réunie à la municipalité de la Croix-Rousse, laquelle était autorisée à dresser les rôles d'impositions de 1792 pour l'ensemble de la commune, comme elle l'avait fait pour le passé.

Les menées séparatistes de Cuire n'avaient pas cessé. Ses habitants s'étaient unis à ceux de Caluire pour concourir à la formation des mêmes rôles.

En vue de mettre fin à cette situation, notre municipalité décide, le 11 janvier, de notifier l'arrêté du Département :
1° au sieur Nodet vicaire de l'annexe, pour le lire à l'issue de la messe paroissiale ;

2° aux municipalités de Saint-Cyr et de Caluire, dans l'espoir qu'elles se concilieront pour faire cesser toutes coalitions, et ramener à la Loi les citoyens de la succursale de Cuire égarés "par de mauvais conseils".

Le montant de la contribution foncière de la commune pour l'année 1791, est de 23.998 livres 9 sous 7 deniers, compris les sous additionnels, pour un total des revenus fonciers qui est de 68925 livres.

Quant à la contribution mobilière, elle s'élève à la somme de 7.622 livres 8 sous 9 deniers, soit pour le principal 6.371 livres 3 sous 3 deniers, et 1.251 livres 5 sous 6 deniers pour les deux sous pour livre du fonds des non-valeurs, les charges du département et du district.

Ce total des contributions foncière et mobilière, imposées sur Cuire-la-Croix-Rousse par l'administration supérieure, était vraiment écrasant. Aussi la municipalité formule-t-elle ses réclamations en séance du 1er avril.

Tout d'abord, le procureur de la commune constate que, dans la répartition des contributions foncière et mobilière pour l'année 1791, Cuire-la-Croix-Rousse a éprouvé un accroissement considérable dans ses impositions, qui constitue une surcharge effrayante. Puis, le Conseil prend acte que, malgré la loi qui veut que nul ne soit imposé à plus du sixième de son revenu net, la commune a été taxée à plus du tiers du produit de son territoire.

Il considère encore que, sur une superficie totale de 3.400 bicherées, il y en a environ 1.800 en hermage (terre inculte ou presque) dont le produit est presque toujours inférieur aux frais de culture. Le surplus, à l'exception de 200 à 300 bicherées qui sont de bonne qualité, n'est que sable, gravier et cailloux, d'un travail difficile et presque improductif, surtout sur les balmes des deux fleuves.

Les 200 à 300 bicherées de première classe exigent une culture dont les frais s'élèvent à plus de 200 livres par bicherée, à cause de la difficulté du transport des engrais sur la montagne. Si peu que les récoltes éprouvent de la sécheresse, elles y périssent faute d'eau, ce qui occasionne chaque année la ruine de plusieurs fermiers.

Ce n'est qu'au prix d'un travail opiniâtre, d'une rigoureuse économie et de constantes privations, que les cultivateurs de la commune arrachent à la terre les ressources nécessaires au payement de leurs contributions. Tout concourt donc à démontrer que le territoire resserré de Cuire-la-Croix-Rousse ne peut suppor-ter une surcharge aussi considérable que celle qui vient de lui être imposée.

D'autre part, les maisons particulières, situées dans les rues principales, faisaient autrefois le principal revenu de la commune. Elles étaient avantageusement louées à de nombreux artisans qui venaient y habiter pour se soustraire aux contributions indirectes dont le pauvre était écrasé dans la ville de Lyon.

Mais la suppression des octrois ayant ramené dans la ville la plus grande partie de cette population, les maisons du bourg ont de ce fait perdu plus des deux tiers de leur valeur locative.

Les maisons de Serin ont aussi subi une grave dépréciation depuis que les voitures publiques ont cessé de s'arrêter à son port. Cette situation a privé les habitants de cette partie de la commune de leurs moyens de subsistance, et en a déterminé un grand nombre à se fixer à Lyon. Les contributions de la commune ont ainsi augmenté en raison de la diminution de ses revenus fonciers.

Le Conseil considère encore que la commune de Cuire-la-Croix-Rousse, dont la superficie n'est au plus que du trentième de celle de l'ancienne province du Franc-Lyonnais, est cependant imposée à une somme qui s'élève au tiers des contributions des autres municipalités de ce pays.

Enfin, la contribution mobilière ne peut se répartir dans la commune qu'avec beaucoup de peine et d'inégalité, parce que les personnes qui habitent les maisons de plaisance payent à Lyon leur contribution mobilière.

Donc, et en conséquence de tous ces motifs, le Conseil général demande que la contribution foncière soit réduite au sixième de son produit net, c'est-à-dire à 11.485 livres, et la contribution mobilière ramenée à 5.000 livres, outre les sous additionnels de l'une et de l'autre. Plus, que l'excédent d'impositions pour 1791 soit déduit de celles de 1792, conformément à la loi.

Ce voeu ne fut pas pris en considération. La part contributive de la commune pour 1792 resta, à quelque chose près, la même que pour 1791.

Notre municipalité éleva encore de vives protestations contre l'assimilation des contribuables de son ressort à ceux de la ville, dans l'attribution des taxes établies en remplacement de la gabelle et autres droits supprimés. "Nos concitoyens, déclare-t-elle, se sont déjà privés du nécessaire pour acquitter l'énorme surcharge des impositions de 1791".

Ainsi pressurés, les contribuables ne s'acquittaient qu'avec lenteur du payement de leurs taxes. Afin d'accélérer ces versements, le procureur de la commune, Lanyer, fit arrêter qu'un dernier avertissement serait adressé, au son de la caisse, aux citoyens d'avoir à payer dans les quinze jours, sous peine d'encourir les rigueurs de la loi.

Il y avait encore retard dans le payement de la contribution patriotique. Sur un total de 9.028 livres, 1.015 livres seulement étaient versées en octobre 1791. En avril 1793, cette taxe, dont la dernière échéance expirait une année auparavant, n'était pas intégralement acquittée. Le District en manifeste son étonnement et reproche à la municipalité de n'y avoir pas employé les mêmes procédés de contrainte que pour les autres contributions. On stimule le zèle du collecteur qui se voit menacé de mesures de rigueur, s'il "persiste dans son inaction".

Aux impôts exorbitants établis par la loi, vont s'ajouter bientôt des contributions spéciales que les circonstances du moment semblent réclamer. C'est ainsi que, le 16 février suivant, le Directoire du district adresse, aux officiers municipaux de la Croix-Rousse et de Vaise, l'invitation qui suit, conçue en ce style emphatique qui est alors à la mode :
"Citoyens,
"La Liberté nous est acquise, mais il nous reste encore plus d'un sacrifice à faire pour parvenir au bonheur qu'elle nous assure. L'humanité les réclame, la nécessité nous en fait la loi, et les tyrans ligués contre nous nous dictent ce devoir. Déjà, la République entière a senti cette nécessité, déjà les dons se multiplient de toutes parts. Les citoyens de votre commune seraient-ils les derniers à souscrire ? Non, ils sont citoyens français, ils ont une patrie à défendre, et cela suffit pour les engager à souscrire de suite en faveur de leurs frères sur les frontières, entièrement dénués de tout et presque nuds. Voilà, voilà le dernier effort à faire, et l'Europe entière sera libre.
"En conséquence, nous vous invitons, citoyens, à nommer de suite deux commissaires qui se transporteront chez les citoyens aisés de votre commune, pour les engager à donner ou souscrire en faveur de leurs frères sur les frontières, en leur observant de faire, autant qu'il le pourront, leurs dons en nature".

La situation des finances communales n'était guère plus brillante. Il y avait des dettes, et les créanciers harcelaient l'administration municipale de leurs réclamations en remboursement.

Ces dettes formaient un total de 4.502 livres 17 sous. Il devait revenir à la commune une somme de 6.683 livres 9 sous 5 deniers, provenant tant des deniers pour livre des impositions, que du seizième du prix de la vente des biens nationaux de son ressort qui lui était légalement attribuable.

La municipalité demanda au Département une avance de fonds sur sa créance afin d'acquitter les plus criardes de ses dettes. Le Département répondit qu'il transmettait cette requête à l'Assemblée Nationale.

Les dépenses communales s'élevaient, pour l'année 1792, au chiffre total de 4.356 livres. Le Conseil décida d'imposer le montant de cette somme sous la forme de sous additionnels, réserve faite de l'approbation des corps administratifs.

Une loi du 14 octobre 1791 prescrivait l'organisation de la garde nationale par départements, districts et cantons.

Dès le 2 janvier suivant, notre municipalité décidait qu'une affiche manuscrite, signée du secrétaire, ordonnerait aux citoyens âgés de 18 à 60 ans et astreints au service de la garde nationale, de se faire inscrire à la mairie.

Ce premier recensement donna un ensemble de 327 noms. Mais il y manquait ceux de nombreux habitants de Cuire qui, répugnant toujours à marcher avec ceux de la Croix-Rousse, s'étaient enrôlés à Caluire et à Saint-Cyr. Il y eut une protestation véhémente de notre municipalité, et le Département rendit, le 30 janvier, un arrêté enjoignant aux dissidents de réintégrer le bataillon croix-roussien. Ceux-ci, toutefois, ne s'empressèrent pas d'obéir, car en juin et juillet, on les comptait encore dans les rangs des gardes nationales des communes voisines.

Le zèle qu'avait déployé notre municipalité, dans ces conjonctures, fut apprécié en haut lieu. Le District et le Département lui adressèrent un témoignage officiel de leur satisfaction pour l'exactitude qu'elle avait apportée dans l'organisation de la garde nationale.

Le bataillon de Cuire-la-Croix-Rousse fut constitué à sept compagnies, dont une de grenadiers. Voici le tableau des chefs qui en reçurent le commandement :

Etat-Major.
Omelle, commandant en chef, Velay, commandant en second, Bertrand fils, adjudant, Thier, porte-drapeau.

Compagnie de grenadiers.
Calas, capitaine, Francey fils, lieutenant, Lacour, sous-lieutenant, Doriel, sous-lieutenant, Boiron, Soletty, sergents, Deschamps, Guy, Vero, Dutillier, caporaux.

Première Compagnie.
Fuz, capitaine, Moulin, lieutenant, Marchand, Bessenoy, sous-lieutenants, Berthet, Guillot, sergents, Melezet, Dutillier, Cheval, Brugnias, caporaux.

Deuxième compagnie.
Ditty, capitaine, Giroud, lieutenant, Matheron, Richard, sous-lieutenants, Perrin, Boulon, sergents, Richard, Laurencet, Valansot, Gey, caporaux.

Troisième compagnie.
Prost, capitaine, Privat, lieutenant, Tocanier, Nicoud, sous-lieutenants, Brun, Penet, sergents, Levrat, Nicoud cadet, Puy, Drivet, caporaux.

Quatrième compagnie-.
Liorat, capitaine, Fontanel, lieutenant, Sicard, Burel sergents, Chalinat, Vital, Cadis, Pois, caporaux.

Cinquième compagnie.
Burel, capitaine. Serre, lieutenant, Boucharlat, Chabert, sous-lieutenants, Revol, Gonon aîné, sergents, Ruby, Biorne, Feraud, Feraud, caporaux.

Sixième compagnie.
Repelin, capitaine, Dubois, lieutenant, Arbout, Duon, sous-lieutenants, Prat, Lafond, sergents, Hyvemon, Fayet, Gay, Franillat, caporaux.

La prestation solennelle du serment eut lieu le dimanche 29 avril. Un autel avait été élevé, sur la place, où la messe fut célébrée par le premier vicaire, Pitra. Il bénit le drapeau et les guidons, puis il prononça un discours sur la Constitution qui fut suivi d'un discours du commandant. La formule du serment ayant été lue, les officiers et sous-officiers du bataillon, rangés devant l'autel, clamèrent "je le jure".

La cérémonie se clôtura sur un troisième discours d'un des capitaines, le sieur Burel fils, qui exposa l'état critique où se trouvait la France à ce moment.

Il invita ses camarades, et tous les bons citoyens, à ouvrir une souscription pour subvenir aux frais de la guerre, et aider ceux qui versent leur sang pour la défense de la patrie.

Restait à pourvoir d'armes le bataillon ainsi organisé et animé "d'excellentes dispositions".

La municipalité demanda (4 mars) 400 fusils et des cartouches. Elle affirma que ses commettants "dans les conjonctures délicates où se trouve la patrie, où les ennemis du dedans la menacent plus encore que ceux du dehors, sont disposés à repousser les uns et les autres avec tout le courage qu'on peut attendre de bons citoyens".

Deux mois après, le commandant demande qu'il lui soit assigné un lieu d'exercices pour son bataillon et qu'on lui fournisse la poudre et les balles nécessaires aux tirs à la cible.

Aux termes de l'article 16, section 3, de la loi du 14 octobre, les bataillons de la garde nationale étaient convoqués le premier dimanche des mois d'avril, mai, juin, septembre et octobre, pour se livrer à des manoeuvres militaires. Entre temps, s'effectuait l'inspection des armes qui avaient été antérieurement distribuées.

Le 14 août, la municipalité représente que la garde nationale de Cuire-la-Croix-Rousse compte 680 hommes, dont 55 vétérans. Il faudrait donc 625 fusils et des munitions en proportion. Mais comme elle a reçu, l'an dernier, 100 fusils donnés par le Département et 100 fusils achetés par la commune, il faut encore les 400 fusils déjà réclamés pour que tous les hommes soient armés.

Elle réitérait peu après sa demande de balles et d'un baril de poudre. Les 400 fusils étaient réclamés derechef un mois plus tard.

Nous avons vu plus haut que la municipalité de la Croix-Rousse avait procédé les 11 et 18 août 1790, à l'inventaire de la maison de l'Enfance, sur l'ordre du District.

Au commencement de cette année 1792, cet établissement comprenait un hospice pour les femmes en démence, une maison d'éducation pour les jeunes demoiselles et d'enseignement gratuit pour les enfants de la commune, de l'un et de l'autre sexe. En raison de ce caractère et de cette destination, les édiles croix-roussiens revendiquaient, de par la loi, l'administration de la maison de l'Enfance que la municipalité de Lyon leur avait enlevée.

Dans la séance du 18 janvier, le maire expose la question. "Une administration étrangère, dit-il, s'est substituée à la vôtre dans cet établissement si important dans ses rapports avec le bien général, et si intéressant dans ses rapports particuliers avec nos concitoyens. Ce nouvel ordre de choses a déjà produit les plus mauvais effets. Les enfants de cette commune sont abandonnés à des personnes affranchies de notre surveillance une partie des ressources de la maison est anéantie par la suppression du pensionnat le renvoi des Soeurs chargées de l'instruction a créé, pour la vieillesse de nombre d'entr'elles, la cruelle injustice de les priver des ressources que leur assuraient les règlements, en retour d'une vie entière consacrée aux fonctions les plus pénibles.

"Il faut prévoir, en outre, que la suppression du pensionnat pourra entraîner celle de l'hospice, car ce dernier n'est soutenu que par la confiance que méritaient les soins et la sensibilité charitable des Soeurs. Nous perdrions alors, dans cette commune, un établissement qui, par ses besoins et ses consommations, procure la subsistance à un grand nombre d'artisans, et la Nation serait privée d'un bénéfice annuel de plus de 8.000 livres.

"Qu'on n'objecte pas, termine le maire, que cette maison est une propriété du Bureau de Saint-Charles, et qu'elle fait partie des biens du Séminaire. Le Séminaire est supprimé. Toutes les maisons destinées à l'utilité publique appartiennent à la Nation suivant les dispositions garanties par la loi constitutionnelle. C'est donc au corps administratif seul à surveiller la maison de l'Enfance, et il serait contraire à tous les principes qu'une municipalité autre que celle-ci fût chargée de ce soin".

Une délibération conforme fut adressée à l'administration supérieure, avec instante réclamation de la réintégration des Soeurs.

Pour sagement motivée qu'elle fût, cette requête n'obtint pas satisfaction. Contrairement à la thèse du maire, le Directoire du district décida que la municipalité de Lyon avait le droit de nommer les administrateurs de la maison de l'Enfance, en vertu de l'article 16 de la loi du 5 novembre 1790, et que c'était légalement aussi qu'elle y avait effectué des changements. La municipalité de la Croix-Rousse demeurait investie toutefois d'un simple droit de police.

Cette atteinte portée à la constitution de l'établissement marqua le point de départ de sa décadence. L'hospice des aliénées ne donnait plus de bénéfices depuis sa laïcisation. Le Bureau des Petites-Ecoles se déclarait prêt à le fermer si la pension des femmes admises dans la maison n'était pas élevée au moins à 600 francs.

Quelques-unes des Soeurs Saint-Charles continuèrent quelque temps encore cette oeuvre charitable, en prenant la maison à loger au prix de 1.500 francs.

Le 24 décembre, le Bureau est autorisé à poursuivre le citoyen Duperret, pour l'exécution de la location du pensionnat, et de l'enclos en dépendant, dont il demandait la résiliation.

CHAPITRE IX
1792 (suite)


Différends entre le curé, le vicaire et les fabriciens. - Affaire des bancs de la tribune. - Adjudication des chaises. - Nouveau mobilier de l'église. - Refus de livraison des cloches. - Cession de l'argenterie. - Motions du club. - Injonctions du District. - Fédération du 14 juillet. - La Patrie en danger. - Difficultés du recrutement militaire. - Chiffre de la population. - Les massacres du 9 septembre. - Agissements du club. - Dénonciations.

Revenons au commencement de l'année 1792 et jetons un regard sur les choses du culte.

La bonne harmonie ne régnait guère entre le curé Plagniard et ses fabriciens. Ces derniers, les sieurs Bonamour, Francey fils, Guinat et Berthet, énumèrent leurs griefs dans un long mémoire que nous allons résumer.

Ils manifestent d'abord leur douleur de voir le curé se refuser à collaborer avec eux à l'administration temporelle de la paroisse. Non content de traverser leurs opérations, il a encore lancé un libelle tendant à inspirer contre eux une défiance injurieuse.

Invoquant des arrêts des années 1538 et 1561, non abrogés par la loi du 24 juillet 1790, les fabriciens revendiquent pour leur administration les droits les plus étendus : gouvernement du temporel de l'église, garde des clefs, des ornements et de l'argenterie, récolement annuel du mobilier, perception du produit des quêtes et des revenus de toute nature, à charge de pourvoir aux frais du culte, choix des prédicateurs, nomination des chantres, sonneurs, sacristains et autres serviteurs de l'église, direction des sonneries de tout ordre, désignation de l'heure de la messe paroissiale.

En conséquence de ces attributions, lesdits fabriciens somment le curé de leur rendre compte de l'acquittement des messes qu'il a reçues depuis son installation, et des frais de sépultures qu'il a perçus.

Ayant désigné aux fonctions de sacristain l'ancien sonneur des Augustins, Jean-Baptiste Lacour, qu'ils ont rendu dépositaire des objets nécessaires aux cérémonies, ils enjoignent à l'ex-frère Marin Poncet, nommé par le curé, de se démettre.

Les fabriciens rappellent qu'ils ne sont tenus d'aucun salaire envers les prêtres employés dans l'église sans leur concours, et terminent en protestant vigoureusement contre cette affirmation du curé que "tous les citoyens étant égaux, devaient être inhumés de la même manière". Jamais aucune loi, répliquent les fabriciens, n'a privé les citoyens, en aucun pays, du droit naturel de rendre à leurs parents, amis ou bienfaiteurs, les honneurs funèbres avec plus ou moins de pompe et d'appareil.

Pour éloquentes que fussent les doléances des fabriciens, et sans en discuter la légitimité légale, il semble bien que la mise en pratique intégrale de leurs prétentions eût annihilé par trop l'action du curé.

Celui-ci porta l'affaire devant le club des Amis de la Constitution qui refusa d'en délibérer, parce qu'elle relevait des tribunaux.

Nous ne savons comment se dénoua le conflit.

D'humeur probablement peu accommodante, Plagniard n'était pas seulement en désaccord avec les fabriciens, son premier vicaire Pitra avait encouru, lui aussi, son animadversion.

Chose singulière et qui prouve bien le caractère et les sentiments du curé, celui-ci porta son différend non pas devant l'évêque, son supérieur et juge autorisé, mais bien devant ses amis du club. Il leur adressa donc une lettre dans laquelle il se plaignait du citoyen Pitra, du peu d'exactitude qu'il mettait dans l'exercice de ses fonctions, et de l'insulte qu'il lui a faite le 29 avril.

Quelle était la nature de cette insulte ? Le document ne l'indique pas. On se rappellera seulement que c'est ce même jour du 29 avril qu'avait eu lieu la prestation publique du serment par le bataillon de la garde nationale, et où Pitra fut le célébrant.

Le club, on le conçoit, dut se sentir quelque peu gêné pour se prononcer entre ces deux prêtres également patriotes. Aussi, se borna-t-il à renvoyer au Conseil municipal la dénonciation formulée contre le vicaire.

Au même moment, ceux des paroissiens qu'exaltait le principe d'égalité, le voyaient blessé en un fait qui nous paraîtrait puéril aujourd'hui.

Les fabriciens avaient établi sur la tribune de l'église des bancs ou gradins payants, tandis que le reste de l'église était pourvu de chaises. Appuyés par le club auquel, d'ailleurs, ils appartenaient pour la plupart, les mécontents envoyèrent aux administrateurs du district la pétition que voici, revêtue des noms de cinquante signataires environ :
"Les citoyens soussignés ont l'honneur de vous exposer que les fabriciens du bourg de Cuire-la-Croix-Rousse ont fait construire des bancs en gradins à la tribune de l'église, qu'ils prétendent que les citoyens seront tenus de payer s'ils veulent y entrer.
"Magistrats intègres, souffrirez-vous qu'on empêche aux citoyens de se placer partout où bon leur semblera ? Y aura-t-il toujours des distinctions ? Le pauvre sera-t-il relégué ? Un liard, oui, un liard est une somme aujourd'hui précieuse. Il n'y aura donc que le riche qui se placera à cette tribune ?
"Nous demandons que ces gradins soient ôtés, et qu'on y place des chaises à la place, et vous ferez, Messieurs, justice".

Délibérant sur cette pétition le 9 mars, le Directoire du district reconnut le droit des paroissiens à jouir, sans rétribution spéciale, de la tribune au même titre que de l'église elle-même dont elle n'est qu'une forme d'agrandissement. Mais, comme le bail passé pour la ferme des chaises comprenait les bancs de la tribune et qu'une atteinte portée aux clauses de ce bail exposait à des dédommagements envers la fermière, le Directoire concluait à ajourner jusqu'à son expiration toute modification audit bail.

Enfin, le Directoire du département statua sur cette affaire dans sa séance du 1er juin :
"Le Directoire,
"Considérant que les frais du culte sont à la charge de la Nation, et que la Loi conservant aux Fabriques les droits dont elles ont joui, a en vue d'alléger pour l'État le fardeau de ces frais.
"Considérant que les contributions volontaires des citoyens, pour raison des commodités qu'on leur procure dans les temples, sont avantageuses à la Nation sans aucun préjudice pour les citoyens.
"Considérant que les dépenses occasionnées par la construction et le placement des gradins dans la tribune de l'église paroissiale de Saint-Augustin, ont été faites dans la vue de compensation de leur produit.
"Considérant que les chaises des églises sont en location dans la ville de Lyon, ainsi que les bancs des tribunes.
"Arrête que chaque place, sur les gradins de la tribune de l'église de Saint-Augustin, sera assujettie au même tarif que les chaises".

Mécontente elle aussi, mais pour d'autres motifs, la fermière des chaises, Pierrette Bosonet, veuve Gence, adressait aux fabriciens cette requête en résiliation de son bail :
"A Messieurs les fabriciens de la paroisse de Saint-Augustin, au canton de Cuire-la-Croix-Rousse.
"Pierrette Bosonet, veuve Gence, adjudicataire de la ferme des "chaises de votre paroisse, depuis le 5 février dernier, a l'honneur de vous représenter, Messieurs, que quand elle a mis enchère à la ferme jusqu'au prix de 725 livres, elle ne prévoyait pas le tort considérable que lui ferait la rareté du numéraire. Un grand nombre des habitants ne prennent pas de chaises, et la plus grosse partie de ceux qui en prennent, ne lui présentent que des mandats pour la payer, et ne pouvant échanger à tous, elle est obligée de faire des crédits dont la plupart sont perdus.
"Ajoutez à cela que le fanatisme éloigne beaucoup de personnes de la paroisse.
"Ces circonstances la mettent dans l'impossibilité de remplir ses engagements. C'est pourquoi elle requiert à ce qu'il vous plaise, Messieurs, lui accorder la résiliation de son bail, et ferez justice".

Les fabriciens reconnurent sincères et conformes à la vérité les articulations de la chaisière, et appuyèrent la résiliation auprès des corps administratifs.

Successivement le District et le Département prononcèrent la résiliation demandée.

Le dimanche 10 juin, une adjudication nouvelle eut lieu dans la salle du choeur, derrière le maître-autel, en présence des fabriciens, de Me Guillaume Omelle, notaire, et de Joseph-Henri Estournel, membre du Directoire du district. Elle fut prononcée, après plusieurs enchères, en faveur de la titulaire sortante, la veuve Gence, qui avait offert la somme annuelle de 400 livres.

Le bail était consenti aux conditions suivantes :
L'adjudicataire sera tenu de fournir à l'église la quantité de chaises suffisante pour le service des paroissiens, et suivant le tarif ci-après. Il devra encore en fournir gratuitement à la municipalité et au Conseil Général de la commune, dans les assemblées qui se tiendront à l'église ou à la sacristie. Il devra enfin faire balayer l'église, les samedis et veilles de fêtes.

Sous ces conditions l'adjudicataire jouira seul de la faculté de percevoir la rétribution des chaises, tant dans la nef de l'église que dans les chapelles, et sur la tribune où sont placés des gradins que chaque particulier payera comme s'il occupait une chaise.

Les fabriciens néanmoins se réservent la faculté de placer des stalles dans le choeur, et jusqu'au niveau des balustrades des petites chapelles latérales.

Tarif de la rétribution des chaises et bancs
Messes basses des jours fériés et non fériés : 3 deniers
Messe paroissiale et prône : 3 deniers
Vêpres et bénédiction : 6 deniers
Grand'messe des fêtes de Pâques, Pentecôte, Noël, Assomption, Ascension et fête patronale, Vêpres, sermon et bénédiction
Les trois messes du jour de Noël : 6 deniers
Prières du carême : 3 deniers
Pour sermon du Carême, les jours non fériés, si les fabriciens jugent convenable d'y faire prêcher : 6 deniers

Les fabriciens avaient demandé l'autel de la chapelle de Saint-Charles pour le substituer au leur, afin de dégager le choeur. Ils projetaient ensuite d'y placer les stalles données par le District.

Mais l'autel de Saint-Charles avait été cédé, le 8 mai, par le Département à l'église métropolitaine. Le District estimait que les fabriciens devaient placer les stalles dans le choeur sans rien changer à sa disposition ni à celle du grand autel, sauf à faire recouper les dites stalles, ou à diminuer leur nombre si leur placement cause une gêne pour le service divin.

Le 24 juin, le Conseil général de la commune, répondant à une demande du Ministre des Contributions publiques, relative à la fabrication des monnaies provenant de la matière des cloches, déclare que les cloches de la paroisse et de la succursale sont d'un très petit poids, sont indispensables au service publie et qu'il n'y en a pas d'autres dans le bourg. Elle ne seront donc pas envoyées à la Monnaie.

Le 17 novembre, le District demande aux fabriciens de Vaise et de la Croix-Rousse de céder l'argenterie inutile de leurs églises, pour la faire peser et ensuite transporter à la Monnaie, conformément aux décrets.

Le 2 du même mois, les commissaires de la Municipalité, de concert avec les fabriciens, avaient procédé à un nouvel inventaire de mobilier cultuel. Le voici in-extenso :
"Ce jourd'hui, 2 novembre 1792, l'an 1er de la République, nous commissaires nommés par la municipalité, nous sommes transportés, avec les citoyens fabriciens de la paroisse Saint-Augustin et de sa succursale.
"Savoir : Etant dans le Bureau, nous y avons reconnu huit chaises bois fayard, garnies de son, un poële garni de ses cornets, un bureau servant de pupitre pour écrire, deux chandeliers fer blanc avec une paire de mouchettes, deux bouteilles d'encre dont une vide, plusieurs mains de papier blanc, trois paquets de plumes et un canif.
"Et ensuite, il s'est trouvé dans le Bureau sept gros livres de plainchant, garnis de plaques en cuivre, plus deux barres de fer servant de supports, deux autres barres idem avec trois colonnes, et un autre support en fer que ces Messieurs nous ont dit provenir de la démolition du lutrin de la tribune.
"Il s'est encore trouvé, dans le corridor de la tribune, trois- devant des stalles en bois de chêne, le pourtour du lutrin avec son dessus en bois dur et un rayon, plus quatre planches en bois de chêne, avec plusieurs consoles servant pour supporter les bancs de l'ancienne tribune.
"N'y ayant plus rien à décrire, ils nous ont remis les quatre clefs de l'entrée dudit Bureau.
"De là, nous avons passé à la sacristie où nous avons reconnu en entrant un poële semblable à celui de leur bureau. Et nous avons procédé de suite au récolement des ornements de la sacristie consistant en argenterie, linges et autres effets conformément à l'inventaire qu'ils nous ont présenté, ce que nous avons reconnu conforme.
"Les fabriciens soussignés nous ont représenté un supplément audit inventaire consistant en ornements qu'ils ont obtenu du Directoire du District, savoir : deux ornements fond blanc tissu, galons or et broché, dont l'un d'eux est sans bourse. Une chasuble velours cramoisi, galons or. Une dite violette avec ses dalmatiques, fond damas, galons argent. Une dite damas rouge, galons argent. Une dite damas blanc, galons or. Une dite damas fond vert, galons argent. Une étole velours noir, brodée argent, avec ses cordons idem.

ARGENTERIE :
Un support avec ses anges cuivre, blanchi, qui renferme une petite Vierge décrite dans l'inventaire.
Un encensoir avec sa navette cuivre blanchi.
La tige d'une croix de procession cuivre blanchi.

"Lesquels effets nous avons laissé à la charge du sacristain qui a signé avec nous, attendu qu'il ne reste plus à décrire aucune chose.
"Nous, commissaires soussignés, avons invité les fabriciens à signer, ce qu'ils ont fait avec nous.
"A la Croix-Rousse, le 2 novembre 1792. Baptiste Lacour.
"Burdel, maire, Nesme, officier municipal, Fontanel, officier municipal, Bonamour, Guinat, Berthet".

La fermentation politique allait s'accentuant. A la Croix-Rousse, l'exaltation, comme toujours, surgissait surtout de ce foyer bouillant qu'était le club des Amis de la Constitution. Cette poignée de jacobins n'avaient reçu de leurs concitoyens aucun mandat, ce qui ne les empêchait pas de prétendre parler en leur nom.

Au projet annoncé d'amener le roi à Lyon pour le mettre à même d'exercer une autorité effective, le club décida, dans sa séance du 7 février, sur la motion du citoyen Eustache, qu'une pétition serait adressée à l'Assemblée Nationale et au roi déclarant "que jamais les citoyens de Lyon ne recevront le Roy chez eux. Que si une force majeure les y forçait, ce serait sur nos cadavres qu'il s'en frayera le chemin".

Cinq jours après, le club réitère solennellement le serment prêté le 14 janvier à l'Assemblée Législative : "La Constitution, La Liberté et l'Egalité".

Il décide en même temps que ses adhérents s'abstiendront de l'usage du sucre et du café, sauf en cas de maladie, et cela pour protester contre les agissements des ennemis du bien public qui ont amené la hausse exorbitante du prix des denrées.

Le 21 mars, le club décerne une mention honorable à deux femmes, les citoyennes Privat et Tocanier, qui ont apporté une pique pour la défense de la patrie et servir de modèle pour la fabrication d'autres piques.

Cet exemple trouve bientôt des imitateurs. Le 11 avril, une députation du club des citoyennes de Lyon, conduite par Jumel fils, se présente à l'effet de recueillir des fonds dans le canton de la Croix-Rousse et Saint-Clair pour la fabrication de piques destinées "aux braves patriotes clubistes dépourvus d'armes". Trois commissaires sont à l'instant désignés pour accompagner les citoyennes dans leur tournée.

La séance du 9 mai est consacrée à la lecture des journaux patriotes.

Dans celle du 23 mai, notre club fixe sa quote-part à l'abonnement du club central au journal de Robespierre.

Quelques jours après, il décide de prendre part aux frais de l'érection de l'arbre de la Liberté que le club central désire voir planter aux Terreaux.

Le 17 juin, le citoyen Dupoully est député par ses collègues auprès du citoyen curé, pour savoir si la messe peut être dite chez un particulier, ou dans une chapelle privée, par un prêtre quelconque. Nous ignorons la réponse du citoyen curé à cette consultation.

En séance du 23 juillet, les délégués au club central ayant annoncé sa décision de former un comité de surveillance composé de dix commissaires par section, notre club déclare "Que la section de la Croix-Rousse est très peu nombreuse, que dans le canton, il y a fort peu d'étrangers, mais beaucoup d'intrigants et beaucoup d'ignorance". Il arrête, en conséquence de ne nommer que deux commissaires, Matheron et Spériolin.

Dès le 14 mars, le District invitait notre municipalité à lui signaler tous indices qu'elle recueillerait d'un enrôlement en faveur d'émigrés. Il lui faisait part, quelques jours après, de l'arrestation à Senlis du sieur Debard, enrôleur pour l'armée des princes.

Notre municipalité répondait qu'il n'y avait d'autre propriétaire absent du bourg que le sieur d'Ailly de Rochefort, propriétaire du domaine de la Caille. Mais celui-ci a prouvé la régularité de sa situation en produisant un certificat de résidence à Arton, en Auvergne, visé par la municipalité du lieu.

Le 31 août, nouvelle injonction du District à notre municipalité de mieux surveiller les étrangers de son ressort dont plusieurs, suivant certaines plaintes, doivent être considérés comme suspects.-

Notre municipalité était encore mise en demeure de détruire, ou faire enlever les monuments portant signes de féodalité qui se trouveraient sur son territoire.

Incontinent elle ordonne à l'ex-seigneur Boulard de Gatellier de supprimer les armoiries qui décorent sa maison.

Le 12 septembre, notre municipalité est informée que son greffier, Omelle, cache chez lui un nommé Chapuy d'Aix "qui est plus que suspect, soit par ses moeurs, soit par ses propos, soit par ses actions". Le District se déclare étonné et scandalisé que la municipalité tolère cette infraction, elle qui a déjà gardé le silence sur la précédente sommation de mieux surveiller les étrangers résidant dans la commune.

Huit jours après, la municipalité recevait l'ordre d'effectuer une visite domiciliaire, et mettre en état d'arrestation tout étranger non porteur d'un certificat de civisme. Les corps administratifs faisaient garder en même temps les portes de la ville pour que personne n'en pût sortir, hormis les personnes chargées d'une mission officielle et les campagnards venus aux marchés.

Ce même jour, la municipalité remettait au District l'état nominatif des passeports qu'elle avait délivrés aux prêtres, pour sortir du royaume, depuis le 26 juillet. Ils étaient au nombre de quatorze, parmi lesquels l'abbé Paul, ancien directeur du séminaire de Saint-Charles, qui se rendait à Chambéry, par le Pont-de-Beauvoisin.

La municipalité de la Croix-Rousse, escortée de la garde nationale prit part à la fête de la Fédération du 14 juillet : 1792, célébrée aux Brotteaux. Elle se plaça, avec les autres corps administratifs, sur une estrade établie au milieu de la parallèle orientale du carré allongé que formaient les troupes.

Notre municipalité avait reçu, le 17 juillet, notification de l'acte du corps Législatif proclamant la Patrie en danger à la nouvelle des premiers succès des armées étrangères.

Il ne paraît pas que l'appel aux armes, qui accompagnait cette proclamation, éveillât chez nos concitoyens des sentiments d'ardeur guerrière. Le bataillon de la garde nationale comptait 8 compagnies de 70 hommes chacune, y compris les officiers. Un très petit nombre d'entr'eux se firent inscrire, sur lesquels deux hommes seulement partirent, les sieurs Plantier et Tremel (?). Et encore le dernier revenait par congé quelques jours plus tard.

Confuse de ce piètre résultat, la municipalité demanda si elle avait des droits pour obliger les récalcitrants à s'enrôler au service du pays.

En exécution de la loi du 22 juillet, le bataillon de la Croix-Rousse fut appelé, à fournir 13 grenadiers sur le contingent de 2.400 hommes assigné au département. (Le district de Lyon devait fournir 600 hommes). Ils avaient ordre de rejoindre au camp de Cessieu, près Bourgoin, l'armée du Midi commandée par le général Montesquiou.

Pas plus que le premier appel, celui-ci ne fut entendu. La municipalité déclare ne pouvoir qu'inviter les citoyens de bonne volonté à partir pour l'armée. Elle l'a déjà fait une fois, niais elle désespère qu'une seconde assemblée du bataillon "opère plus d'effet que la précédente". Derechef elle demande à être autorisée à exercer une contrainte "d'une manière quelconque" si ce deuxième appel demeure sans résultat. Le commandant faisait savoir cependant que quatre de ses hommes s'étaient enrôlés. Le reste du contingent put être mis en route le 26 septembre.

Le chiffre de la population de Cuire-la-Croix-Rousse était à ce moment de 4.179 individus dont 715 qualifiés citoyens.

On sait combien la tragique journée du 10 août, qui vit sombrer l'ancienne monarchie, surexcita dans tout le pays les passions révolutionnaires. Les massacres de septembre, à Paris, la suivirent de près ; le massacre des prisonniers de Pierre-Scize, à Lyon, leur fit écho, le dimanche 9 septembre.

En raison de ce terrible événement, notre garde nationale dut rester sous les armes aussi longtemps que l'exigea le danger, qu'aggravait l'agitation fomentée un peu partout sous le prétexte d'accaparements.

Déjà le 29 juillet, et comme s'il eût pressenti la catastrophe prochaine, notre club avait convoqué une assemblée publique, annoncée par affiches et au son de la cloche promenée dans les rues. Les citoyens Matheron, Cusset et Doriel, en des discours chaudement applaudis, avaient signalé les dangers que courait la Patrie. Puis, Doriel s'était couvert du bonnet de la Liberté et avait demandé que le dit bonnet fût mis au bout d'une pique "pour montrer à tous les citoyens qu'ils ne sont plus esclaves, mais hommes libres". L'assemblée avait pris fin sur une invitation pressante à la population d'associer son action à celle du club.

Mais l'enthousiasme éclata surtout, l'événement accompli, à la séance du 15 août. Elle fut ouverte au nom de la Nation, de la Loi, de la Liberté et de la mort des tyrans. On adhéra à la proposition de promener le bonnet de la Liberté dans toute la ville le dimanche suivant 19 août. On vota ensuite une quote-part de six livres au profit d'un clubiste de la section du Plat-d'Argent blessé à Paris, le 10 août, dans l'émeute que le procès-verbal appelle "la contre-révolution des Tuileries".

Le 19 août, le club apprend que l'administration du Département et celle du district viennent d'être cassées. Pour signaler sa joie, il arrête que le bonnet de la Liberté sera promené au long de la grande rue du faubourg.

A cette même séance, le club, entr'autres admissions, prononce celle du vicaire Enay (Claude-François) ci-devant membre de la section de Saint-Nizier.

Le 22 août, une députation du club central vient inviter les "frères" de Cuire à se joindre à ceux de la Croix-Rousse. Tous sont sous le même drapeau et tous d'une même paroisse, il ne peut donc y avoir deux clubs séparés.

Le 26 août, le club adresse ses remercîments à l'Assemblée Législative pour les décrets rendus depuis le 10 août. Les membres du club prêtent au même instant le serment de Liberté-Égalité.

Le 3 octobre, la séance est ouverte au nom de la République (que la Convention venait de proclamer), de l'Égalité, de la Liberté et de la mort des tyrans.

Le 4 novembre, le club dénonce ail comité central le curé de Villeurbanne comme n'ayant pas prêté le serment.

Le 7, la Municipalité est invitée à faire disparaitre tout ce qui annonce et donne signe de féodalité.

Le 28, le citoyen Malincourt fait une dénonciation contre le juge de paix Chevassu. Cette dénonciation sera transmise au Comité central.

Le 2 décembre, le comité central est averti que, dans la salle d'audience du tribunal du district de la Campagne, il subsiste, décorant les murs, des fleurs de lys à faire disparaître.

CHAPITRE X
1793


Pétitions pour la condamnation de Louis XVI. - Envoi de chaussures aux fédérés. - Nouvelles dénonciations. - Les suspects. - Nouvelle municipalité. - Plantation d'un arbre de la Liberté. - Contingent militaire. - Conflit à l'occasion de la première communion. - Les vicaires de la Croix-Rousse. - Inculpation de Plagniard. - Réclamations du club. - Nomination d'un comité de surveillance. - Envoi de fédérés à Paris. - Affiliation du club à celui des jacobins de Paris. - Nomination au tribunal révolutionnaire. - Mutilation d'un arbre de la Fraternité. - Perte d'un régistre municipal.

Nous abordons l'année 1793 qui, avec la suivante, devait voir le mouvement révolutionnaire atteindre à son paroxysme et les jacobins perpétrer les excès sanglants qui cloueront pour jamais leurs noms au pilori de l'histoire.

La Convention faisait le procès de Louis XVI. Nos clubistes ne manquèrent pas d'adhérer à la demande de leurs frères du Comité central, d'accélérer le jugement du "cy-devant roy", déclarant que leurs délégués à Paris n'en reviendraient pas qu'il ne soit jugé. Puis, ils provoquèrent dans ce but une pétition parmi les patriotes de la commune.

Bien qu'ils se prétendissent partisans inflexibles de la liberté, les clubistes croix-roussiens ne craignirent pas, en cette circonstance, de violer effrontément ce principe : ils recommandèrent à leurs commissaires de noter les noms de ceux qui refuseraient de signer.

L'immolation de l'infortuné monarque consommée, ces noms furent affichés au local des séances avec ceux des personnes qui avaient déclaré leur regret d'avoir donné leurs signatures.

Bientôt, à cet affichage fut ajouté celui des refusants à une quête faite dans la commune pour l'envoi à Paris de deux délégués, lesquels, avec ceux de Lyon et des départements, devaient former la garde de la Convention nationale. Cette quête avait produit la somme de 150 livres 13 sous.

Ainsi lancé dans la voie de la délation, le club décide (6 février) que les commissaires quêteurs pour les fédérés et pour l'envoi de bas et de souliers aux volontaires, tiendront un régistre comportant trois colonnes devant contenir : la première les noms de ceux qui verseront et la quotité des sommes versées ; la seconde, les noms de ceux qui auront refusé, bien que pouvant payer, la troisième, les noms de ceux qui, en refusant, auront proféré des injures.

Ayant pris du maire une réquisition pour arrêter "des aristocrates émigrés, prêtres réfractaires et autres conspirateurs contre "la liberté et ennemis du bien public" qui s'assemblent en grand nombre dans plusieurs maisons de la commune, les citoyens jacquet, Nicou et Bonardet déclarent avoir présenté cette réquisition au citoyen Omelle, commandant du bataillon de la garde nationale, qui a refusé d'y obtempérer. Le club décide aussitôt que ledit Omelle sera dénoncé au Comité central "afin qu'il soit accablé de l'animadversion du peuple souverain de notre République".

En ces temps d'agitation, des incriminations de ce genre ne restaient pas toujours sans effet. Le 25 février, ordre est donné par l'administration du District de faire marcher, le lendemain, une force de 300 hommes pour dissiper "une assemblée clandestine et considérable qui, sur la dénonciation de Camille Poncet, existe dans la commune de la Croix-Rousse" et arrêter les coupables. Nous ne saurions dire quelles furent les suites de cette expédition, si elle eut lieu.

Le 21 janvier, la municipalité de Lyon refuse au notaire Lanyer un certificat de civisme, "pour s'être journellement déclaré ennemi de la Révolution et partisan de la Monarchie". Le 5 mars, le club de la Croix-Rousse nomme des commissaires chargés de demander à ladite municipalité les motifs de ce refus. Cinq jours plus tard, le greffier de police expose les nombreuses dénonciations portées contre Lanyer, mais elles sont vivement contredites par le citoyen Chevassu, juge de paix et notable.

Le 2 mars, le Directoire du district suspend le visa du certificat de résidence délivré à un sieur Tourtoulon soupçonné d'émigration, et demande des renseignements à la municipalité de la Croix-Rousse parce qu'il y a plusieurs dénonciations à son sujet.

Plusieurs citoyens qui avaient affirmé la résidence de Tourtoulon, interrogés ensuite séparément, ayant déclaré ne pas le connaître d'une façon personnelle, la députation de Lyon consultée donne l'ordre au District, le 5 mars, de retirer le certificat de résidence de Tourtoulon. Cette pièce, ainsi que les autres de cette affaire, sont remises au citoyen Bourbon, procureur syndic, pour être représentées à qui de droit.

Enfin, le 21 mars, deux membres du District sont délégués auprès du commissaire de la Convention pour aviser aux moyens à prendre concernant le certificat de résidence de Tourtoulon.

Le 29 avril, le District enjoint à notre municipalité de le prévenir si les nommés Marie-Françoise David de la Bussière et Giroud fils, qui ont fait l'objet d'une dénonciation, se présentent pour retirer le passeport qu'ils ont demandé pour se rendre à Lons-le-Saunier.

Une nouvelle municipalité avait été installée le dimanche 24 février.

Dès le 9, elle invitait comme suit les Représentants à assister, le lendemain, à la plantation d'un arbre de fraternité :
"Dignes Représentants du peuple français,
"La commune de Cuire-la-Croix-Rousse, près de Lyon, se propose de planter demain dimanche, à dix heures du matin, un arbre de fraternité en signe de l'union qui règne parmi tous ses concitoyens, et de l'unité de sentiments qui les lie avec tous les républicains français.
"Elle charge quatre commissaires de vous porter le voeu qui l'anime de vous voir présents à cette cérémonie patriotique et fraternelle. En vous rendant à ce voeu, vous augmenterez l'enthousiasme que nous inspire l'amour de la patrie, de l'ordre et des lois.
"Agréez les assurances de notre fraternité.
"Burdel, maire, Fréminville, Pitiot, Giraud, officiers municipaux".

Le club, cela va de soi, avait été convié à cette solennité patriotique. Deux de ses membres, les citoyens Bernard Tissier et Nicou offrirent le creusement à leurs frais, de l'excavation nécessaire à la fixation de l'arbre.

Un décret de la Convention, du 24 février, avait ordonné une levée de 300.000 hommes. Le contingent assigné au Département fut de 6.051 hommes, dont 1.002 à fournir par le district de Lyon, et 31 par la commune de Cuire-la-Croix-Rousse.

Ces 31 hommes furent présentés, dès le 22 mars, par la municipalité. L'autorité supérieure lui décerna ce témoignage qu'elle avait bien mérité de la patrie, en lui procurant des défenseurs "pleins de zèle, clignes du nom d'hommes libres".

La commune avait reçu, pour leur équipement, une somme de 9.780 livres 10 sous, sur laquelle il resta un excédent de 2.517 livres 7 sous 3 deniers qu'elle fut invitée à verser dans la caisse du receveur du district.

Revenons un instant à l'historique de la paroisse.

Le jeudi 11 avril, les enfants faisaient leur première communion. Ils offrirent à l'église des cierges dont le clergé paroissial prétendait faire son profit. Mais les commissaires de la municipalité lui opposèrent la loi du 7 septembre 1792 qui punissait tout fonctionnaire ecclésiastique salarié qui exigerait un casuel, quelqu'il fût.

Le curé et ses vicaires avant manifesté leur mécontentement de cette intervention défavorable, quelques femmes s'attroupèrent avec leurs enfants, pour réclamer les cierges offerts le matin.

Consulté à ce sujet, le District loua la sagesse et la prudence que l'administration communale avait montrées en cette circonstance. Il l'engagea à surveiller exactement ses prêtres fonctionnaires salariés, pour qu'ils ne puissent dorénavant "induire les citoyens en erreur, et leur voler leur bien en leur promettant le Paradis". La municipalité devra les poursuivre lorsqu'ils prévariqueront dans leurs fonctions.

Quant aux cierges réclamés, la municipalité fut invitée à les rendre à ceux qui les demanderont.

Le 25 avril, le District inscrit, sur sa demande, au tableau des fonctionnaires salariés, Griffon (Jacques), en qualité de vicaire de Saint-Augustin, d'après un certificat délivré par le curé Plagniard le 23 mars précédent. Il aura donc droit désormais au traitement de 800 livres attribué à cet emploi.

Les citoyens Pitra et Mouret avaient depuis peu quitté les fonctions de vicaires de la Croix-Rousse.

A ce moment, le curé Plagniard était inculpé devant le tribunal correctionnel du canton qui rendit un jugement contre lui.

Comme il était membre du club, il lut, à sa séance du 4 mai, un mémoire justificatif qui fut admis. Le club déclara que Plagniard avait gardé sa confiance, l'invita à reprendre ses fonctions et décida que des affiches seraient apposées pour prouver que le curé n'avait point manqué à ses devoirs.

Nous avons relaté les agissements du club de la Croix-Rousse depuis sa création. Toujours à l'avant-garde du mouvement politique dans le faubourg, il accentuera son action à mesure que la Révolution elle-même avancera dans des voies plus violentes.

Le jour même de l'installation de la municipalité (24 février), le citoyen Burel fils démontre que le peuple "est désabusé de la défaveur que des gens mal intentionnés ont jeté sur la Société populaire des Amis de la Liberté, de l'Égalité et des Loix, séante à la Croix-Rousse". Le citoyen Fréminville, un des nouveaux officiers municipaux, offre d'engager la municipalité à tenir, chaque mois, une assemblée publique pour instruire tous les citoyens. Quatre jours auparavant, le citoyen Chevassu avait prononcé au club, un discours tendant à l'union et invitant ses auditeurs à se prêter à son désir de ne faire, du peuple de cette commune, qu'une seule société de frères et amis. Il avait été vivement applaudi.

Le 25 février, nos clubistes invitent la municipalité à rendre publics, par affiches, les comptes des précédentes administrations communales, vu que la population du canton dépasse 4.500 âmes. Ils désignent deux commissaires pour faire détruire les restes de signes féodaux existant dans la commune. Ils adressent une première pétition aux Corps administratifs, demandant une convocation des assemblées électorales pour changer ceux des députés à la Convention qui ont refusé de voter "pour la mort du tyran de la France".Une deuxième pétition a pour objet d'engager sans retard le procès du "liberticide Rolland". Le 10 mars, le club envoie à la municipalité une députation pour l'inviter à faire détruire les marques de féodalité existant dans le canton, notamment dans l'église paroissiale, et veiller à ce que la voirie "ne soit pas en souffrance". Une pétition sera remise à la municipalité pour lui demander la mise en vigueur des anciens règlements portant qu'il ne sera fait qu'une seule qualité de pain. Cette demande est réitérée le 27 mars.

Le 13 mars, le Comité central est invité à envoyer une députation aux juges du tribunal de Saône-et-Loire séant à Mâcon, pour l'engager à ne pas se laisser circonvenir par les ennemis de la Liberté et de l'Égalité, en faveur des complices de ceux qui ont dévasté le Comité central.

Notre club adhère à la proposition que toutes les sections du district s'assemblent autour de l'arbre de la Liberté pour réitérer le serment de maintenir la Liberté et l'Égalité une et indivisible.

Il invite la municipalité à ouvrir une souscription pour l'armement de deux vaisseaux. Il l'invite encore à nommer un commissaire pour "recevoir les gros sous que le canton doit retirer de la Monnaie, et pour débiter les assignats de 10 et 15 sous que le canton doit avoir pour échanger contre tous les mandats quelconques".

Le 17 avril, une parente du citoyen Lassauzée s'est présentée avec une pétition demandant aux corps administratifs l'élargissement de ce dernier. Le club nomme des commissaires pour transmettre cette pétition et demander à la municipalité de s'y associer.

Quelques jours après, le club envoie une délégation à la municipalité de Lyon, pour qu'elle "veuille accélérer les affaires du citoyen Lassauzée", et cela de concert avec la section de la Grand'Côte.

Le 24 avril, il est procédé, en séance du club, à la nomination d'un comité de surveillance formé de neuf membres. On demande l'affiliation aux jacobins de Lyon. Une souscription est ouverte pour l'envoi de fédérés à Paris ; un régistre recevra les noms de ceux "qui voudront y aller de bonne volonté". Une députation ira demander à la municipalité si les ci-devant moines, résidant dans la commune, ont prêté le serment et s'ils se soumettent aux lois constitutionnelles.

Le 1er mai, le club constate que, étant affilié aux jacobins de Lyon qui le sont eux-mêmes aux jacobins de Paris, il possède "les mêmes avantages que s'il était directement en rapports avec ces derniers".

Le 4 mai, à la suite de la lecture d'une lettre du comité de correspondance des jacobins de Lyon, le club procède à la nomination d'un membre pour composer le tribunal révolutionnaire. Par : 17 voix, sur 26 votants, le citoyen Gesse est élu. Par 16 voix, sur 27 votants, le citoyen Doriel est élu membre du Comité de surveillance.

Enfin, le 12 mai, une députation des citoyens de la section de Saint-Vincent vient déclarer que "justement indignés du crime de lèze-nation commis sur l'arbre de la fraternité", leurs commettants effectuent toutes recherches pour découvrir les fauteurs de cet "attentat".

C'est la dernière séance de notre club inscrite au régistre de ses procès-verbaux. Elle porte les signatures de Puy, président, et Gesse, secrétaire.

Dans quelle mesure notre municipalité céda-t-elle aux injonctions du club ? Il est impossible de l'apprécier pour la période mouvementée qui commence au mois de juillet 1792. Le régistre n° 2 des procès-verbaux de la municipalité de la Croix-Rousse, comprenant les séances tenues entre juillet 1792 et les premiers jours d'octobre 1793, a disparu. Les représentants de la Convention à Lyon se le firent remettre après le siège vraisemblablement pour y rechercher les preuves de la connivence des édiles croix-roussiens dans le soulèvement des Lyonnais. Mais il ne fut pas rendu, malgré les réclamations réitérées de nos administrateurs. Aujourd'hui encore, ce régistre manque dans la série des actes municipaux conservés aux archives.

CHAPITRE XI
1793 (suite)


La journée du 29 mai. - Adhésion de la Croix-Rousse au soulèvement des Lyonnais. - La constitution de 1793. - Préparatifs de défense. - Premier engagement du siège. - Les travaux de fortification sur le plateau de la Croix-Rousse. - La fête du 10 août. - Les péripéties de la lutte. - Prises des maisons Panthot, Neyrat et du cimetière de Cuire. - Conduite infâme du curé de la Croix-Rousse. - Fin du siège.

On sait ce que fut la sanglante journée du 29 mai où, à la suite d'un combat meurtrier, les sections de la garde nationale de Lyon libérèrent la ville de l'oppression jacobine.

Les Lyonnais ont énoncé les motifs de ce soulèvement dans une proclamation publique. C'étaient : l'affreux complot du club central formé à l'instigation de Chalier, et déjoué par le maire Nivière-Chol, les taxes et les emprisonnements arbitraires, les menaces de massacres, les vexations sans nombre d'une municipalité vouée au parti de la violence.

Un premier ordre, émanant de l'administration du district, enjoignit ce même jour, à notre municipalité d'appeler aux armes le bataillon de la garde nationale, "la tranquillité publique dans Lyon paraissant troublée". Il devait rester en permanence jusqu'à de nouveaux ordres.

Mais presque aussitôt le bataillon était requis par Fréminville, le président de l'assemblée des sections lyonnaises, de se porter sur l'arsenal, pour protéger les délibérations de son comité.

D'après Guerre, une députation croix-roussienne vint protester de son attachement aux citoyens lyonnais.

A son tour, notre municipalité s'associait, le 31 mai, à l'acte d'affranchissement de la grande cité par une délibération contenant "le témoignage d'une vraie fraternité et la promesse de secours pour repousser les anarchistes".

Dans sa séance du 4 juin, la section de Porte-Froc vote des remercîments à la garde nationale de la Croix-Rousse "qui est venue offrir son courage au Département opprimé".

Quelques jours plus tard, l'administration communale était requise par celle du district de décerner un mandat d'arrêt contre un citoyen que désigneraient les commissaires surveillants de la section du Port-du-Temple, Petit et Desauges, autorisés à cet effet. Quel était ce citoyen et pour quels motifs était-il poursuivi ? Nous ne le savons.

Le 5 juillet, une députation de la commune de la Croix-Rousse se rend, à l'heure de minuit, auprès du Comité de sûreté générale de Lyon pour savoir la raison qui a fait tirer le canon la veille, et lui offrir ses services. La municipalité de Lyon, sous la présidence de Coindre, maire provisoire, exprime à celle de la Croix-Rousse la reconnaissance des citoyens lyonnais.

Cependant le jour approchait où la Convention, livrée au parti Montagnard depuis la proscription des Girondins, allait lancer ses armées contre la ville coupable de s'être soustraite à la tyrannie de ses séides, et les Lyonnais prenaient leurs dispositions en vue de la résistance.

Notre commune s'associera, elle aussi, à cette défense de la cité.

Le 20 juillet, elle offre sa part de la contribution de trois millions destinée à l'exécution des mesures de sécurité commandées par les circonstances.

Le 27, la municipalité de Cuire-la-Croix-Rousse fait tenir à la Commission populaire, républicaine et de Salut public de Rhône-et-Loire, la délibération suivante qui marque son adhésion et celle de ses commettants au soulèvement des Lyonnais :
"Citoyens, Frères et Amis,
"Une anarchie affreuse menaçait non seulement d'envahir nos propriétés, mais encore voulait attenter à notre liberté individuelle. Les sections se sont levées, et bientôt ce monstre impur est rentré dans l'antre qui le recèle. La journée du 29 mai fera époque dans les fastes des vrais républicains ; mais, citoyens, notre triomphe est incomplet si nous imitons l'armée d'Annibal, à qui les délices de Capoue furent funestes. Quand la vertu dort, le crime veille, et il n'attend que le moment de notre assoupissement pour se diriger contre nous avec une nouvelle fureur.
"Nous faisons tous la triste expérience que les demi-mesures ne sont que des palliatifs, et c'est aussi avec les sentiments de la plus profonde douleur que nous venons déposer dans votre sein, non pas nos alarmes ni nos craintes, parce que les vrais républicains sont à l'abri des impulsions pusillanimes : nous y venons déposer nos justes sujets de défiance.
"Une constitution nous est offerte, le souverain l'examinera dans sa sagesse, et il l'acceptera si elle contribue à faire notre bonheur. Quant à nous, citoyens, nous vous déclarons d'avance que, si nous l'acceptons individuellement, ce ne sera qu'avec les restrictions expresses de ne reconnaître aucun des décrets locaux rendus contre notre résistance à l'oppression, et que, pour nos autres restrictions, nous nous conformerons à celles prises par le département du jura.
"Vous êtes les mandataires du peuple de Rhône-et-Loire, vos travaux et votre dévouement à la chose publique ont correspondu à la confiance qu'il vous a témoignée ; aussi nous flattons-nous qu'il reconnaîtra le service important que vous avez rendu non seulement à la cité de Lyon et au département de Rhône-et-Loire, mais encore à toute la République, puisque vous avez prouvé que la vertu, aidée du courage, triomphe aisément du vice.
"Daignez agréer, frères et amis, au nom de Cuire-la-Croix-Rousse dont nous sommes en ce moment les organes, daignez agréer le juste tribut de notre reconnaissance. De quelques dégoûts que l'on cherche à vous abreuver, ne vous rebutez point, restez calmes à votre poste. En vain les désorganisateurs lanceront-ils leurs traits envenimés contre vous, l'oeil vigilant du républicain est là, et nos fortunes, nos bras, nos vies sont à votre disposition ; il faudra que les scélérats qui méditent votre ruine marchent sur nos cadavres sanglants avant de parvenir jusqu'à vous.
"Laissant pour quelques instants nos occupations champêtres pour nous occuper du salut public, c'est avec la plus vive satisfaction que nous vous annonçons que le désintéressement de nos pauvres agriculteurs fait honte à l'apathie et à l'égoïsme de vos richards de la Cité. Une souscription patriotique est ouverte, et déjà chacun d'eux s'empresse à y venir verser une somme équivalente au moins à la moitié de ses contributions. Ce ne sera que demain que nous pourrons instruire notre jeunesse de la gloire qu'ils pourront acquérir en s'enrôlant dans l'armée départementale, et nous espérons que nos soins à cet égard ne seront pas infructueux.
"Citoyens, vous connaissez notre dévouement, mais tous nos efforts seraient impuissants et se borneraient à de stériles voeux, si nous continuions à rester sans armes. Sur environ 800 individus qui composent notre garde nationale, à peine en pouvons-nous armer cent. Nous vous réitérons, citoyens, que vous n'aurez pas de plus chauds défenseurs que les habitants du canton de Cuire-la-Croix-Rousse, et qu'en cette qualité nous espérons que vous déférerez à notre demande.
"Et ont signé : Fréminville, Puy, Burdel, maire, Rivière, Giraud, Chevallier, Calas, Guinat, Pinet, Pitiot, Fréminville, F. Fontanelle".

Le lendemain 28, les assemblées primaires du district de Lyon se réunissaient à l'effet de se prononcer sur l'acceptation de la constitution de 1793, votée par la Convention le 24 juin.

Le canton de Cuire-la-Croix-Rousse comptait 205 électeurs. 50 votèrent l'acceptation pure et simple, 155 l'acceptation avec les réserves stipulées par le département du Jura, et la motion de la section Porte-Froc demandant le retrait des décrets rendus depuis le 29 mai par la Convention contre la ville de Lyon.

Le 1er août, une nombreuse députation de Cuire-la-Croix-Rousse vient offrir, à la Commission populaire, 3.000 livres à verser dans la caisse de la souscription. "Nous n'y avions pas été invités, disent les délégués, nous ne sommes pas riches, nous ne sommes que des agriculteurs. Mais nous sommes tous décidés à tout sacrifier pour soutenir nos frères de Lyon".

Le 5, notre municipalité "empressée d'assurer tout ce qui peut concourir à la sûreté publique, et devant être la sentinelle vigilante de la marche des ennemis qui nous menacent", arrête que douze de ses membres seraient toutes les nuits à la tête de ses patrouilles. Elle requiert, à cet effet, du Comité qu'il lui soit remis deux douzaines de pistolets du plus petit calibre, pour s'en servir.

Le 6, notre municipalité est invitée, par les corps administratifs de Lyon, à faire nommer des députés qui se joindront à ceux des sections de cette ville, pour se rendre dans les départements de Saône-et-Loire, Haute-Saône et Côte-d'Or, pour procurer à la ville et à ses environs des subsistances, et y propager les principes des citoyens de Lyon.

Ce même jour, le District autorise notre municipalité à utiliser deux appartements du couvent des ci-devant Augustins pour y placer des lits pour la troupe. Comme l'un de ces appartements est occupé par la bibliothèque des anciens religieux, le citoyen Fuz, administrateur, fera transporter les livres dans le local affecté au comité de surveillance. La municipalité pourra, d'ailleurs, disposer dans ledit couvent de tout emplacement qui lui serait nécessaire pour caserner d'urgence les troupes.

Enfin, ce même jour encore, le Conseil du Directoire du District enjoint à la municipalité de la Croix-Rousse d'obtempérer aux ordres du général Précy. Celui-ci demande à la garde nationale du canton de fournir 100 hommes armés, et à la municipalité d'ordonner à tous les citoyens de coopérer aux travaux de défense.

Trois jours plus tard, les premières troupes conventionnelles se présentaient sur les hauteurs de la Croix-Rousse où avait lieu un premier engagement. Le siège de Lyon allait commencer.

Le plateau de la Croix-Rousse présentait une ligne de défense qui, de la maison Dufour, sur le Rhône, allait à la tour de la Belle-Allemande, sur la Saône, englobant la redoute du Centre et la batterie de Gingenne. En avant de cette ligne, étaient les postes fortifiés des maisons de l'Oratoire, Neyrat, Panthot, Roussel, Louis, et plus avant encore, le poste du cimetière qui, nous l'avons vu, occupait l'emplacement de l'école communale actuelle, à l'angle de la rue Pierre Brunier et de la montée de l'Eglise.

Notre municipalité prend part à la fête commémorative du 10 août, pompeusement célébré à Bellecour.

Au milieu de la place s'élève un autel orné de la statue de la liberté, avec cette devise : je marche au bonheur quand je marche avec la Loi. Tout auprès, un bûcher est préparé pour l'incinération de titres de droits féodaux livrés par leurs détenteurs. Sur une estrade, sont les autorités administratives et judiciaires entourées des gardes nationales. Au nom de tous, le président du district de Lyon prononce le serment de maintenir la Liberté, l'Égalité, la République une et indivisible, etc... puis il met le feu au bûcher au milieu des cris de : Vive la République !

D'après le Bulletin du Département, dont les affirmations paraissent être parfois d'un optimisme exagéré, une "légère action" s'est engagée, le 19, aux portes avancées de la Croix-Rousse. Les assiégeants ont eu 17 morts, les Lyonnais un blessé seulement. Ces derniers ont pris deux faisceaux et une tente. Le lendemain, les Conventionnels demandaient, pour ensevelir les morts, deux heures de trêve qui leur furent accordées.

Dans la nuit du 24, pendant le deuxième de ces terribles bombardements par lesquels Dubois-Crancé espérait réduire les Lyonnais, mais qui ne faisaient qu'exalter leur courage, dans cette nuit effroyable qui vit l'explosion de l'arsenal, on se bat avec acharnement à la Croix-Rousse. "Un feu roulant et continuel a porté dans tous les rangs la consternation et la mort. On ignore le nombre des victimes. Les Lyonnais ont pris à l'ennemi deux a pièces de 4, et lui ont tué beaucoup de monde.

Le récit qui suit, publié plus tard par un acteur de la lutte, retrace un côté de la scène lugubre qui se déroula sur le plateau croix-roussien :
"Ma compagnie était au poste de la maison du Panier-Fleuri pendant la nuit désastreuse où, à l'aide de la trahison, l'ennemi incendia l'arsenal et un grand nombre de maisons adjacentes. Nous entendions dans le lointain un horrible vacarme, des détonations fréquentes. Le ciel était en feu et cependant, tout occupés de notre propre défense, nous n'avions pas la pensée du malheur qui, pendant cette nuit, nous frappait, car, depuis la chute du jour jusqu'au lendemain l'ennemi, de toutes ses batteries, fit pleuvoir une grêle de mitraille sur nous et sur le poste Gingenne qui était son principal point de mire. Il avait amené des canons dans la plaine qui était en face, et comme la maison du Panier-Fleuri était intermédiaire entre eux et le poste Gingenne, notre maison fut bientôt criblée.
"On sait que la nuit, tout retentit avec plus d'éclat : nous entendions si distinctement la voix des chefs ennemis, nous discernions si bien tous les commandements que, croyant avoir les assaillants presque au bout de nos baïonnettes, nous mîmes plusieurs fois en joue pour faire feu.
"La mitraille enlevait au-dessus de nos têtes les tuiles qui couvraient les murs de pisé ; il en était peu parmi nous qui ne fussent blessés, et nous ne savions plus où prendre position, si ce n'est dans la partie basse de la maison où nous aurions été inutiles, et où d'ailleurs nous pouvions être pris comme dans une souricière.
"Dès lors, nos commandants décidèrent qu'il convenait de faire retraite sur le poste Gingenne. Nous la fîmes au milieu de la mitraille, emmenant le sous-lieutenant de la compagnie qui venait d'être blessé. Ce bon jeune homme, aussi plein de bienveillance pour nous que d'attachement à la cause qu'il défendait, fut tué un peu plus tard aux Brotteaux.
"Cependant le commandant Gingenne nous voyant arriver, pensa aussitôt à son avant-poste du cimetière dont, par notre retraite, la position devenait plus critique ; il nous proposa de retourner sur nos pas, et de reprendre notre poste du Panier-Fleuri. Il arriva alors ce qui peut arriver à des troupes un instant découragées. Au commandement de porter les armes prononcé par notre capitaine, chaque soldat, comme si tous se fussent entendus, garda l'arme au pied. Ce n'était point refus d'obéir si l'ordre avait été itérativement donné, nul doute qu'il n'eût été exécuté.
"Le commandant Gingenne s'aperçut de cet abattement momentané. En homme prudent, il nous laissa à la place que nous occupions, alla à une autre compagnie qui était à quelques pas, et lui enjoignit de se rendre au Panier-Fleuri, ce qui fut fait à l'instant.
"Pour nous, nous eûmes une autre destination, sans qu'on nous parlât jamais de ce qui était arrivé pendant la nuit. Le lendemain, on ramassait la mitraille dans les chemins et dans les champs..".

C'est au cours de cette action meurtrière que le poste de la maison Panthot, vivement disputé, finit par tomber aux mains des Conventionnels. Ils en restèrent maîtres, en dépit d'un retour offensif des assiégés effectué quelques semaines plus tard.

Le général Grandval, qui commandait à la Croix-Rousse, y fut blessé mortellement et passa le commandement au comte Henry de Virieu, alors simple grenadier dans l'armée lyonnaise.

A la date du 2 septembre, le Bulletin, n° 26, dépeint comme suit la situation de notre localité : "Les habitants de Cuire-la-Croix-Rousse, patriotes et amis des loix, se sont dévoués à la cause de cette ville. Ils éprouvent toute la furie des tyrans qui résident au camp de la Pape, ils sont bombardés en plein jour, ils résistent comme nous à l'oppression. Comme nous, fidèles à la patrie et à leurs serments, ils supportent, avec un courage héroïque, les maux dont on les accable. Heureusement, les maisons dispersées et celles qui sont éloignées du foyer redoutable, ne s'embrasent pas aussi facilement que si elles offraient une masse, une surface qui se présente, pour ainsi dire, à l'atteinte immédiate du feu de l'ennemi. Ainsi, l'artisan dans son atelier, le cultivateur dans sa chaumière, le citoyen dans son domicile, le malade dans l'asyle de la douleur, aucun n'est à l'abri des coups de ces despotes féroces et sanguinaires qui répètent sans cesse, dans leur langage hypocrite, que le peuple est tout, qu'ils sont les protecteurs du peuple, les soutiens de la liberté et des droits du peuple".

Les 9 et 10 septembre, le Bulletin, n° 31, fournit la mention suivante sur la défense de la maison Neyrat : "La batterie de la maison Nairat est occupée par dix canonniers de la 5e compagnie d'artillerie, ce détachement est commandé par le citoyen Thurot, sergent. La conduite de ce détachement mérite les plus grands éloges. Après avoir essuyé pendant plus de huit jours le feu de l'ennemi et avoir perdu quelques-uns de leurs camarades, ils ont été relevés. Dès le lendemain, ils ont demandé à l'inspecteur de les rappeler à ce poste où ils sont encore, et qu'ils ne veulent quitter qu'autant qu'on les emploiera d'une manière plus utile, s'il est possible.
"Tel est le rapport fait par le citoyen Millanois, inspecteur d'artillerie au canton de la Croix-Rousse, au citoyen Précy. Le citoyen Millanois annonce l'état nominatif de ces généreux frères d'armes ; mais, en attendant, il désigne les citoyens Thurot, sergent, Magalon et Caminet, âgé de seize ans, comme des hommes d'un vrai courage, et le dernier comme n'ayant jamais voulu quitter le poste d'honneur".

Hélas ! malgré la vaillance de ces braves, la maison Neyrat, à son tour, était emporté par les assiégeants le 15 septembre.

La troupe lyonnaise, néanmoins, n'évacua pas cette position sans continuer une résistance acharnée qui coûta cher aux assaillants, ainsi qu'en témoigne ce rapport du général Coustard aux Représentants :
"Quartier Général de la Pape, le 16 septembre.
"Citoyens Représentants,
"La prise de la maison Nérac (sic) ne nous a pas coûté un seul homme. Nous n'avons eu que deux blessés, pris deux pièces de canon de 4 et deux coffres, fait deux prisonniers qui sont dangereusement blessés ; l'un d'eux me paraît être une victime que les rebelles ont fait marcher, la baïonnette dans les reins.
"Depuis 7 heures du matin, les rebelles font un feu infernal sur la maison Nérac : bombes, boulets, obus et mitraille y pleuvent comme grêle, ainsi que la mousqueterie. Ce feu nous coûte déjà environ vingt hommes, tant tués que blessés, dans le nombre desquels est le citoyen Leconte, chef de bataillon. Le feu est aux quatre coins de la maison Nérac..".

Quelques jours plus tard, le cimetière de Cuire était pris. Les Représentants Dubois-Crancé et Gauthier narrèrent comme suit ce succès à leurs collègues de la Convention :
"A l'attaque de ce cimetière, les soldats de la République ont fait des prodiges. Ils ont escaladé un mur de vingt pieds de haut, et se sont précipités de l'autre côté au travers d'une grêle de balles et de mitraille. Les rebelles ont fui jusqu'auprès du cheval blanc du général Précy que nous voyions de loin, mais hors de la portée du canon... Les Lyonnais ont perdu à cette affaire une soixantaine d'hommes ; nous avons fait treize prisonniers..".

D'après le Bulletin, n° 34, ce fut par ordre du général que les défenseurs se replièrent après une demi-heure de résistance.

Enflées par leur succès et prenant cette retraite pour une déroute, les troupes Conventionnelles attaquent aussitôt le poste du Centre. Déjà elles vont s'en emparer quand les canons de la batterie Gingenne les couvrent de mitraille, en même temps qu'une offensive hardie de l'infanterie lyonnaise les fait reculer.

Le même Bulletin retrace ainsi les épisodes de cette journée meurtrière : "Les ennemis ont poursuivi et attaqué vigoureusement les bataillons qui se repliaient, mais ils ont été à leur tour repoussés, et nos canons de la batterie Gingenne en ont fait un grand carnage. Les bataillons qui se sont le plus distingués à ce poste sont ceux de l'Union, de la Convention et de Wasington.
"Au poste du Centre, l'attaque a été encore plus vive. Les ennemis sont venus jusqu'à monter sur nos redoutes, la baïonnette au bout du fusil, mais un de nos braves canonniers a brûlé la cervelle au plus hardi, et il est même tombé dans la redoute. Au commencement de l'attaque, un de nos canonniers, craignant que le poste ne fût emporté, a eu le courage d'enclouer une pièce dont l'ennemi était presque maître. Là, les ennemis ont été repoussés avec autant de courage qu'au cimetière, et les gendarmes à pied, ainsi que les grenadiers du Change, ont montré la plus grande valeur.
"Le citoyen Général, toujours occupé des intérêts de la Cité, et dont l'oeil vigilant s'étend sur tous ceux que son génie fait mouvoir, nous a chargés de consigner ici une note d'autant plus précieuse qu'elle est de sa main : La manière dont se sont comportés les canonniers dans l'attaque qui a eu lieu ce matin à la Croix-Rousse, mérite les plus grands éloges. C'est une satisfaction bien précieuse pour moi de rendre hommage à la bravoure de mes braves frères d'armes, et je vois avec plaisir que l'administration s'occupe de donner des témoignages éclatants de sa reconnaissance à tous ceux qui se distingueront, en faisant frapper des médailles qui seront la juste récompense due à la valeur.
"Après avoir parlé des Canonniers, je m'empresse dé rendre la même justice à tous les Grenadiers et Chasseurs. Tous ont montré du courage, de l'énergie, et je jouis en commandant de si braves gens. Je vous prie aussi d'insérer dans votre Bulletin que la prise du Cimetière ne doit point alarmer les citoyens. Ce poste, peu important nous était plus à charge qu'utile par le nombre d'hommes qu'il occupait, et j'avais eu souvent envie de le faire abandonner. J'ai cru devoir à mes concitoyens cet avis ; je pense qu'il suffira pour détruire toute impression fâcheuse".
"Le Général estime qu'environ deux cents de nos ennemis ont resté sur la Place ; nous avons eu un mort et quelques blessés.
"La citoyenne Adrien, lyonnaise, s'est distinguée à l'action qui a eu lieu à la Croix-Rousse, samedi matin. Cette citoyenne, âgée de 18 ans, est au service de la Cité depuis le 1er de ce mois ; elle a été blessée à côté de son frère, canonnier, qui l'a été mortellement, elle a continué son service malgré sa blessure.
"Nous saisissons avec empressement l'occasion que fournit un si bel exemple pour rendre à nos concitoyennes l'hommage qu'elles méritent : la fermeté, le courage, la patience, sont des vertus qui ne sont point étrangères à leur sexe...
"Nous nous hâtons de publier une nouvelle preuve de la bravoure des gendarmes à pied... A l'attaque que les ennemis ont faite samedi à la Croix-Rousse, les gendarmes ont fait des prodiges de valeur et d'intrépidité. On les a entendus crier plusieurs fois, après les décharges : fondons sur eux à l'arme blanche".

On l'a remarqué, l'estimation des pertes, telle qu'elle est donnée dans les deux camps paraît de part et d'autre très contestable. Le chiffre de 200 hommes tués ou blessés grièvement, énoncé par le Bulletin du Département, est certainement exagéré.

De même, en dépit des déclarations optimistes de Précy, les Lyonnais ne pouvaient se dissimuler que la perte de la position du cimetière de Cuire compromettait la sécurité de leurs ouvrages de gauche.

Si le drame qui se déroulait dans notre ville s'illustrait de l'abnégation héroïque de ses défenseurs, il s'y rencontrait aussi de méprisables traîtres.

Parmi ces derniers - s'il faut en croire quelques auteurs contemporains - le curé de la Croix-Rousse, Plagniard, joua un rôle particulièrement odieux, Chaque nuit, et à l'aide de signaux convenus ce prêtre indigne attirait les bombes des assiégeants sur l'hôpital où reposaient les blessés de sa paroisse, hôpital établi dans le cloître des anciens Augustins.

Enfin, après une résistance de deux mois, et vaincu par la famine plus encore que par les boulets, Lyon dut se rendre à discrétion (9 octobre).

Les vengeances de la Convention seront atroces. Un décret ordonne la destruction de la ville et bientôt les démolitions commencent. Pendant six mois consécutifs, la guillotine fonctionnera quotidiennement, le décadi excepté. Les mitraillades s'y joindront pour multiplier les victimes qui compteront plus d'humbles, gens du peuple, ouvriers, commis, petits commerçants de tout âge et de tout sexe, que de nobles et de riches. Ce sera le règne de la Terreur dans sa cruauté hideuse. La Croix-Rousse lui payera un large tribut.

CHAPITRE XII
1793 (suite)


Municipalité jacobine. - Nomination du Comité révolutionnaire. - Election du juge de paix. - Les commissaires Jourdan et Maillot. - Les armes et la cocarde tricolore. - La commune prend le nom de Chalier. - Fête de Chalier. - Suppression des croix, attributs religieux, etc... Mariage du vicaire Enay. - Livraison des cloches, des fers et des cuivres. - Délibérations municipales. - Transport d'armes. - Rapport des commissaires. - Tableau de l'argenterie réquisitionnée.

Dès le 15 octobre, une nouvelle municipalité était nommée par le Représentant Maignet. Elle se composait des citoyens Baudrand (Jean-François), maire. Doriel (Charles), procureur de la commune. Prost (Pierre), officier municipal, Jacqui (Jean), officier municipal, Plagniard (Charles), officier municipal, Sicard (Philibert), officier municipal, Brun (Jacques), officier municipal, Spériolin (Jean-Pierre), officier municipal, Tocanier (Jean), notable, Baudrand (Philippe), notable, Campagne (François), notable, Boucharlat (Simon), notable, Enay (Claude-François), notable, Bruignan (Nicolas), notable. Bonnardet (Jean), notable, Ronze (Antoine), notable. Lafay (François), notable, Guillot (Jean), notable, Berger (Christian), notable, Jullien (François), notable.

L'arrêté qui établissait cette municipalité lui enjoignait de "redoubler de zèle et de vigilance pour déjouer les complots qui pourraient se former contre les intérêts de la République, et pour arrêter et livrer aux tribunaux tous les scélérats qui ont pris part aux projets liberticides formés dans la ville de Lyon".

Ce canton de la Croix-Rousse, était-il dit encore, "se trouve enveloppé dans la conjuration". Il convient donc de prendre les mêmes mesures de rigueur, soit pour arrêter les coupables, soit pour séquestrer leurs biens.

Pour la seconder dans l'exécution de ce mandat, la municipalité, avec l'assentiment des Représentants, se hâta d'établir un comité de surveillance (dit aussi révolutionnaire), dont les membres avaient tous donné des gages de leur attachement à la faction triomphante. C'étaient les citoyens :
Gesse (Benoît), désigné à la présidence par le District, Burel (Jean), sorti de Lyon le 6 août, Bruîgnan (Nicolas), soldat du bataillon lyonnais, Sigaud (André), incarcéré pendant le siège, Lagrange (Julien), incarcéré pendant le siège, Cloître (Claude), soldat du bataillon lyonnais, Levrat (Sauveur), sorti de Lyon le 6 août et soldat des Guides, Posson (Germain), ayant obéi à la loi, Sautemouche (Benoît), ayant obéi à la loi, Puy (Henry), ayant obéi à la loi, Ronze (Antoine), ayant obéi à la loi.

Ces quatre derniers avaient été désignés par les commissaires Jourdan et Maillot, de la Commission Temporaire de surveillance républicaine, qui n'estimaient pas suffisante la composition première du comité pour le grand nombre de séquestres qu'il aurait à effectuer. Le citoyen Maigrot en fut le secrétaire.

La municipalité élisait encore, comme juge de paix, le citoyen Sibille, ex-sergent major à la compagnie des Guides, en remplacement de Chevassu, détenu à Bourg par ordre des Représentants du peuple.

Nous venons de mentionner les citoyens Jourdan et Maillot. Membres de la section ambulante de la Commission Temporaire de surveillance républicaine, ces deux commissaires avaient reçu, le 12 novembre, la mission d'opérer dans les communes riveraines de la Saône : la Croix-Rousse, Cuire, Caluire, Fontaine, Rochetaillée, Fleurieu et Neuville.

Leur passage à la Croix-Rousse y intensifia l'action révolutionnaire, principalement dans les arrestations, les confiscations et la destruction des objets du culte.

Le 14 novembre, la municipalité constate qu'après le désarmement ordonné par la loi, il se trouve 119 fusils "de calibre", un fusil de rempart d'environ onze pieds de longueur et deux pistolets d'arçon qui seront versés au magasin indiqué par l'adjudant Noël. On gardera 100 fusils pour armer la compagnie révolutionnaire du canton. Les fusils de chasse, ainsi que les sabres, briquets, piques, épées, pistolets de poche, et toutes autres armes défensives, resteront dans la salle commune.

Le tambour passera pour rappeler aux habitants l'obligation, imposée par la loi, de porter la cocarde aux trois couleurs, signe de la liberté, sous peine de huit jours de prison.

Enfin, ce même jour, notre localité répudie sa vieille appellation de la Croix-Rousse pour adopter celle de commune Chalier, ce qui est approuvé, dit le procès-verbal, "par le peuple et la Société populaire assemblés dans la ci-devant église, et sur les places et chemins de cette commune, où la proclamation en a été faite".

Le lendemain 15, Jourdan et Maillot, "envoyés dans notre commune à seule fin de nous instruire de la marche que nous devons suivre" - disent les officiers municipaux - assistent à leur séance. On y décide la suppression, à bref délai, des attributs de Saint-Augustin et de Saint-Denis qui décorent l'église paroissiale, et la réquisition d'une voiture pour conduire à Ville-Affranchie une cloche, ainsi que les armes en dépôt dans la commune. Puis, on concède un local de réunion au Comité révolutionnaire.

Le lendemain 16 on célèbre solennellement la fête de Chalier, avec le concours des commissaires, de la municipalité, du comité révolutionnaire et des citoyens et citoyennes de la commune.

Ce même jour, la municipalité édicte les mesures d'application qu'impose le nouveau régime : obligation pour les propriétaires d'apposer aux portes d'allées de leurs maisons des tableaux indiquant les noms ; âges et professions de ceux qui les habitent ; commande, au bennier Jacques Cret, de trois baquets pour les prisonniers ; la garde sera montée tous les jours, et les défaillants seront condamnés à trois livres d'amende.

Enfin, la municipalité songe à sa propre installation, Elle s'empare de l'appartement du curé pour y placer son mobilier formé de trois tables avec tiroir fermant à clef, l'une pour le maire, l'autre pour le procureur et la troisième pour le secrétaire ; puis elle fait emplette d'une sonnette et de trois flambeaux.

Le 25, Jourdan et Maillot assistent encore à la séance du corps municipal. On y arrête que le tambour passera dans l'étendue de la commune pour avertir les citoyens de faire abattre les croix qui se trouvent dans leurs propriétés.

Dorénavant, les certificats de civisme ne seront délivrés qu'après soumission au visa communal et la production de huit témoins, conformément à la loi.

Les commissaires enjoignent à la municipalité de faire placer en gros caractères, sur la porte du local de ses séances, l'inscription Liberté et Egalité - Municipalité Chalier ; sur les murs de la salle Liberté et Egalité - République une et indivisible - Mes amis sont mes défenseurs. Le bonnet de la Liberté sera placé au plafond, avec autour : République française.

En fin de séance, la municipalité décide que la décade (10 frimaire - 30 novembre) sera célébrée "avec toute la pompe dont elle est susceptible". Le citoyen Burel est chargé d'en dresser le programme. D'autres municipaux devront faire préparer des costumes d'hommes et de femmes, une charrue et deux grands chênes. Le citoyen Enay prononcera le discours de circonstance, et la fête se terminera par un banquet civique.

Ainsi que le constate le rapport des commissaires Jourdan et Maillot qu'on lira plus loin, la fête eut lieu, ils y prirent part.

Plus encore, elle comporta un élément joyeux non prévu au programme, à savoir le mariage de l'ex-vicaire Enay, contracté ce même jour. Nous n'avons pas le texte du discours de l'orateur, mais il est permis de penser qu'il dut se teinter quelque peu des sentiments optimistes du jeune époux !

Ce fut à l'issue de cette fête que la Société populaire réclama l'élargissement des détenus, comme nous le rapporterons plus loin.

A la séance du 11 décembre, se présente le citoyen Paquin (Jean-Baptiste), commissaire du Comité de Salut public de la Convention Nationale, envoyé dans les départements de Rhône-et-Loire et circonvoisins, pour y accélérer l'exécution du décret portant qu'il ne sera laissé qu'une seule cloche dans chaque paroisse, que les autres, ainsi que les divers métaux, seront mises à la disposition du Gouvernement pour être converties en canons.

A la réquisition de Paquin, la municipalité répond : il se trouvait dans la commune le nombre de sept cloches, dont quatre dans le Clocher, une à Saint-Pothin, une autre à l'Enfance et la dernière chez le citoyen Vouty. Il se trouvait aussi des fers et des cuivres dans l'église de la ci-devant paroisse. Lesdites cloches sont maintenant, ainsi que les cuivres, à Commune-Affranchie où elles ont été conduites. Quant aux fers de l'église et du cloître, ils sont arrachés et seront incessamment transportés à Commune-Affranchie, dans la ci-devant église de Saint-Pierre, lieu de dépôt choisi par le Directoire.

Il n'y a dans la commune aucune autre maison nationale d'émigrés, ou de Lyonnais réputés émigrés, contenant des fers ou autres métaux.

Le lendemain 12, la municipalité décide l'adjudication au rabais des fers existant dans la maison de l'Enfance. Avec l'aide de quatre ouvriers, ces fers sont enlevés quelques jours plus tard. Ils comprennent ceux des tonnes et des arbres fruitiers du jardin, mais le garde-fou de l'escalier sera laissé en place.

Malgré la célérité promise pour la livraison des fers, ceux-ci étaient encore en dépôt dans l'église le 18 janvier suivant. A cette date, l'administration municipale décide que ces fers seront pesés et qu'un état en sera remis au District, avec avis qu'elle ne trouve point de voitures pour les transporter à Commune-Affranchie.

Le poids total des fers déposés tant à l'Enfance qu'au ci-devant cloître et autres endroits de la commune s'élevait à 18.500 livres, poids de marc.

Le 8 mai, le citoyen Millan fils reçut 65 livres pour "différentes voitures destinées au transport des fers et cuivreries à Commune-Affranchie".

Le 14 décembre, le citoyen Burigniot reçoit de la municipalité une commission de commissaire de police aux appointements de 800 livres, avec charge de faire gratuitement les assignations à la requête du procureur de la commune, de poser les affiches, etc. La séance municipale du 15 décembre est présidée par Jourdan.

Il fait ordonner la démolition du clocher et n'oublie pas, malgré la détresse générale, d'acquitter les appointements des membres de la municipalité et du greffier, soit pour chacun 1.200 livres, plus 400 livres pour les frais de bureau. Il est vrai que ces sommes provenaient, en partie, des prélèvements opérés chez les riches et déposés entre les mains du nouveau trésorier, le municipal Burel.

Les membres du comité révolutionnaire, ainsi que le geôlier de la prison communale, réclamèrent eux aussi le payement de leurs émoluments. Mais leur demande fut renvoyée à l'appréciation du District.

A cette même séance fut prononcée l'arrestation de l'ex-curé Plagniard, sans que le procès-verbal en énonce le motif.

La taxe révolutionnaire sur les riches était prescrite par un arrêté du Département, pour en appliquer le produit à nourrir, vêtir, loger les infirmes, vieillards, orphelins, indigents, et rémunérer le travail des citoyens valides. Nous trouvons, à ce moment, la mention d'une distribution de vêtements et de matelas aux indigents de la commune.

Enfin le 1er janvier 1794 (12 nivôse) le commissaire Maillot fait transporter à Commune-Affranchie les armes et autres effets dont suit la liste et dont il signe la réception, avec son collègue Jourdan :
25 fusils de calibre, tant bons que mauvais, avec leurs bayonnettes 7 bayonnettes. 17 gibernes. 3 sacs de peau. 1 croix sans christ de cuivre. 3 croix avec le christ, dont 2 avec leur pied. 10 chandeliers en cuivre. 15 habits d'uniforme, dont un qui est décousu. 5 culottes. 1 veste. 1 manteau bleu. 1 calice en argent doré.

Un mois plus tard, le municipal Prost remettait encore à l'administration du district :
2 fusils de calibre. 4 gibernes. 3 casques. 2 sacs de peau. 12 fourreaux de bayonnettes. 1 baudrier. 1 platine de fusil.

Plus, des objets de cuivre provenant des églises et chapelles. Voici maintenant le rapport qu'adressèrent à la Commission Temporaire Jourdan et Maillot, concernant leur mission à la Croix-Rousse :
"Par arrêté de la Commission Temporaire, du 22 brumaire (12 novembre), j'ai été chargé d'aller dans la commune de la Croix-Rousse pour surveiller la conduite des autorités et des comités révolutionnaires, pour organiser des sociétés populaires, pour y prêcher la doctrine sacrée de la liberté, de l'égalité et de la souveraineté du peuple, pour faire établir le gouvernement révolutionnaire suivant le voeu de la Convention Nationale et d'après ses décrets, pour imprimer dans tous ses individus le respect dû aux législateurs, et à tous les décrets que le bonheur du peuple leur inspire.
"J'ai eu pour adjoint et collègue le citoyen Maillot.
"D'après ces principes, nous nous sommes présentés à la commune de la Croix-Rousse que, d'après le voeu d'un nombre de patriotes, nous avons désignée sous le nom de commune Chalier, jusqu'à autorisation de la part du Comité de Salut public de la Convention Nationale.
"Le Curé et le vicaire étaient membres du Conseil général de la commune, nous les avons remplacés par deux patriotes désignés par la voix publique.
"Le vicaire nous ayant dit qu'il était dans l'intention de se marier, nous avons indiqué cette cérémonie pour un jour de décadi, nous avons assisté à cette fête à laquelle la presque totalité des citoyens de cette commune s'est rendue.
"Précédemment nous avions, le jour de décadi, fait célébrer une fête pour la mémoire de Chalier dont la commune venait d'adopter le nom. Un banquet civique a eu lieu dans l'une et l'autre desdites fêtes.
"Nous avons constamment assisté aux séances de la Société populaire, et nous y avons, autant qu'il a été en notre pouvoir, prêché l'amour de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Nous avons étudié le caractère des magistrats du peuple et nous avons examiné leur conduite.
"Une liste de quelques supects nous ayant été fournie, nous en avons ordonné l'arrestation et en avons averti la Commission Temporaire.
"Nous avons nous-mêmes sollicité, auprès des citoyens aisés, les matières d'or et d'argent qu'ils pourraient avoir, afin qu'ils s'en fissent rembourser par la République le prix en assignats, ou qu'ils en fissent don à la patrie, le tout à leur choix. Nous disons, avec vérité, que cette invitation a été écoutée par tous ceux à qui nous croyons avoir pu la faire.
"Nous avons pareillement invité les citoyens aisés à fournir de ce qu'ils pourraient avoir de trop en effets, mobiliers ou vestiaires, pour être distribués à ceux qui pourraient en avoir besoin. Cette invitation a eu pareillement assez de succès. La municipalité et le comité révolutionnaire ont été chargés de cette distribution aux indigents.
"La commune manquant de grains, l'un de nous est allé à Fontaine et dans quelques communes voisines, et nous avons rendu à la circulation des grains que la commune Chalier faisait acheter pour son usage, et que l'égoïsme et la malveillance empêchaient de sortir.
"Nous avons rappelé à tous les citoyens que la patrie leur demandait les armes, manteaux, selles, brides, etc... qui pourraient servir aux défenseurs de la République. Nous avons conduit à Commune-Affranchie les armes etc... que nos exhortations ont fait porter à la commune.
"Sur l'observation du Conseil général de la commune, nous avons alloué un traitement de trois livres par jour à chacun des membres composant la municipalité et le Comité révolutionnaire, par forme d'indemnité, cette indemnité nous avant paru indispensable dans ce moment où ces membres bons sans-culottes, obligés de travailler pour vivre et nourrir leurs familles, sont permanents dans leurs fonctions et sont dès lors privés du fruit de leurs travaux ordinaires.
"Nous n'avons compris, pour cette indemnité, ni les notables., ni ceux de la municipalité qui pourraient s'en passer.
"Nous avons invité tous les citoyens aisés de la commune à former un fonds provisoire à cet usage..".

Jourdan et Maillot ont raison d'insister sur le succès de leurs sollicitations auprès des détenteurs d'objets précieux, pour les décider à en faire l'abandon à la République. Le tableau qui suit prouve que les deux commissaires surent donner une vaste envergure à leurs opérations de réquisition. Malheureusement, moins prolixe que le rapport, le tableau est muet sur le degré de contentement qu'éprouvèrent, au fond d'elles-mêmes, les victimes plus ou moins volontaires de cette spoliation :
"Tableau de l'argenterie mise en réquisition, dans la commune Chalier, par les membres de la Commission Temporaire de surveillance républicaine, certifié sincère par les maire et officiers municipaux.

Citoyens chez qui on a requis :
Citoyenne Chirat. Larnarche et Devillas. Chauve. Bois de la Tour. Antoine Martin.

Quantités et qualités des objets requis :
3 couverts à soupe. 18 pièces argenterie, cuillères et fourchettes, carcasse d'un huilier et un bougeoir. 6 couverts à soupe. 6 cuillères à café. 12 couverts à soupe. 17 cuillères à café. 8 couverts à soupe. 4 salières. 1 cafetière. 1 grande cuillère à soupe.

Citoyens qui ont requis :
Jourdan. Jourdan. Jourdan. Jourdan. Maillot. Jacquenot. Deschamps. Cabanon. Barraud. Veuve Guillot. Morel. Veuve Caillat. Veuve Sturla. Veuve Rougier. Duprès. Léger. Courajod-Motteville. Félix. Renaud. Gombeau. Jean Graffe. Citoyenne Cabanon à l'Enfance.

Quantités et qualités des objets requis :
11 couverts à soupe. 6 cuillères à café. 1 une grande cuillère à soupe. 12 couverts à soupe. 11 cuillères à café. 4 cuillères à ragoût. 1 gobelet. 1 calice. 1 patène. 1 croix. 6 couverts de table. 12 couverts à soupe. 6 cuillères à café. 8 couverts à soupe. 4 cuillères à café. 1 salière. 6 cuillères à soupe. 4 fourchettes. 1 cuillère à ragoût. 2 couverts à soupe. 2 cuillères à café. 9 couverts à soupe. 9 cuillères à café. 2 salières, 1 écuelle et son couvert. 1 cuillère à ragoût. 1 paire boucles d'argent. 12 couverts à soupe. 4 salières. 1 cafetière. 1 gobelet d'argent. 4 plats d'argent. 1 calice argent doré avec sa patène. 12 couteaux avec manche argenté. 12 couverts à soupe. 2 cuillères à ragoût. 6 cuillères à café. 1 grande cafetière à 12 tasses. 1 sous-coupe. 1 verrière crénelée. 1 soupière. 6 couverts à soupe. 1 cuillère à soupe, 1 cuillère à ragoût. 12 couverts à soupe. 1 cuillère à soupe. 1 cuillère à ragoût. 1 calice avec sa patène. 1 calice avec sa patène.

Baudrand, maire, Doriel, agent national qui ont remis à Jourdan.
Baudrand, maire, qui a remis à Maillot.
Doriel, agent national.
Jourdan et Maillot.
CitoyenneChenavierl.

Provenant de la ci-devant paroisse :
1 calice avec sa patène. 3 calices et leurs patènes. 3 ciboires complets. 1 ostensoir. 1 boîte à Saintes Huiles. 1 custode. 1 boîte à baptême. 1 pomme d'argent avec petit sceptre. Tous les objets et ornements d'église portant or ou argent.

Jourdan et Maillot.
Déposé au district de la Campagne.

"Nous, maire et officiers municipaux de la commune Chalier, ci-devant la Croix-Rousse, certifions sincère le présent tableau. Sicard, Brun, Spériolin, officiers municipaux. Doriel, agent national près la commune".

CHAPITRE XIII
1793 (suite)


Arrestations et emprisonnements. - Demande de libération. - Déclarations d'un détenu. - Interrogatoires, jugement et condamnation à mort de membres de la municipalité. - Leurs possessions et leur familles.

Nous l'avons dit, les vengeances de la Convention devaient être impitoyables, et ses Représentants à Lyon allaient y verser des flots de sang.

Une première série d'arrestations eut lieu dans notre commune, par ordre des patriotes de la Croix-Rousse. Ainsi l'affirme un état des individus incarcérés, dressé le 16 novembre et signé du citoyen Benoît Gesse, président du comité révolutionnaire, qui déclare les avoir dénoncés "comme étant des contre-révolutionnaires, et s'étant aidés de tout leur pouvoir pour soutenir la cause des rebelles de Lyon". C'étaient les sieurs Burdel, maire de la Croix-Rousse. Giraud, premier officier municipal. Fréminville, officier municipal. Chevassu, juge de paix du canton. Velay, commandant la garde nationale. Puy (Jacques), épicier, grenadier à la Croix-Rousse. Toscan (Antoine), grenadier. Vannier, officier de la garde nationale. Lassauzée, instituteur à la Croix-Rousse. Chatagnez, bourgeois à la Croix-Rousse.

Ce dernier, pour avoir "enlevé les régistres de la Société populaire de la section de la Croix-Rousse".

Une deuxième liste, non datée, contient, en plus de la plupart des noms qui précèdent, ceux de :
Puy (Pierre), détenu à l'Hôtel-de-Ville. Saunier le jeune (Pierre), détenu à Roanne. Calas, capitaine des grenadiers et notable. Puy (Antoine), notaire à la Croix-Rousse. Courbet (Michel), charron à la Croix-Rousse. Richard (Pierre-Laurent), charpentier à la Croix-Rousse. Garon père (Simon), cordonnier à la Croix-Rousse. Garon fils (Jean-Louis), cordonnier à la Croix-Rousse. Lafay (Antoine) épicier à la Croix Rousse. Revol père (Joseph), jardinier à la Croix-Rousse. Revol fils (Guillaume), jardinier à la Croix-Rousse. Bessenay (Etienne), cabaretier et officier de la garde de la Croix-Rousse. Guillermin (Jean-Baptiste) rentier à la Croix-Rousse. Veraut ou Verot (Jean-Marie) charcutier à la Croix-Rousse. Fréminville père, rentier à la Croix Rousse. Lacoste fils (Fleury), à la prison de la Croix-Rousse. Bassereau (Michel), notaire à la Croix-Rousse. Lacoste père, à la prison de la Croix-Rousse. Duon (Michel), capitaine de la garde nationale de la Croix-Rousse.

Enfin, le comité révolutionnaire dressait, à la date du 25 novembre (5 frimaire), un état des individus du canton Chalier (ci-devant la Croix-Rousse) alors détenus dans les prisons de Lyon. Pour chacun d'eux, le comité énumère les motifs pour lesquels il les a fait arrêter. Voici cet état :

LASSAUZÉE (Jean-Baptiste), détenu aux Recluses.
Est connu pour un homme très suspect. Comme il est resté dans nos archives un placard fabriqué de sa main qui atteste ses sentiments contre-révolutionnaires, le Comité a jugé à propos de le mettre en arrestation.

CHENAVIER (Alexandre-Louis).
On a trouvé chez lui un calice et autres objets d'église. Regardé pour ce motif comme rebelle à la loi, vu qu'il n'en a pas fait la déclaration. On a aussi trouvé chez lui des armes. Le comité a jugé à propos de le mettre en arrestation.

PELIN (Alexis).
Bien qu'il n'existe contre lui aucune dénonciation, le comité a jugé néanmoins devoir le faire traduire au comité de surveillance générale de Ville-Affranchie comme homme suspect, attendu qu'il était ci-devant père augustin.

GARON père et fils.
Seront traduits au comité de surveillance générale de Ville-Affranchie, vu que le fils a volontairement servi dans les chasseurs à pied du général de Précy. Le père et le fils en outre, accompagnés de la force armée, sont allés chercher Gesse, et l'ont voulu frapper parce qu'il était patriote et jacobin.

VEROD (Jean-Marie).
A été mis en arrestation pour avoir conduit en prison, par ordre des rebelles, la citoyenne femme Gillet. Ladite voulant adoucir son sort, Verod lui dit : "qu'elle était une misérable, qu'elle venait de l'armée de Crancé et que son fils était aussi un espion à Dubois-Crancé, et qu'il était bien temps de mettre fin au complot des clubistes".

FRÉMINVILLE père.
Notable de la ci-devant municipalité. Il n'y a aucune dénonciation à son égard. Sera néanmoins, vu sa qualité de notable, traduit au comité de surveillance générale pour être plus amplement informé.

TOSCAN (Antoine) bourgeois.
A été arrêté comme suspect, attendu qu'il a manifesté des sentiments contraires aux voeux de la République. Sera traduit au comité de surveillance générale pour être plus amplement informé.

REVOL père (joseph).
Aucune dénonciation à son égard. Sera néanmoins traduit au comité de surveillance générale pour y être plus amplement examiné, vu qu'il est ci-devant notable.

BESSENAY (Etienne).
Sera conduit au comité de surveillance générale, attendu qu'il était lieutenant depuis longtemps, et qu'il a tenu des propos contre la Liberté au citoyen Antoine Villoud.

LACOSTE (Jean).
Dénoncé pour avoir fait vendre, durant le siège, pour 1.500 livres de vin et pour 260 livres de farine appartenant au citoyen Pino, aubergiste sur le quai Saint-Clair.

GUILLERMIN (Jean-Baptiste).
Arrêté comme suspect, et sera traduit au comité de surveillance générale pour plus ample informé.

DUON (Michel), dessinateur, détenu aux Recluses.
Sous-lieutenant longtemps avant le siège, conduit à Ville-Affranchie pour avoir porté les armes contre les troupes de la République.

PUY (Jacques), épicier, détenu aux Recluses.
Il y a trois dénonciations contre lui. La première est d'avoir contribué à l'exécution de Bernard Tissier. La deuxième, d'avoir dit que les citoyens Prost et Nicoud étaient allés trouver "ce brigand de Dubois-Crancé". La troisième, émanant de la femme Anne Bizet, de l'avoir fait arrêter et emprisonner jusqu'au retour de la veuve Aubert.

REVOL fils (Guillaume), détenu aux Recluses.
Aucune dénonciation contre lui. Sous-lieutenant longtemps avant l'époque du siège. Traduit en jugement en vertu de l'ordre qui a été donné d'arrêter tous officiers du ci-devant bataillon.

BASSEREAU (Michel), notaire, détenu aux Recluses.
Aucune dénonciation contre lui. Traduit en jugement en vertu de l'ordre donné d'arrêter tous notaires, avocats, etc...

VANNIER (Ferdinand), chirurgien et bas-officier.
Traduit au comité comme homme suspect.

CALAS (Jean), détenu aux Recluses.
Depuis très longtemps capitaine et non-démissionnaire. Traduit au comité en vertu de l'ordre donné d'arrêter tous officiers, etc.

L'état qui précède est signé de Gesse, président, Maigrot secrétaire, Henry Puy, Lagrange, Posson, Levrat, membres du Comité révolutionnaire.

Cinq jours plus tard, la population croix-roussienne accomplit un acte qui l'honore et qui repose un instant du spectacle de tant d'excès perpétrés par la tyrannie jacobine.

C'est le 10 frimaire an II (30 novembre 1793), jour de décadi.

En présence du citoyen Jourdan "commissaire des jacobins de Paris", les corps administratifs réunis et le peuple sont assemblés dans la ci-devant église.

La séance est ouverte sur la question des prisonniers du canton Chalier. Le président du Comité révolutionnaire monte à la tribune et dit :
"Citoyens, nous venons de célébrer la première décade de ce mois, fête entièrement consacrée à un peuple libre, fête enfin où, dans l'assemblée du peuple et de ses magistrats réunis, on peut interroger l'opinion d'un peuple libre qui ne veut que le bien, et qui ne doit se gouverner que par des principes d'humanité et des actes de bienfaisance.
"A cet effet, nous allons interroger l'opinion publique pour obtenir l'élargissement des prisonniers de cette commune".

Ainsi invitée à se prononcer, l'assemblée commence par réclamer l'élargissement du citoyen Calas, teneur de livres, neveu de cette infortunée famille des Calas que le fanatisme de Toulouse a fait "périr sur l'échafaud". L'Assemblée Nationale - poursuit le procès-verbal - vient de rendre un décret en faveur de cette infortunée famille. "A plusieurs reprises, le peuple a crié, d'une Voix unanime : Grâce Pour Calas. Et le peuple ne s'est sûrement pas trompé dans son opinion, car, depuis la Révolution, cet homme qui vit d'un travail journalier, a sacrifié pour le bien public au moins les deux tiers du produit de son industrie. Et s'il a erré un instant, c'est contraint par la force aristocratique qui s'est emparé du bourg, à qui il a fallu céder".

L'assemblée demande ensuite la mise en liberté de Hogué, cordonnier Vannier, chirurgien Revol fils, jardinier Bessenay, cabaretier Duon, dessinateur Renaud, libraire Jacquenod ; Guinat (Charles) Puy (Jacques), épicier Puy (Pierre), épicier ; Puy (Antomée), notaire ; Puy (François), aubergiste. Tous détenus dans les prisons de Ville-Affranchie.

Il n'existe pas - continue le procès-verbal - de dénonciations assez graves contre ces hommes pour les retenir plus longtemps. D'ailleurs, les dénonciations qui ont été produites émanent de femmes qui n'ont obéi qu'à des motifs de haine, et dont plusieurs se sont rétractées.

Nous ne parlons, affirme le rapporteur de l'Assemblée, que d'après l'opinion publique qui réclame ces hommes à grands cris, avec leurs épouses et leurs enfants. Leurs moeurs et leur vie sont irréprochables.

A ces considérations, conclut-il, la Commission Temporaire voudra bien faire droit à la réclamation générale de la commune Chalier. "Nous espérons tout de sa justice attendu que les hommes qu'elle réclame ne sont ni riches, ni accapareurs, ni muscadins, ni contre-révolutionnaires. Ils avaient leurs grades depuis longtemps, ils n'ont pu s'en démettre. Ce sont des êtres journaliers (sic) qui ont suivi parce que la force de Lyon est montée au bourg pour le soumettre à ses voeux. D'ailleurs, la Commission a assez de lumières pour voir que nous ne disons que la vérité, toute la vérité et rien que la vérité".

Cette requête est appuyée par la municipalité en ces termes :
"Nous, maire et officiers municipaux de la commune Chalier, en appuyant le voeu du peuple mentionné au verbal cy-dessus, déclarons que nous aprouvons ledit verbal, et suplions les citoyens représentants du Peuple de sanctionner sa volonté en faisant mettre en liberté les prisonniers détenus qui sont dénommés au verbal.
"Doriel, procureur de la commune, Baudrand, maire, Jaqui, municipal" (11 frimaire - 1er décembre).

Le Comité révolutionnaire, à son tour, y adhère comme suit :
"Nous, membres du Comité révolutionnaire du canton Chalier, d'après le voeu du peuple et conformément au dit procès-verbal, déclarons que nous approuvons ledit verbal, et suplions les citoyens représentants de vouloir bien sanctionner sa volonté à ce sujet, en faisant mettre en liberté les prisonniers détenus, et qui sont dénommés audit verbal.
"Gesse, président, Maigrot, secrétaire" (11 frimaire - 1er décembre).

Comment répondirent les Représentants et leurs séides de la Commission Temporaire à ce voeu humanitaire du peuple de la Croix-Rousse ? Ils ne paraissent pas en avoir tenu compte. Si quelques-uns des détenus furent rendus à la liberté, le plus grand nombre, victimes du fanatisme révolutionnaire, montèrent sur l'échafaud ou périrent sous la mitraille.

La liste des condamnés va se dérouler, lugubre, avec les particularités qu'ont gardées, sur la plupart, les documents contemporains auxquels nous avons recouru. Ces documents, assez éloquents par eux-mêmes, parleront seuls et nous nous abstiendrons de tout commentaire.

Ainsi qu'on l'a vu plus haut, la municipalité de la Croix-Rousse avait ouvertement adhéré au soulèvement des Lyonnais. Aussi, avant tous autres, ceux de ses membres qu'on a pu atteindre furent-ils mis en jugement.

Le 12 novembre (22 brumaire), le président de la Commission de justice populaire, Dorfeuille, autorise le citoyen Champanhet à procéder, dans la prison de Saint-Joseph, à l'interrogatoire de l'officier municipal Fréminville (Jean-Baptiste-Claude) pour savoir où se trouvent les autres membres du corps municipal.

D'après le procès-verbal, voici les déclarations fournies par le prisonnier :
"Le citoyen Fréminville a dit être seul à Saint-Joseph, que les citoyens Giraud, premier officier municipal, et Pierre Saunier, notable, étaient sortis de la Croix-Rousse environ le 5 ou 6 octobre, qu'ils avaient été auprès des Représentants ; qu'il avait appris qu'on les avait envoyés à Bourg, de là à Valence, et que de Valence ils avaient été traduits dans cette ville, et qu'ils étaient détenus à Roanne ou à la Commune ; qu'il avait appris que le nommé Burdel, maire, avait été arrêté et traduit à Roanne, qu'ensuite il avait été élargi ; que Orsel, officier municipal, était chez lui tranquille à Cuire-la-Croix-Rousse ; que Baudrand, Bertet, Gonon, Rivière, Pitiot, tous officiers municipaux, étaient pareillement chez eux tranquilles ; qu'il n'avait en aucune manière appris où était le nommé Bonamour, procureur de la commune ; qu'il avait tout appris par Jeanne-Marie Vincent, sa domestique ; que le juge de paix de la Croix-Rousse, nommé Chevassu, notable et membre de la fameuse Commission départementale, était arrêté à Bourg ; que le nommé Claude Nesme avait, pour ainsi dire conduit la Barque (sic) pendant le siège, qu'il avait commis plusieurs actes arbitraires, tels que la dévastation des maisons des patriotes qui étaient absents, qu'il était notable et que lui, Fréminville, ignorait s'il avait été arrêté ; que les autres notables se nommaient : Claude Defarge. Lanyer. Jean-François Pinet. Lacoste. Denis Frenel. Joseph Chevalier. Simon Boucharlat. Claude Revol, père. un autre Boucharlat. Charles Guinat. Pierre Saunier. Claude Fréminville, père. Jean Calas.
"Qu'un nommé Antoine Puy était notaire et qu'il avait une place au district de la ville de Lyon ; qu'un nommé Lauras, commissionnaire de Ville-Affranchie, quai Saint-Clair, était le principal auteur de la fraternisation faite par la commune de la Croix-Rousse avec les Lyonnais ; qu'il n'avait aucun autre détail à me donner, et a signé Fréminville fils".

Le surlendemain 14, les premiers municipaux emprisonnés répondent comme suit aux questions qui leur sont posées par la Commission de justice populaire :
"D. - Comment vous nommez-vous ? Votre âge, votre profession, le lieu de votre naissance et celui de votre demeure ?
"R. - Louis Giraud, âgé de 33 ans, marchand épicier, demeurant à la Croix-Rousse, n° 65. Pierre Saunier, âgé de 49 ans, marchand, demeurant à la Croix-Rousse, n° 62.
"D. - Vous étiez municipal de la Croix-Rousse ?
"R. -Louis Giraud - Oui. Pierre Saunier : notable.
"D. - Vous êtes restés à la Croix-Rousse pendant le siège ?
"R. -Louis Giraud : je suis resté jusqu'au 2 octobre, n'ayant pu partir plus tôt. Pierre Saunier : (même réponse).
"D. - Avez-vous donné, aux termes de la loi, votre démission ou rétractation au Comité de Salut public de la Convention Nationale ?
"R. - Nous ne l'avons pas donnée parce qu'on ne nous a pas communiqué la loi.

A ce moment, le municipal Fréminville est amené devant la Commission qui lui pose les questions d'usage :

"D. - Ses noms, âge, etc... ?
"R. - Jean-Baptiste-Claude Fréminville, âgé de 41 ans, ci-devant religieux, mais non prêtre, officier municipal à la Croix-Rousse.
"D. - Etes-vous resté pendant tout le siège à la Croix-Rousse ?
"R. - Oui.
"D. - Avez-vous exercé les fonctions municipales pendant tout le siège ?
"R. - Jusqu'au 20 septembre.
"D. - Avez-vous, en conformité du décret de la Convention, donné votre démission ou rétractation ?
"R. - Non, parce que je ne connaissais pas le décret".

Enfin, le 16 novembre (26 brumaire), tous les membres de l'administration municipale incarcérés - ils sont cinq dont le maire - comparaissent pour subir leur jugement. En voici le procès-verbal intégral :
"Aujourd'hui 26 brumaire an 2 de la République une et indivisible, à trois heures du soir, a été conduit par la force armée devant la Commission de justice populaire, des prévenus à qui il a été ordonné de s'asseoir et de se couvrir. Ils ont été ensuite, en présence de l'accusateur public, interrogés de la manière suivante :

"D. - Comment vous nommés-vous, votre âge, votre profession et le lieu de votre demeure ?
"R. - Pierre Burdel, âgé de 59 ans, serrurier, demeurant à la Croix-Rousse, n° 26. Pierre Saunier le jeune, âgé de 49 ans, négociant à la Croix-Rousse, n° 62. Louis Giraud, âgé de 33 ans, marchand épicier à la Croix-Rousse, n° 65. Pierre Rivière, âgé autour de 50 ans, jardinier, demeurant àMargnol, n° 61. Jean-Baptiste-Claude Fréminville fils, âgé de 41 ans, ci-devant religieux, non engagé dans les ordres, demeurant chez son père, à la Croix-Rousse, n° 21.

Je vous interroge tous ensemble.
"D. - Etiez-vous municipaux à la Croix-Rousse depuis le renouvellement à la Saint-Martin jusqu'au 8 octobre dernier ?
"R. -Oui, à l'exception de Saunier qui n'est que notable, et Giraud municipal, qui ont tous deux quitté au 2 octobre pour aller auprès des Représentants.
"D. - Avez-vous, au termes du décret, donné votre rétractation au Comité de Salut public de la Convention Nationale ?
"R. - Nous n'avons eu aucune connaissance du décret, le District ne nous ayant pas fait parvenir aucune loi depuis le 29 mai.
"D. - Avez-vous porté les armes contre la patrie ?
"R. -Non.

"A eux exhibé plusieurs pièces de convictions, sur le délit dès accusés, entr'autres deux arrêtés dont la teneur sera inscrite d'abord après la clôture du présent interrogatoire.
"Lecture faite du présent interrogatoire, ils ont répondu que leurs réponses contiennent vérité, y persistent et ont signé avec nous et le greffier, et déclarent que les plus coupables sont les citoyens Chevassu, Claude Nesme, Edme-Claude Fréminville, Bonamour procureur de la commune.
"(Signé :) Burdel, Pierre Saunier, Giraud, Rivière, Fréminville fils, Dorfeuille.

"Le 26 brumaire an II jugement de P. Burdet, P. Saunier, L. Giraud, P. Rivière, J.-B. C. Fréminville.
"Le tribunal de justice populaire séant à Ville-Affranchie, présents les citoyens Dorfeuille président, Cousin, Daumale et Baigue, juges, assistés de Gatier, greffier, dans le prétoire du tribunal de district de Ville-Affranchie, lieu ordinaire de ses séances publiques.
"Ont été conduits par la force armée, les nommés Pierre Burdel, serrurier, demeurant à la Croix-Rousse, Louis Giraud, épicier à la Croix-Rousse, Pierre Rivière, jardinier demeurant à Margnol, et Jean-Baptiste-Claude Fréminville, ci-devant religieux demeurant à la Croix-Rousse.
"Lesquels, après avoir subi un interrogatoire sur les crimes dont ils étaient accusés, ont fourni leurs moyens de justification et de défenses.
"Claude Joseph Merle, accusateur public près le tribunal de Justice populaire, expose que la commune de Cuire-la-Croix-Rousse s'est coalisée avec les rebelles de Lyon pour opposer une résistance criminelle à l'armée de la République. Il résulte, soit des interrogatoires subis ce jourd'huy par Pierre Burdel, Louis Giraud, Pierre Rivière, Jean-Baptiste-Claude Fréminville, tous officiers municipaux, et Pierre Saunier, notable de Cuire-la-Croix-Rousse, soit des pièces remises au greffe, qu'ils ont assisté ou participé à des arrêtés et des délibérations tendantes à favoriser les rebelles ; qu'ils se sont concertés à cet effet avec les autorités réprouvées et contre-révolutionnaires de Lyon ; que notamment, par une délibération prise le 6 août dernier, ils ont arrêté qu'ils solliciteraient des renforts auprès des rebelles pour agir contre l'armée républicaine, et ont enfin arboré l'étendart de la rébellion. Et a conclu à ce que le Tribunal déclara et reconnu :

1° Qu'il est constant que Pierre Burdel, Louis Giraud, Pierre Rivière, Jean-Baptiste-Claude Fréminville, officiers municipaux, et Pierre Saunier, notable de Cuire-la-Croix-Rousse, ont participé à la révolte de Lyon et favorisé les contre-révolutionnaires par les arrêtés et délibérations prises dans cette commune.

2° Qu'il est aussi constant qu'ils n'ont pas donné leurs rétractations, aux termes de la loi, au comité de Salut public de la Convention Nationale, ayant connaissance du décret du 26 juin.

"D'après cette déclaration faite publiquement et à haute voix, l'accusateur public a requis ensuite pour la peine à infliger pour de semblables délits, l'application :
1° de la loi du 26 juin qui porte : Les administrateurs, magistrats du peuple, juges, et tous les fonctionnaires publics qui ont pris ou signés des arrêtés tendants à armer les sections du peuple les unes contre les autres, à intercepter la correspondance et la communication entre le Gouvernement et les différentes parties de la République, à faire méconnaître l'existence de la Convention Nationale, seront tenus de faire et de notifier dans le lieu de l'exercice de leurs fonctions, dans les trois jours de la publication du présent décret, leur rétractation, et d'en adresser une expédition au Comité de Salut public de la Convention Nationale. Ceux qui prendront de pareils arrêtés, et ceux qui en ayant pris ou signés, n'auront pas notifié leur rétractation, seront déclarés traîtres à la patrie.

2° Celle du 5 juillet dernier qui porte : Seront réputés chefs d'émeutes et révoltes dont il est parlé dans l'article premier de la loi du 19 mars, les membres des Comités de régie et administrations formées soit pour le vêtement, l'armement, équipement, et les subsistances des révoltés, ceux qui signent les passeports, ceux qui enrôlent. Seront pareillement réputés chefs desdites émeutes et révoltes, les prêtres, les ci-devant nobles, les ci-devant seigneurs, les émigrés, les administrateurs, les officiers municipaux, les juges, les hommes de loi qui auront pris part aux dites émeutes et révoltes. En conséquence, ils seront comme les chefs eux-mêmes punis de mort.

3° L'article 2, de la loi du 12 juillet 1793, qui dit : Sont destitués de leurs fonctions et déclarés pareillement traîtres à la patrie les administrateurs, officiers municipaux et tous autres fonctionnaires publics, officiers civils et militaires du département de Rhône-et-Loire qui ont convoqué ou souffert le congrès départemental qui a eu lieu à Lyon, qui ont assisté ou participé aux délibérations qu'il a prises et à leur exécution.

"Le tribunal de justice populaire, faisant droit sur les conclusions de l'accusateur publie, et les appliquant à la loi du 5 janvier dernier ci-dessus transcrites, a condamné et condamne les dits Burdel, Giraud, Rivière, Claude Fréminville et Saunier à la peine de mort, ordonne qu'ils seront livrés à l'exécuteur des jugements criminels, et conduits sur la place ordinaire des exécutions pour y avoir la tête tranchée.
"Déclare que leurs biens sont et demeure confisqués au profit de la République, aux termes de la loi.
"Charge l'accusateur public, près ledit tribunal de veiller à l'exécution du présent jugement.
"Fait et clos les jour et an que dessus.
"D'Aumale, Baigue, Dorfeuille président".

L'exécution eut lieu le lendemain, ainsi qu'en témoigne le suivant procès-verbal :
"Aujourd'hui 27 brumaire (17 novembre) an II de la République une et indivisible, Nous, greffier de la Commission de justice populaire établie à Ville-Affranchie, certifions que : Pierre Burdel, serrurier ; Pierre Saunier le jeune ; Louis Giraud, épicier ; Pierre Rivière, jardinier ; Jean-Baptiste-Claude Fréminville fils ; tous cinq officiers municipaux de la Croix-Rousse, condamnés à la peine de mort par jugement de la Commission de justice populaire du jour d'hier, ont subi leur peine ce jourd'huy, sur la place ci-devant Bellecour à trois heures et demie du soir, et que j'ai vu tomber leur tête, de tout quoi j'ai dressé le présent acte lesdits jour et an.
"Gatier, greffier".

Le maire, Burdel, possédait à la Croix-Rousse trois maisons dont une petite, en rue Calas. La maison principale fut estimée, avec le terrain, valoir 40.000 livres, et le mobilier 3.000 livres. Y demeuraient : Madeleine, 22 ans, Claudine, 18 ans, François 17 ans et Antoinette, 16 ans, sans doute les enfants du supplicié. Le séquestre est du 22 novembre.

Le notable Pierre Saunier habitait sa maison, accompagnée d'un petit pavillon, rue Chalier n° 62. Le tout estimé 20.000 livres. Sa veuve occupait le deuxième étage.

Le 9 août 1794, l'administration du district de Commune-Affranchie accorde à la citoyenne Eléonore Boulard, veuve Saunier, la jouissance provisoire de son habitation personnelle et des meubles et hardes à son usage.

Louis Giraud possédait deux maisons sises rue Chalier, n°s 44 et 65, estimées ensemble à 13.000 livres. Il habitait cette dernière avec Jeanne Comte son épouse, et ses enfants : Marie, alors âgée de 10 ans, Antoinette, 4 ans, et Pierre, 3 ans. Le séquestre est du 19 novembre. La veuve n'y fut pas comprise.

Le 14 janvier 1794, sur la demande de la veuve Giraud, vu le certificat du comité révolutionnaire, et considérant que ladite est chargée de famille, et qu'elle a toujours manifesté et professé les principes du vrai républicain, la Commission de surveillance des séquestres prononce la levée des scellés apposés sur le domicile de Giraud. Cette levée est opérée le 5 mars.

Pierre Rivière demeurait à Margnolles, n° 61. Son domaine est ainsi décrit : un corps de bâtiment pour le maître, un autre pour le granger, un puits à haute source, un clos de 12 bicherées planté en blé, vignes, et un jardin. Y habitaient aussi Françoise Goyard, son épouse, 40 ans et leurs enfants : Louis, 20 ans, Catherine, 15 ans, François 13 ans, Marie 8 ans, Charles 6 ans et Marie 4 ans. Le séquestre est du 17 novembre. Sa veuve n'y fut pas comprise.

Jean-Baptiste-Claude de Fréminville appartenait à la noble famille des de la Poix de Fréminville, originaire de la Bourgogne, et qui avait pour armes : D'azur au chevron d'argent, accompagné de trois coquilles d'or, au chef d'or chargé de trois bandes de gueules. Son grand-père, Edme de la Poix de Fréminville, né en 1683, mort en 1773, avait été avocat au Parlement, bailli des ville et marquisat de la Palisse, puis commissaire en droits seigneuriaux. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur le droit féodal.

Edme-Claude, le père de l'officier municipal, né en 1723, avocat au Parlement et commissaire en droits seigneuriaux, s'était fixé à Lyon, rue Tramassac. Nous le retrouverons plus loin.

Un des frères de l'officier municipal, nommé comme leur père Edme-Claude, né en 1755, prit fait et cause, dès le début de la Révolution, pour les amis de l'ordre. Ce fut lui qui, président du comité des sections de la garde nationale en armes, à la journée du 29 mai, répondit au Représentant Nioche qu'elles n'étaient réunies que pour résister à l'oppression, et que lui, Nioche, avait pour devoir de suspendre le Conseil général de la Commune. Fréminville prit ensuite une part active à la défense de Lyon. Obligé de s'expatrier pendant la Terreur, il revint en France sous le Directoire et mourut au château de Laumusse en Bresse en 1816.

Né le 6 janvier 1753, Jean-Baptiste-Claude, notre municipal, fit profession au couvent des Carmes déchaussés de Lyon, le 8 janvier 1778, sous le nom de Antoine de jésus. Il en sortit le 27 septembre 1790, et réclama aussitôt le traitement auquel il avait droit, en vertu des décrets de l'Assemblée Nationale, traitement qui, vu son âge, s'élevait à la somme annuelle de 700 livres. Le Directoire du district accéda à sa requête, et lui fit délivrer à l'avance le premier quartier de son traitement.

Jean-Baptiste-Claude Fréminville demeurait avec son père, rue d'Enfer n° 21. Le séquestre est mis sur leurs biens mobiliers et immobiliers, après inventaire, le 13 novembre, par le Comité révolutionnaire. Ce dernier, néanmoins, "voulant se conformer aux bienfaits que l'humanité exige en pareil cas", consent à laisser à la citoyenne Favre, femme Fréminville, épouse et mère des deux incarcérés, et sur ses instances, la disposition de la salle à manger. La maison et l'enclos sont estimés à 12.000 livres chacun, et le mobilier 2.000 livres. Y demeuraient : Madeleine Favre, femme de Fréminville 64 ans, Claude 13 ans, Christophe 8 ans, Claire 6 ans. Ces derniers, vraisemblablement fils et fille du fugitif Edme-Claude.

Cette famille possédait d'autres propriétés à la Croix-Rousse, entre lesquelles. un domaine joignant au sud l'ancien passage de l'Enfance jusqu'à la rue de Cuire. Ce domaine, d'une contenance de 6 1/2 bicherées, plus un sixième, avait été acquis, le 27 mars 1782, de Georges-Antoine Leprêtre, bourgeois de Lyon, pour le prix de 6.366 livres, plus un lod de 700 livres payé au seigneur Boulard de Gatellier.

CHAPITRE XIV
1793 (suite)


Les victimes de la Terreur : dénonciations, interrogatoires, jugements et exécutions. - Emprisonnement de l'ex-seigneur Boulard de Gatellier. - Les fugitifs, leurs possessions et leurs familles. - Mise de leurs biens sous scellés. - Autres détenus et inculpations du comité révolutionnaire. - La procédure du séquestre.

Voici maintenant la nomenclature, d'après l'ordre des dates de leur condamnation, des victimes de la Terreur à la Croix-Rousse :
PUY (Pierre) chandelier, 55 ans. Condamné à mort par la Commission révolutionnaire, et fusillé le 8 décembre 1793.
Tableaux : "Caporal et contre-révolutionnaire".
Pierre Puy était le frère de Jacques, et fut compris avec lui dans une dénonciation de la veuve Bernard Tissier, en date du 19 octobre. Voir plus loin : Puy (Jacques). Sa maison était sise rue Chalier n° 101. Elle est estimée à 20.000 livres, le terrain 3.000 livres et le mobilier aussi 3.000 livres. Attenant à la maison, il y avait un hangar abritant l'atelier pour la fabrication du salpêtre. Y demeurait Jeanne-Marie Perra, son épouse, âgée de 50 ans. Le séquestre est du 23 Novembre.

CHEVASSU (Claude-Antoine), instituteur, juge de paix et notable, 45 ans. A la date du 20 juillet 1793, la municipalité de la Croix-Rousse lui délivre un passeport pour se rendre dans le département du Jura. Ce passeport est visé, à son arrivée à Saint-Claude, par la municipalité de cette ville. Chevassu déclare vouloir y résider (Saint-Claude est sa ville natale), ainsi que dans les communes voisines où il a des parents, jusqu'à ce que les troubles qui agitent le district de Lyon soient apaisés.

Un mois plus tard, il est arrêté dans les circonstances énoncées au document qui suit :
"Au nom du peuple français,
"L'an 1793, le 29 août, nous Claude-Marie Benoît, maire, et Pierre Dalloz, procureur de la commune de Septmoncel, à la réquisition de Germain Posson, porteur d'un mandat d'arrêt contre les citoyens Chevassu et Bourson, nous nous sommes transportés, avec un détachement de garde nationaux de notre canton, et accompagnés d'un autre détachement de la garde nationale de Saint-Claude, au lieu de la Simard, canton dudit lieu, chez le citoyen Claude-Etienne Michaud, parent dudit citoyen Chevassu, où ce dernier avait déclaré vouloir demeurer jusqu'à ce que les troubles qui agitent la ville de Lyon soient apaisés.
"Etant au domicile dudit Michaud, nous y avons trouvé ledit citoyen Chevassu que nous avons requis de nous suivre, conformément au mandat des citoyens Dubois-Crancé et Gauthier, représentants du peuple près l'armée des Alpes. Le citoyen Chevassu a demandé lecture du mandat d'arrêt.
"Lecture lui en ayant été faite, le citoyen Chevassu a déclaré qu'ayant reçu de la direction du bureau d'emprunt de trois millions ouvert à Lyon, la commission de procurer à cette ville des subsistances et surtout des grains, il était parti de Lyon le 20 juillet dernier. Qu'étant arrivé à Bourg, et y ayant appris que les commissaires envoyés pour pacifier les troubles de Lyon avaient publié une proclamation par laquelle ils menaçaient la ville de Lyon de toute la sévérité des lois, et par laquelle proclamation ils invitaient les citoyens de Lyon à se retirer dans les départements voisins, lui Chevassu avait à l'instant pris la résolution de se retirer à Saint-Claude, lieu de sa naissance, où il était arrivé le 23 juillet. Depuis cette époque, il a demeuré soit à Saint-Claude, soit à Septmoncel, avec la résolution de n'avoir aucune relation médiate ou immédiate avec les citoyens de Lyon. A l'instant, il nous a exhibé un passeport visé à Saint-Claude, le 23 juillet, par quatre officiers municipaux, et il nous a requis de le parapher.
"Annuant à sa réquisition, nous avons paraphé ledit passeport, dont et du tout nous avons rédigé le présent procès-verbal.
"Fait à Septmoncel, les an et jour que dessus, et ont signé avec nous les citoyens Posson, porteur du mandat, Millet, commandant la garde nationale de Saint-Claude, Benoît, maire, etc..".

Chevassu avait fait partie de la Commission populaire, républicaine et de Salut public de Rhône-et-Loire, formée le 30 juin pour diriger le mouvement de résistance aux jacobins de la Convention. C'était plus qu'il ne fallait pour dicter sa condamnation à mort prononcée par la Commission révolutionnaire. Il fut exécuté le 13 décembre.

Tableaux : "Membre du congrès départemental et contre-révolutionnaire".
Chevassu avait sa maison, rue d'Enfer n° 41, estimée à 12.000 livres, avec deux enclos ; le mobilier était estimé à 2.000 livres. Y demeuraient son épouse Claudine Garin, 48 ans, sa fille Sophie, 19 ans et son fils, Jean-Baptiste, 14 ans. Le séquestre est du 8 novembre.

GUINAT (Charles), ouvrier en soie et notable, 43 ans. Comparaît, dès le 28 octobre, devant le comité révolutionnaire qui lui fait subir l'interrogatoire suivant :
"D. - Si, en sa qualité de notable, il n'a eu aucune connaissance du décret de la Convention ordonnant à tous bons citoyens de quitter Lyon ?
"R. - N'en avait eu aucune connaissance.
"D. - S'il n'avait exercé aucun emploi pendant le siège ?
"R. - Avait été seulement employé à la distribution du pain.
"D. - De qui tenait-il cet emploi ?
"R. - De la municipalité.
"D. - S'il n'avait contribué d'aucune manière à prolonger la résistance opposée aux armées de la République, ni par ses propos, ni par ses actions ?
"R. - Non".

Différentes autres questions lui ayant été posées il a répondu n'avoir rien à se reprocher et que, s'il a fait le mal, ce n'a été que par erreur.

Le Comité considérant qu'il existe diverses dénonciations à la charge de l'interrogé, l'une par la veuve Bernard Tissier, qui a déclaré que le citoyen Guinat a lui-même distribué des marchandises qui lui ont été enlevées pendant la durée du siège, et dont l'état suit sa dénonciation ; l'autre, faite par le citoyen Jean Valensaux, qu'il n'a pu signer, faute de le savoir, et qui porte que ledit Valensaux fut arrêté par ordre des citoyens Guinat et Nesme, et conduit par-devant le général Précy, le menaçant de le faire fusiller, que deux aides-de-camp, qui se trouvaient présents, se contentèrent de faire audit Valensaux quelques remontrances, mais que les citoyens Nesme et Guinat persistaient à demander qu'il fut fusillé.

Considérant encore que la nature des dénonciations exige un plus ample informé, le Comité arrête que le prévenu sera traduit au Comité de sûreté générale de Ville-Affranchie pour en connaître. Il y fut amené le jour même par le citoyen François Carion.

Condamné à mort par la Commission révolutionnaire, le 10 décembre au soir, Charles Guinat fut un des quinze prisonniers qui s'évadèrent des caves de l'Hôtel-de-Ville, le lendemain matin au lever du jour.

Malheureusement pour lui, il fut repris presqu'aussitôt, ainsi qu'en témoignent les pièces suivantes.

"La Commission Temporaire de surveillance révolutionnaire à la commission des sept.
"Nous vous envoyons, citoyens, un des prisonniers évadés qui a été arrêté, avec un extrait du procès-verbal de son interrogatoire.
"Marino, président. Duviquet".

"Commission Temporaire de Surveillance républicaine.
"Extrait du procès-verbal de la séance du 23 frimaire an II (13 décembre) heure de midi.
"Charles Guinand (sic) ouvrier en soye à la Croix-Rousse.
"A lui demandé ce qu'il a fait pendant le siège ?
"A répondu qu'il était notable à la Croix-Rousse.
"A lui demandé s'il s'est sauvé des caves de la commune et comment ?
"A répondu que oui, et qu'il avait trouvé la porte ouverte, qu'il en a suivi deux qui sortaient, et qu'il s'est caché le jour dans une allée, et la nuit il a sauté le rempart il y a trois jours, et qu'il était huit heures du matin, qu'il a resté un jour sans être pris.
"A lui demandé où il a été arrêté ?
"A répondu qu'il a été arrêté hier matin, par les habitants d'une paroisse au-dessus de Reyeux (sic).
"Plus n'a été interrogé, Guinand.
"Pour expédition conforme,
"Duviquet".

Charles Guinat fut exécuté le 13 décembre, n'ayant prolongé son existence que de trois jours à peine.

Tableaux : "Notable et contre-révolutionnaire".
Il habitait rue Calas, n° 15. La maison est estimé à 6.000 livres, et son mobilier à 2.000 livres. Y demeuraient son épouse, Marguerite Lanfre, 49 ans, son fils Jean-Marie, 17 ans, ses filles Marie, 15 ans et Etiennette, 12 ans. Le séquestre est du 15 novembre.

VOUTY (Dominique) rentier, propriétaire du domaine de la Belle-Allemande, 68 ans. Sentant vraisemblablement sa sécurité menacée, il adresse au comité révolutionnaire de la Croix-Rousse le plaidoyer que voici :
"Aux citoyens du Comité révolutionnaire et de surveillance de la commune Challier :
"Dominique Vouty retiré depuis long (temps) du commerce, fait valoir par luy-même ses fonds à la Croix-Rousse, où il est cultivateur et exerce les droits de citoyen inscrit parmi les vétérans sur la liste du juré.
"Etranger à tout ce qui s'est passé dans les sections de la cy-devant ville de Lyon avant le 29 mai, il n'a pris aucune part à cette fatale journée. Ce jour-là il était allé dîner au Mont-d'Or chez un de ses neveux à Saint-Germain.
"Depuis le 29, il est également resté à la Croix-Rousse, et n'a pris aucune part à tout ce qui s'est passé dans cette ville jusqu'à l'arrivée des troupes de la République. La loy qui invitait les citoyens de Lyon à quitter une ville dominée par les rebelles ne regardait pas les habitants de la Croix-Rousse. Ces habitants n'avaient point été assemblés, n'avaient point émis de vœux liberticides, n'avaient point de sections permanentes, en un mot, la loy ne parle pas de quitter la Croix-Rousse.
"A l'arrivée des troupes de la République, la ville de Lyon a porté sa force armée dans son domicile, des habitants de la Croix-Rousse s'y sont réunis, et Dominique Vouty a vu pendant 60 jours dévaster ses propriétés, couper ses bois, consommer presque tous ses fourrages fermés dans ses granges, dilapider la récolte pendante, enlever ses denrées et ses vaches, etc. Il a personnellement essuyé des menaces, des outrages plus d'une fois, et chefs et soldats parlaient de luy couper la tête. Il a lutté contre les dévastateurs, a cherché à soustraire les débris de ses propriétés, à recueillir ce qu'il a pu sauver en raisins. Enfin, cette force armée a fui et laissé à Dominique Vouty son domicile dévasté.
"Pendant tout ce temps, ni lui, ni aucun de ceux qui travaillent à l'exploitation de ses fonds n'a porté les armes ; son fils unique, un seul domestique attaché à son service étaient absents. Il n'a exercé aucune fonction civile, n'a pris part à aucune délibération, n'a signé aucun acte, aucune adresse, encore moins cette réponse coupable aux Représentants du peuple, et chaque jour, toute son occupation a été de lutter contre l'oppression sous laquelle il gémissait, et de soustraire quelque proye (sic) à ceux qui le dévastaient. Il ne pouvait s'esquiver à son âge ; s'étant présenté vainement au pont de la Guillotière, successivement les 5 et 6 août, pour accompagner à Vienne les Terriers de la Nation dont il était dépositaire, avec la voiture sur laquelle ils étaient emballés, lesquels auroyent du y estre brûlés le 10e aoust, la force armée. Malgré son passeport, luy refusa le passage.
"Dominique Vouty vous demande à prouver ces faits, afin que ces faits, une fois vérifiés, vous luy accordiez une attestation de la conduite patriotique qu'il a tenue dans ces temps d'oppression.
"Vouty".

Suit l'attestation de témoins autorisés :
"Nous soussignés certifions que le citoyen Dominique Vouty est résident depuis plus d'une année, et n'a pas quitté son domicile de la Tour de la Belle-Allemande, canton de Cuire-la-Croix-Rousse, et n'a point porté les armes contre l'armée de la République.
"Audit la Croix-Rousse, ce 25e octobre, l'an deux de la République française.
"Ant. Dumont, Benoît Riche, Pierre Riche, Perrachon, Jean Gonon, Ferrière, Pierre Buite, Cachet, Vouty".

A la suite :
"Nous, maire et officiers municipaux, certiffions que les susdits témoins sont véritablement habitans de la Croix-Rousse.
"Fait à la sale de la commune de la Croix-Rousse, le 25 octobre 1793, l'an 2e de la République une et indivisible.
"Baudrand, maire provisoire, Sicard, officier municipal provisoire, Plagniard, officier municipal provisoire, Enay, notable".

A la suite :
"Nous, juge de paix et membre du Comité (attestons) le présent et avons mis notre cachet. Sibille, juge de paix. Puy, secrétaire".

A la suite :
"Enrégistré à Ville-Affranchie, le 9e du 2e mois de l'an 2 de la République (30 octobre 1793). Morin".

A la suite :
"Vu les signatures des maires et officiers municipaux de la Croix-Rousse sincères et véritables.
"A Ville-Affranchie, le 9e brumaire an 2 de la République française (30 Oct. 1793).
"Revol fils, administrateur ; Fleury Fülion".

Pièce annexée aux précédentes, sans signatures :
"Decadi 20 frimaire an 2 (10 décembre 1793).
"Le citoyen Vouty trouvera ci-joint un certificat de résidence, du 25 octobre, vieux style, Pour en avoir un nouveau, il faudrait sa présence.
"A la Tour, on se porte bien, tout y va à l'ordinaire. Les semailles sont peu avancées et se trouvent suspendues par la gelée ; il y est arrivé deux vaches, l'une a peu de lait, l'autre prête de mettre bas.
"On invite le citoyen à se tranquilliser. Comme tous ceux qui le connaissent sont convaincus qu'il n'a pris aucune part à tout ce qui s'est fait ; comme il est connu qu'il a été pillé, menacé, outragé de toutes les manières par les muscadins, et surtout par leur chef Vichi, sa santé est la seule inquiétude des siens".

Hélas ! malgré les justifications produites par Dominique Vouty et ses témoins autorisés, les prévisions optimistes du document qui précède allaient recevoir un prompt et cruel démenti. Dominique Vouty est condamné à mort par la Commission révolutionnaire et exécuté le 13 décembre.

Tableaux : "Contre-révolutionnaire. A donné 8.000 livres pour le siège".

Nous lisons dans le livre du citoyen Maurille : Les crimes des jacobins à Lyon, etc. p. 181 : "Des vieillards, des octogénaires, qui n'étaient pas même dans le cas des loix atroces, portées contre Lyod, puisqu'ils n'y étaient pas demeurés pendant le siège, ne pouvant se supporter sur leurs débiles jambes par rapport à leurs infirmités, sont livrés aux bourreaux, conduits sur des charrettes et portés sur l'instrument fatal. L'un d'eux, Vouty, accusé d'avoir dit à un domestique qui le trahit, qu'il donnerait volontiers cinq cent mille francs pour reconstruire le superbe Hôtel-Dieu de Lyon, écrasé par les bombes, fut conduit à la mort en récompense de l'action vertueuse qu'il projettait".

Le domaine de la Belle-Allemande fut estimé : le terrain à 40.000 livres, la maison à 30.000 livres, le mobilier à 10.000 livres. La maison avait deux étages, la tour bien connue était auprès, un pavillon au midi. Le terrain, de 180 bicherées, comportait cinq pièces d'eau avec un réservoir. Dominique Vouty possédait encore quatre autres maisons estimées, deux à 16.000 livres, une à 15.000 livres, l'autre à 2.000 livres. Le séquestre est du 14 décembre. Dominique Vouty laissait un fils, Claude-Antoine, né en 1761, qui fut un magistrat distingué et député du Rhône à la Chambre des Cent-Jours. Il avait été créé baron de la Tour par Napoléon Ier, et mourut à Paris en 1826.

PELLIN (Pierre-Alexis), prêtre, ex-augustin de la Croix-Rousse (en religion : Simon Pellin), 62 ans.

Interrogatoire :
"28 brumaire an 2 (18 novembre 1793), traduit par-devant nous, membres du comité révolutionnaire du canton Challier, le nommé Pierre-Alexis Pellin, âgé de 62 ans, cy-devant augustin de ce canton, actuellement détenu, à l'effet de prendre information sur la cause de son, arrestation.
"D. - Pourquoi n'avait pas obéi à la loi ordonnant à tous les bons citoyens de sortir de Lyon et de ses faubourgs ?
"R. - Cette loi ne lui était pas connue.
"D. - S'il avait pretté son serment et obéi au décret antérieur concernant les ecclésiastiques ?
"R. - Oui.
"D. - S'il n'avait jamais insinué les esprits soit dans ses paroles, soit dans ses écrits, contre la Constitution ?
"R. - Non.
"D. - Si, dans les discours qu'il a fait, il a prêché le maintien de la liberté et de l'égalité ?
"R. - Il n'a jamais tenu aucun mauvais propos à cet égard. Il dit avoir toujours parlé et agi conformément aux décrets.
"D. - S'il n'a jamais signé aucune pétition tendant à détruire la République ?
"R. - Non.
"D. - Où il s'était tenu pendant le siège des rebelles ?
"R. -N'avait pas sorti de son domicile ordinaire.
"D. - Comment il avait fait de s'abstenir de porter les armes pendant le siège ?
"R. - Quatre inconnus à lui sont allés dans son domicile en armes, le nommé Rivière, municipal, à leur tête pour le forcer. Ils l'ont emmené jusqu'au commandant Velay, et qu'alors il a dit qu'il était hors d'âge et qu'il n'avait jamais porté les armes, et qu'il ne les porterait pas encore pour cette occasion.

"Après plusieurs questions à lui faites sur les différents motifs de son arrestation, a répondu n'en avoir aucune connaissance. Plus n'a été interrogé, et a dit ses réponses contenir vérité.
"Pierre Alexis Pellin. Gesse, président du comité. Maigrot, secrétaire".

A la suite :
"Le comité considérant qu'il n'existe aucune dénonciation envers le nommé Pierre Alexis Pellin, a jugé à propos de le faire traduire à Ville-Affranchie comme suspect, attendu qu'il était cy-devant père-augustin.
"Fait audit Comité le 1er frimaire an 2 (21 novembre 1793).
"Gesse, président".

Le 15 décembre au soir, le Père Pellin, était condamné à mort par la Commission révolutionnaire, et guillotiné le lendemain.

Tableaux : "Contre-révolutionnaire et réfractaire à la loi".

BESSENAY (Etienne) cabaretier, 52 ans.

Dénonciation :
"Ce jourd'huy, 30 octobre, le citoyen Antoine Villoud, demeurant quay Saint-Clair, n° 38, est venu déclarer à notre comité qu'il a été requis contre sa volonté par le citoyen Vellay, commandant du bataillon, et que ledit Villoud ayant voulu se soustraire au commandement dudit Vellay, fut rappelé à l'ordre par le citoyen Bessenay, disant qu'il avait carte blanche à ce que ledit Villoud s'est vu forcé et contraint de servir contre sa volonté. Et ledit a signé de suitte, Antoine Villoud fils aîné".

Procès-verbal de comparution :
"Ce jourd'huy 27 brumaire an 2 (17 novembre 1793), il a été amené par-devant nous, membres du Comité révolutionnaire du canton Chalier, le nommé Etienne Bessenay, âgé de 52 ans, cabaretier audit canton, et cy-devant lieutenant en état d'arrestation, aux fins d'être interrogé sur différents motifs, savoir :
"D. - S'il n'avait pas pris les armes durant le siège des rebelles ?
"R. - Qu'il a monté la garde toutes les fois que son tour et rang, selon qu'il a été commandé.
"D. - S'il avait obéi à la loi qui ordonnait à tous bons citoyens de sortir de la cy-devant ville de Lyon ?
"R. - Qu'il n'a aucunement connu cette loi, et qu'il croyait prendre les armes pour la bonne cause comme on lui faisait entendre.
"D. - Si pendant le siège, il ne s'était pas aperçu qu'on le trompait ?
"R. - Qu'il ne s'en est aperçu que le 24 ou 25 août dernier, qu'il voulait donner sa démission, et qu'il a fait assembler les capitaines et officiers du canton à ce sujet. Etant assemblés, il proposa de donner sa démission, à quoi lesdits officiers assemblés lui répondirent que le général Grandin s'en était aperçu, et qu'il avait dit que le premier qui donnerait sa démission serait fusillé. C'est ce qui a été cause qu'il n'a pas donné sa démission.
"D. - S'il était vray qu'il avait forcé ses soldats à marcher ?
"R. -Non.

"Après plusieurs questions à lui faites sur les différents motifs de son arrestation, a répondu n'en rien sçavoir.
"Plus n'a été interrogé et a dit ses réponses contenir vérité, dont lecture dudit procès-verbal lui a été faite, et signé avec nous.
"Bessenay, Gesse président, Maigrot secrétaire".

A la suite :
"Le comité considérant qu'il existe une dénonciation jointe au procès-verbal, a décidé de le (Bessenay) faire traduire à Ville-Affranchie pour en tirer plus ample information.
"Fait audit Comité, le 1er frimaire an 2. (21 novembre 1793).
"Gesse président, Lagrange, Sigaud, Posson, Levrat, Sautemouhe, membres, et Maigrot secrétaire".

Bessenay fut condamné à mort par la Commission révolutionnaire, le 15 décembre, et fusillé le lendemain.

Tableaux : "Lieutenant et contre-révolutionnaire".

PUY (Jacques) épicier, 46 ans.

Première dénonciation :
"19 octobre 1793 - Moy veuve Bernard Tissier chargée de deux enfants, déclare être party le 6 août pour obéir à la loi comme vray patriote, mon mary a été inscrit dans la compagnie des guides, malheureusement pour moy, peu instruit du poste de nos tirants, a été arrêté en Vaize et conduit par devant les mercenaires chefs de Lyon réclamant des connoissances, la municipalité du bourg de la Croix-Rousse a été le reconnaître, et Pierre Puy à qui mon mary s'adressa en lui disant s'il le reconnaissait pour un honnête homme, il lui répondit quatre fois il le reconnaissait pour tel, mais qu'à présent il le reconnaissait pour un coquin. A l'aide de son frère Jacques Puy mon mary a été condamné à la mort. Ensuite de cela, l'ouverture de mon domicille a été faitte par Nesme, Fréminville, Saunier et Revol père, tous municipaux. L'ouverture étant faite, Nesme et Guinat se sont mis à distribuer nos marchandises. Pierre Puy est survenu leur disant qui ne savaient pas vendre. Je ne peux pas vous dire la quantité de ce qu'ils ont vendu ou emporté.
"Veuve de Bernard Tissier".

Deuxième dénonciation :
"Moi, Françoise Gonin, femme Nicoud le cadet, réclame contre Jacques Puy, marchand épicier, que ledit ayant déclamé contre mon mari et contre le frère de mon mari, ainsi que contre le citoyen Prost le traittant de brigant, qu'il avait été ce rendre avec les brigants de Dubois Crancé, qu'il n'était allé que pour piller et voller les habittans de la Croix-Rousse.
"Ses pourquoy le citoyen Bonnardet la fait arreter.
"Laditte ne sachant signer".

Troisième dénonciation :
"Moy Anne Bizet réclame contre Jacques Puy, marchand épicier au bourg de la Croix-Rousse, que m'étant retiré dudit bourg pour obéir àla loy et me soustraire à la tyrannie, y étant venu le 37 bre (?) ledit Puy m'a fait arrêter sous le prétexte de trouver la veuve Aubert, dont luy même ma my la main sur le corp, et ma fait conduire dans les prisons de la ville ou jay été condamnée a être détenue dans la prison jusqu'au retour de la veuve Aubert.
"Je réclame un dédommagement tant pour la perte de mon temps que pour la perte de mes hardes qui m'a été occasionnée par larestation et l'emprisonnement que j'ai souffert de la part dudit Puy.

Interrogatoire devant le comité révolutionnaire, du 28 brumaire (18 novembre) :
"D. - Pourquoi n'être pas sorti de Lyon, etc... ?
"R. - Craignait qu'on vendît ses marchandises.
"D. - A-t-il porté les armes pendant le siège ?
"R. - jusqu'au 6 octobre, y ai été forcé.
"D. - A-t-il jamais signé des arrêtés contraires aux lois ?
"R. - N'en avait aucune connaissance.
"D. - S'il connaissait personne ayant commis des délits contre la Représentation nationale, ou proféré contre elle des discours ou écrits ?
"R. - N'en connaît aucune.
"D. - A-t-il contribué, par actes ou paroles, aux délits commis dans ledit canton avant ou pendant le siège ?
"R. - Non.
"D. - Pourquoi avoir tenu des propos contre les citoyens clubistes de ce canton ?
"R. - N'en avoir aucune connaissance".

Il a dit ignorer les motifs de son arrestation. Mais il réclame sur ce fait que, pendant le siège, on a enlevé de chez lui, par force, quatre quintaux de farine et deux grandes échelles, le tout pris contre sa volonté.

Ont signé : Jacques Puy, et Gesse, président du comité. Jacques Puy fut condamné à mort par la Commission révolutionnaire, le 15 décembre, et fusillé le lendemain.

Tableaux. "Caporal et contre-révolutionnaire".

Il demeurait rue Chalier, n° 95. Une de ses maisons, dite Saint-Michel, est estimée à 3.000 livres ; une autre, dite le Croissant, à 7.200 livres avec le terrain ; une troisième, à 8.000 livres ; le clos à 1.800 livres et le mobilier à 2.000 livres. Y demeurait, son épouse Jeanne Guillemette Rimbeau, 45 ans. Le séquestre est du 15 décembre.

DUON (Michel), dessinateur, 35 ans. Demeurant au faubourg Saint-Clair, condamné à mort par la Commission révolutionnaire, et fusillé le 16 décembre.

Tableaux : "Sous-lieutenant et contre-révolutionnaire".

VANNIER (Ferdinand), chirurgien, 59 ans. En état d'arrestation, comparaît, le 18 novembre (28 brumaire), devant le Comité révolutionnaire qui l'interroge comme suit :
"D. - Pourquoi n'a-t-il pas satisfait à la loi ordonnant aux bons citoyens de sortir de Lyon et de ses faubourgs ?
"R. - N'avait aucune connaissance de cette loi.
"D. - Si, en sa qualité d'officier, n'avait jamais forcé personne à prendre les armes ?
"R - Non.
"D. - S'il n'avait jamais tenu de propos contre la Convention, Dubois-Crancé et ses collègues ?
"R. - Non.
"D. - S'il n'a pas été commis par la ci-devant municipalité pour faire une quête pour l'armée des rebelles ?
"R. - N'a jamais été employé à ces sortes d'objets.
"D. -S'il n'a signé aucune délibération, ni aucune pétition tenante à renverser la République ?
"R. - Ne s'en souvient pas.
"D. - S'il n'avait pas été nommé membre au Comité de surveillance et fait aucune fonction à cet égard ?
"R. - N'a été employé à aucunes fonctions dans ce temps-là.
"D. -S'il ne peut donner aucun renseignement sur les délits commis par les rebelles de Lyon dans ce canton ?
"R. - A vu enlever des effets et vendre sur-le-champ, de chez le citoyen Bonnard, par ordre de la municipalité, et que c'était Nesme qui en avait reçu l'argent.
"D. - Quels sont les motifs de son arrestation ?
"R. -N'en a aucune connaissance".

A la suite :
"Le comité considérant qu'il existe plusieurs dénonciations contre le citoyen Vannier, a jugé à propos de l'envoyer à Ville-Affranchie pour le soumettre au jugement de ceux qui de droit trouveront convenable.
"Le 1er frimaire an 2 (2 novembre) Gesse, président, Lagrange, Posson, Bruignan, Levrat, Ronze, membres".

Première dénonciation :
"Le citoyen Ronze déclare que le citoyen Vannier s'est transporté chez lui avec environ quinze fusiliers, en disant que si nous trouvons ce coquin de clubiste, il faut lui f… la baïonnette au ventre, et a forcé sa femme à se faire ouvrir la porte, et ils m'ont cherché jusque dans la paillasse de mon lit et jusqu'à la grange, et (ils) escaladèrent les murs du jardin pour me trouver et que j'ai été obligé, pour me sauver, d'escalader les murs du jardin où j'ai resté caché trois semaines dans le grenier de la veuve Duperret, maison Latour, pour me soustraire à la fureur de ces brigands.
"Ronze".

Deuxième dénonciation :
"Nicolas Bruignan : je certifie que le citoyen Vannier, après l'affaire du 29 may dernier, s'est transporté chez moi, et comme je venais de recevoir le journal de Paris, il le lut. Auquel (sic) ledit journal marquait un grand danger qui menaçait Paris et la Convention, ledit Vannier répondit que cela devait déjà être fait, et que la Convention était composée d'un tas de gueux, qu'elle avait suspendu une vingtaine des meilleurs membres qu'elle avait de mieux.
"Bruignan".

Dès le 15 octobre, Ferdinand Vannier, déjà emprisonné à l'hôtel-de-ville, avait adressé aux maire et officiers municipaux de Lyon la supplique suivante, pour obtenir son élargissement :
"Le citoyen Vannier, sous-lieutenant de la 3e compagnie, détenu à l'hautel (sic) commun de Lyon, par dénonciation du citoyen Ronze. Par réquisition de la municipalité, je fus chargé en son ordre, et accompagné d'un officier de Serin et de sa compagnie, pour aller prendre le citoyen Ronze et le conduire à la municipalité. Ne l'ayant pas trouvé, je laissais l'affaire là. N'ayant d'autre reproche à me faire, je prie les citoyens magistrats de rendre la liberté à un père de famille.
"Ledit Vannier n'a point pris les armes, il était chirurgien de l'ambulance de l'armée, il a une épouse et quatre enfants. Il est de plus, à la suite de plusieurs malades et que son absence met dans les souffrances. C'est pourquoi le suppliant requiert vos bontés afin que la liberté lui soit rendue.
"Vannier".

Rien n'y fit. Le malheureux chirurgien fut condamné à mort par la Commission révolutionnaire, et exécuté le 16 décembre.

Tableaux : "Chirurgien-major de Précy, contre-révolutionnaire".

Sur l'almanach de Lyon pour l'année 1789 (p. 203), Ferdinand Vannier figure comme maître-chirurgien pour le bourg de Caluire. Il s'était affilié au club de la Croix-Rousse le 10 juillet 1791.

D'après M. Ant. Portallier, Ferdinand Vannier était natif de Bourg (Ain).

PUY (François), aubergiste, 23 ans. Analyse de la supplique que sa mère, Benoîte Bordua, veuve de Joachim Puy, adresse aux juges de la Commission révolutionnaire :
Elle expose que son fils, François Puy, âgé de 23 ans, natif de ce canton, ayant demandé à aller combattre les ennemis de la République, le comité révolutionnaire, connaissant son patriotisme, lui délivra un certificat de civisme.

Elle a donc été surprise de voir que son fils, alors qu'il aurait dû être à la frontière, était détenu à la prison Saint-Joseph. Elle ignore s'il s'est rendu coupable en s'enrôlant dans les chasseurs de la Montagne, plutôt que d'avoir suivi la loi qui l'avait compris dans les hommes de 18 à 25 ans mis en réquisition dans le canton.

Quoiqu'il en soit, elle affirme que "les moeurs de son fils ont toujours été pures", qu'il n'a jamais manifesté que les sentiments du plus pur patriotisme au sein de la Société populaire à laquelle il appartient depuis le commencement de la Révolution, et qu'il a donné des preuves de son attachement fraternel aux sans-culottes...

La mère de François Puy demande donc la mise en liberté de son fils, assurant qu'il effectuera de bon coeur son enrôlement.

Avec la veuve Puy, ont signé : Luc Péju, Denis Péju, Delorme, etc

La supplique qui précède est appuyée par le comité révolutionnaire qui déclare que François Puy s'est toujours bien comporté, et qu'il n'existe contre lui aucune dénonciation (3 janvier).

Enfin, un dernier témoignage est produit par le citoyen Sibille fils qui atteste "avoir toujours connu, avant le siège, le citoyen Puy pour bon patriote".

En dépit de ces affirmations dont une au moins, celle du comité révolutionnaire aurait dû, semble-t-il, être prise en considération François Puy fut condamné à mort par la Commission révolutionnaire, et exécuté le 5 janvier 1794.

Tableaux : "Chasseur à cheval et contre-révolutionnaire".

RAY (Etienne), rentier, 71 ans.

Le 1er pluviôse an 2 (20 janvier 1794), la Commission Temporaire de surveillance républicaine donne l'ordre de mettre en état d'arrestation Etienne Ray "prévenu de royalisme, en portant les emblèmes et ayant porté témoignage, les 5 et 11 juillet (1793), contre la municipalité (de Lyon)".

Interrogatoire :
"D. - Son nom, état, pays ?
"R. - Etienne Ray, fils de marchand de bas, natif de Lyon.
"D. - Quel grade avait dans la garde nationale ?
"R. - Sergent.
"D. - Où demeure ?
"R. - Quay Marat.
"D. - Quoi fait pendant le siège ?
"R - A resté chez lui à Lyon, sans avoir porté les armes, ne fut point commissaire de section, ni n'a rien été.
"D. - S'il a été aux assemblées de section ?
"R. - Qu'il n'y a point été, et que son âge l'a exempté de rien être, étant âgé de 71 ans.
"D. - Quelles personnes ont dîné chez lui le 10 mai ?
"R. - Qu'il ne s'en souvient plus.
"D. - S'il n'y avait pas Coindre et deux administrateurs du Département ?
"R. - Qu'il ne connaissait ni Coindre, ni aucun administra-teur du Département.
"D. - Quel prêtre réfractaire a-t-il retiré dans sa maison ?
"R. - Qu'il n'en a point retiré.
"D. - S'il est royaliste, et s'il en a des emblèmes ?
"R. - Qu'il a un badinage : La France supportée par le Tiers--Etat.
"D. - Depuis quel temps a chez lui des signes de royauté ?
"R. - A peu près dans le commencement de la Révolution.
"D. - D'où tenait-il ces signes de royauté ?
"R. - Que cela lui plaisait, et qu'il l'a acheté d'un marchand de passage.
"D. - Pourquoi, lorsqu'il a su que la tyrannie et le fanatisme étaient détruits, a-t-il conservé ce barbouillage ?
"R. - Parce que c'était un badinage, que le pied de l'abbé et du gentilhomme foulaient le Tiers-Etat.
"D. - S'il connait le nommé Jean-Bernard-François Cozon ?
"R. - Qu'il a entendu parler d'un qui s'appellait Cozon, qu'il ne le connaît pas.
"D. - S'il a porté témoignage contre les maire et officiers municipaux tenus dedans ?
"R. -Qu'il voulait se dispenser. de le faire, mais qu'il y fut contraint et le fit les 5 et 11 juillet.
"D. - Quelles étaient ses fonctions à la Croix-Rousse ?
"R. - Qu'il n'en avait point.
"D. - Ce qu'il fit le 29 mai ?
"R. - Entré à Lyon, vint au café d'Apollon, place de la Comédie, se promener.
"D. - S'il est venu le 14 juillet à la Fédération ?
"R. - Qu'il n'y vint pas.
"D. - Si le 29 mai, on le força de prendre les armes ?
"R. - Que personne de sa maison ne prit les armes, et qu'il ne fut point forcé de les prendre.
"D. - S'il fut assigné, et contre qui il déposa ?
"R. - Qu'il déposa contre un nommé Noël, attendu que ce dernier lui dit qu'il ne pouvait le laisser aller ni en avant, ni en arrière, lui demanda pourquoi il n'avait pas pris les armes, et que celui-ci lui dit qu'il n'y avait qu'un gueux qui ne se battit pas pour défendre la patrie, et qu'il le fit mettre à la Maison commune.
"D. - Si, pendant le siège, il allait et venait de la Croix-Rousse dans Lyon ?
"R. - Que oui, et qu'il n'avait pas de certificat pour y aller.
"D. -S'il a des espèces en numéraire ?
"R. - Qu'il en a, et a exhibé sa bourse.
"D. - Pourquoi gardait-il cet argent, tandis qu'il savait que la Nation en avait besoin en échange d'assignats ?
"R. - Que c'était pour acheter du blé en campagne.

"Et luy avons trouvé un étui en argent sur lequel étaient des armoiries d'un côté, et un chiffre de l'autre.
"Lui avons trouvé une bourse contenant la somme de 139 livres 14 sous".

En marge de l'interrogatoire ci-dessus :
"Etienne Ray jouissant de 3.000 livres et tant de rente".

Etienne Ray fut condamné à mort par la Commission révolutionnaire et exécuté le 26 janvier.

Tableaux : "Contre-révolutionnaire et royaliste, disant qu'il fallait écraser les patriotes et rétablir un roi".

Il demeurait hors des portes de Saint-Clair, quai Marat n° 30. Le séquestre est du 31 janvier.

LASSAUZÉE (Jean-Philippe), maître de pension, 37 ans.

Dénonciation :
"Nous soussigné étonné que le nommé Lassauzé, instituteur de la Croix-Rousse, existe encore dans le territoire de la République, certifions à toutes les autorités que ledit est un traître à la République pour avoir logé chez lui deux émigrés sçavoir Cordon de Vetange, cousin germain au traître Boullé, et Domangeville, grand seigneur Dupuis de Daume (sic), ce dont ils furent arrêtés tous les trois avant le 29 mai, et mi aux prisons de Pierre-Scize, et les deux émigrés furent conduits dans leur département avant le 29 mai, et ledit Lassauzé a été mis hors de cour de "proces par les rebelles. En foi de quoy j'ai signé, Reynaud de pierre cize".

Autre dénonciation émanant du comité révolutionnaire de la Croix-Rousse :
"Aux citoyens composant la Commission Temporaire.
"Citoyens,
"Un contre-révolutionnaire qui existe encore dans les prisons (aux Recluses) espère tous les jours d'en sortir. Cependant il a manifesté, surtout depuis le 29 mai, des sentiments contraires à ceux des vrais républicains. Un placard attaché au premier procès-verbal fait au comité Challier dit assez ce que cet homme à hautement manifesté par ses écrits, je vous le dis, citoyens, avec toute la vérité, c'est le plus coupable des contre-révolutionnaires qu'il y ait eus dans notre commune. Vous jugerez dans votre sagesse du vray que mon amour pour la République me fait dire.
"Salut et fraternité.
"Bruignand, membre. Ronze, membre".

Lassauzée adresse au président de la Commission révolutionnaire un long mémoire dont voici l'analyse :
Pouvait-il ne pas être l'apôtre de la Liberté qu'il a attendue pendant trente ans, et dont il salua l'avènement avec celui de la République ? Les pièces qui militent pour lui, lui ont été enlevées par ses ennemis.

Il invoque le témoignage du citoyen Legendre de la commission de Chambéry, du citoyen Laurent l'un des commissaires des douze, enfin des sections de la Côte et de la Croix-Rousse qui protestèrent hautement de son civisme lors de sa première détention...

Ses ennemis lui ont fait un premier crime d'avoir demandé, d'après le rapport de quelques députés de la Convention, qu'une pétition fut faite à la commune de la Croix-Rousse pour qu'on y érigeât un arbre semblable à celui de nos frères de Paris, arbre qui a été coupé depuis.

Ils lui ont fait un deuxième crime d'avoir fait connaître, à l'époque de son retour de Grenoble, le traître qui nous perdit, qui se disait l'âme, le partisan des martyrs et des apôtres de la Liberté et qui, mentant impunément aux Patriotes, plongea le premier, en quelque sorte, dans leur sein, un poignard homicide, par le plus cruel et le plus odieux des abandons.

Victime innocente de la tyrannie sacerdotale, Lassauzée a souffert pendant trente ans. Aussi se déclare-t-il le plus chaud partisan de la Révolution, et fut-il le premier à démontrer les mômeries des moines, les abus de l'Église, l'avarice et l'incrédulité de ses ministres. jaloux de procurer le bien de sa patrie, il offrit à l'Assemblée Nationale de lui découvrir des sommes d'or incalculables, et de lui indiquer jusqu'au réduit qui les recélait. La réponse du président atteste son zèle et son désintéressement.

Lassauzée se mit en rapport avec le député Legendre en mission en Savoie. Dès que les Piémontais eurent évacué la Savoie, Lassauzée se rend à Chambéry, et fait part du but de son voyage, à savoir reprendre les trésors cachés dans les chartreuses d'Aillon et de Saint-Hugon. On lui donne une force armée, et il part au milieu de la nuit pour ne pas donner l'éveil aux moines. A la chartreuse d'Aillon, il déterre près de 200.000 écus tant en numéraire qu'en effets précieux. Les Piémontais qui s'y étaient retranchés pendant un mois, avaient en se retirant, emporté des "richesses indéfinies".

Obligé de revenir dans sa famille, Lassauzée laisse à la Commission de Chambéry les renseignements qu'il croit utiles sur les autres chartreuses.

A son retour, il trouve sa femme éplorée. Elle avait dû congédier les quelques élèves qui lui restaient, grâce au bruit perfidement répandu par un sieur Matheron que Lassauzée avait fui lâchement.

Lassauzée mentionne ici l'affaire de l'arbre de la Croix-Rousse qui lui procura une détention de soixante-cinq jours au château de Pierre-Scize, par suite des agissements de Matheron, son farouche ennemi.

Lassauzée allègue ensuite les preuves de son dévoûment, tandis que Matheron s'enrichit aux dépens de la Nation. Lassauzée, au temps des persécutions de ses ennemis, dut se cacher dans la maison éloignée du citoyen Giraud. Il n'est pas, comme on l'accuse, l'ami d'un Chevassu qui, de même que la Communauté des maîtres de pension, est un satellite de Rome. Ces maîtres refusent d'admettre parmi eux Lassauzée, sous prétexte qu'il avait autrefois fait des voeux chez les Chartreux. La Révolution mit fin à cette persécution, mais il avait tout sacrifié... Il est chargé d'une femme enceinte et valétudinaire et de huit enfants. Il avait assez à faire de courir çà et là en quête de quelques racines et de quelques pommes de terre pour pourvoir à leur subsistance. Jamais il n'a formé de complots liberticides.

Telle est la conduite qu'a tenue depuis vingt-six ans, Lassauzée qui a déserté le cloître et juré guerre à l'Église et à tous les despotes.

Dans ses séances des 27 et 28 janvier, la Commission révolutionnaire ajourne "à revoir" l'examen du cas de Lassauzée.

A cette dernière date, son président reçoit la réponse suivante du comité révolutionnaire de la Croix-Rousse qu'il avait consulté :
"Citoyens,
"Vous nous demandez des renseignements sur le compte de Jean-Philippe Lassauzée. Notre devoir nous oblige à vous dire que c'est un parfait contre-révolutionnaire qui a manifesté des principes contre toutes les lois de notre très digne République, où après la journée du 29 mai il fut arrêté. Mais, pour se justifier, il fit afficher un placard où il traittait Legendre, représentant du peuple, Chalier et Gaillard. Il joignait à ce placard mille horreurs contre les patriottes de notre canton : Gesse, Bruignan, Ronze, Sautemouche, julien et Antoine Puy.
"D'ailleurs, il a porté les armes contre sa patrie. Quand il a été interrogé chez nous, moy Maigrot, comme secrétaire, je lui dis : Tu as des lumières, mais il est domage que tu ne les tournes pas au proffit de ta patrie.
"Salut et fraternité.
"Posson, président. Maigrot, secrétaire".

C'était le dernier coup porté contre l'infortuné Lassauzée. En dépit de son mémoire justificatif et de ses protestations anticléricales, il était condamné à mort par la Commission révolutionnaire, et exécuté le 31 janvier.

Tableaux : "A logé deux émigrés et a fait afficher des placards contraires aux principes de la Révolution".

COURAJOT-ROSTAING (Pierre), commis-fabricant, 27 ans.

Dénonciation :
"Nicolas Bruignan, membre du comité révolutionnaire du canton Challier, déclare que le citoyen Courajot Rostaing la arretté dans le canton, étant sous les armes, par ordre de ses supérieurs en quallité de fuseliers (sic). Ce malheureux jour, l'aristocratie levait un front audacieux, et ledit Courageod a été sur la place d'armes avec le bataillon où ils attendaient les ordres du départ pour entrer à Lyon.
"De plus, ledit Bruignan observe que le 31 may, il est monté une patrouille de muscadins, lesquels ont demandé quattre hommes de renfort, auquel ledit Courageod était du nombre, pour arretter les patriotes du canton, et que foy doit estre ajouté à la dénonciation, et ay signé Bruignan".

Pierre Courajot, dit Rostaing, natif de Lyon, demeurait à la Croix-Rousse depuis quinze mois environ. Il avait été commis chez Pierre Courajot et fils, ses cousins, marchands-fabricants à Lyon. Traduit devant les administrateurs du district de Commune-Affranchie, il subit l'interrogatoire suivant, le 20 janvier (1er pluviose) :
"D. - Est-il resté à Commune-Affranchie pendant le siège ?
"R. - Oui.
"D. - A-t-il exercé pendant la rébellion lyonnaise des fonctions civiles, judiciaires ou militaires, a-t-il pris les armes en faveur des rebelles ?
"R - Non

D'après les renseignements donnés par divers comités révolutionnaires, le Conseil général du disctrit considère que Courajot-Rostaing "est un de ceux qui ont le plus contribué à la rébellion lyonnaise, et que toute la famille des Courajot a constamment profesée des principes contre-révolutionnaires".

Il arrête donc que ledit sera détenu à la prison de Roanne, et qu'il sera écrit au comité révolutionnaire de la commune Chalier, et à celui de son précédent domicile, pour avoir, en ce qui le concerne, des renseignements certains.

Courajot-Rostaing ayant observé qu'il n'a jamais partagé les principes des autres Courajot, et qu'il a toujours professé des principes républicains, acte lui est donné de cette déclaration.

Le 25 janvier, le District transmet à la Commission révolutionnaire une copie de l'interrogatoire de Courajot-Rostaing, et celui de Courajot-Motteville dont il sera question ci-après. Il y a joint en ce qui concerne Courajot-Rostaing, la dénonciation de Bruignan. Les juges de la Commission sont invités "à prononcer promptement sur ces individus avec sincérité et justice".

A la demande de renseignements qui lui a été adressée, le comité révolutionnaire de la Croix-Rousse, par l'organe du citoyen Gesse répond : "Courajot-Rostaing est connu pour un bon et honnête compagnon ouvrier en soye, qui a été simple commis dans la fabrique, et n'a jamais été négociant". Il n'y a contre lui, ajoute le comité, d'autre dénonciation que celle qui l'accuse d'avoir pris les armes au 29 mai. Mais comme alors, Courajot-Rostaing n'avait fait qu'obéir à son supérieur "qui le forçait de marcher", cette dénonciation paraît au comité nulle et non avenue.

Ce rapport favorable est ratifié par la Société populaire qui décide qu'une pétition sera adressée au président de la Commission révolutionnaire pour obtenir la mise en liberté de Courajot-Rostaing La municipalité "qui a connaissance du civisme dudit" appuie cette pétition (31 janvier et 1er février).

En dépit de ces interventions qui, émanant des sans-culottes les plus qualifiés de la commune, eussent dû le sauver, Courajot-Rostaing fut condamné à mort par la Commission révolutionnaire, et exécuté le 17 février.

Tableaux : "Fusilier caserné, a porté les armes aux avant-postes avec les muscadins"..

COURAJOT-MOTTEVILLE (Jean), ancien marchand fabricant, 51 ans.

Dénonciation du comité révolutionnaire des rues Terraille et Convention réunies :
"Contre Courajod-Romieux, Courajod-Motteville, Courajod Charles, Courajod-Molin, tous portés sur les listes que nous avons reçus, pour agioteurs, ennemis de la Révolution, agioteurs et "royalistes. Et d'ailleurs, connus l'un d'eux pour avoir paye a huit sous l'aune les taffetas 7/12, et par là ruiné les ouvriers.
"Laroche, président. Louvel, secrétaire".

Cette dénonciation est du 20 janvier. Ce même jour, Courajot-Motteville comparait devant les administrateurs du district de Commune-Affranchie qui lui demandent :
1° s'il est resté à la Croix-Rousse pendant la rébellion lyonnaise ?
2° s'il a exercé pendant ce temps des fonctions civiles, judiciaires ou militaires ?"
L'inculpé répond oui à la première question, et non à la seconde.

Sur quoi, considérant que, d'après le certificat du comité révolutionnaire des rues Terraille et Convention, réunies, ledit Courajot est un de ces hommes "qui ont constamment spéculé sur les malheurs publics, et se sont engraissés des sueurs du malheureux, "qu'il a toujours été au nombre des contre-révolutionnaires les plus décidés, qu'il a cherché à se soustraire à la vindicte des loix en s'affublant de l'habit de l'indigent", les administrateurs arrêtent que Courajot sera traduit à la prison de Roanne, et qu'il sera écrit au comité révolutionnaire de la Croix-Rousse pour avoir sous deux jours, des renseignements sur cet individu "dont l'incivisme est généralement connu". Le procès-verbal de l'interrogatoire et les certificats du comité révolutionnaire de la rue Terraille seront envoyés au président de la Commission révolutionnaire.

Plus encore que pour Courajot-Rostaing, fut élogieux le rapport du Comité révolutionnaire de la Croix-Rousse en ce qui concerne Courajot-Motteville. Les citoyens Gesse et Brun, délégués à cet effet, font les déclarations suivantes :
"Courajot-Motteville demeure dans la commune Chalier depuis environ trois ans. Il aide son père âgé de quatre-vingts ans, et il est père lui-même de quatre enfants. C'est un bon citoyen, son civisme est connu. Depuis deux ou trois mois, il a contribué pour les pauvres en linges, nippes, hardes, deux lits garnis et autres objets pour la valeur de plus de cinq cents livres. Il a quitté la commune depuis deux ans et demi environ. Il s'est caché dans une cave, pendant le siège, pour se soustraire aux rebelles qui voulaient le forcer à porter les armes, malgré ses cinquante-deux ans".

Comme pour Courajot-Rostaing, la Société populaire confirme ces allégations et adresse au président de la Commission révolutionnaire une pétition demandant l'élargissement de Courajot-Motteville.

Les membres de la municipalité s'associent à cette démarche en l'appuyant de cette affirmation énergique : "Nous sommes de vrays sans culottes qui désirons voir punir nos ennemis, et sommes jalous de rendre justice aux innocents. C'est une vertu que nous partageons avec toi et tes confrères.
"Vive la République. Vive la Montagne.
"Salut et fraternité.
"Doriel, agent national, Baudrand, maire, Sicard, Spériolin, Jacqui, Brun, Prost, officiers municipaux, Boucharlat, notable, Campagne, secrétaire" (31 janvier - 1er février).

Rien n'y fit. Courajot-Motteville fut condamné à mort par la Commission révolutionnaire et exécuté le 24 février.

Tableaux : "Contre-révolutionnaire, agioteur et royaliste. Ayant payé pour les frais du siège et jugulé de tout temps ses ouvriers".

Courajot-Motteville demeurait au Chapeau-Rouge. Il avait une autre maison, quai Marat (ex-quai Saint-Clair) n° 30. Le séquestre est du 19 janvier.

On vient de lire le témoignage peu suspect du comité révolutionnaire de la Croix-Rousse sur les actes de bienfaisance accomplis par le condamné. Déjà, en 1782 et 1787, les Courajot père et fils avaient versé la somme de 570 livres à l'oeuvre des pauvres de la paroisse de Saint-Pierre-et-Saint-Saturnin.

Rappelant un service personnel qu'il en avait reçu, l'abbé GuilIon écrit dans ses Mémoires : "Bon et généreux Courajot-Motteville, à quels dangers vous vous opposâtes en me recélant deux jours et deux nuits ! Mais vous étiez trop vertueux pour échapper au fer des scélérats. Ils ont fait tomber sur votre tête leur hache homicide, treize mois plus tard".

Malheureusement pour Courajot-Motteville s'il pratiqua les devoirs de la charité privée, il méconnut, à une époque calamiteuse, les obligations plus impérieuses encore de la justice sociale. Il fut un des fabricants qui contribuèrent le plus à la baisse des salaires après la crise de 1787.

Voici ce que relate Vandermonde, professeur d'économie politique àl'école Normale, envoyé à Lyon par le Comité de Salut Public, dans son Rapport sur les Fabriques et la Commune de Lyon (8 novembre 1794) : "Un règlement fixait à Lyon la façon de l'aune de taffetas courant à 18 livres, au moment où l'Assemblée Constituante, voulant apaiser des troubles qui avaient lieu à ce sujet, décréta que l'aune serait payée àprix débattu. Qu'arriva-t-il ? Courajot fabricant, condamné depuis le siège, qui occupait six cents métiers en unis, ce qui n'aurait jamais dû être, se ligua avec quelques autres gros fabricants, et ils parvinrent à ne payer l'aune que 11 sous, 9 sous et jusqu'à 7 sous".

Cette conduite judaïsante de Courajot-Motteville ne pouvait qu'exciter l'animadversion des ouvriers. Elle provoqua des ressentiments que n'apaisèrent pas les largesses personelles de l'infortuné fabricant, ressentiments qui paraissent bien avoir entraîné sa condamnation.

BEDOT-FAUGIER (Claude-Laurent), fabricant de soie, 26 ans.

Interrogatoire :
"D. - Son nom, son état, son pays ?
"R. - Bedot-Fogier, fabricant à Ville-Affranchie.
"D. - Où il était pendant le siège ?
"R. - Chez lui, à Saint-Clair.
"D. - Combien (sic) il a été canonnier pendant le siège ?
"R. - Qu'il n'a jamais été rien.
"D. - S'il a été requis de porter les armes ?
"R. - Qu'il s'est caché et qu'étant requis, il a resté un quart d'heure aux portes de Saint-Clair.
"D. - Quel était son commandant ?
"R. - C'était Burtin.
"D. - Comment il s'est sauvé de son poste ?
"R. - Qu'il s'est esquivé furtivement.
"D. - A lui demandé à quel poste avancé il était ?
"R. - A aucun.
"D. - Où il était le 29, s'il s'était rendu à son bataillon ?
"R. - Chez lui, et qu'il s'était rendu à son bataillon lorsque la générale a batu et qu'il n'y a pas resté.
"D. - Quel patriote il a arrêté ?
"R. - Aucun.
"D. - S'il était venu à l'assemblée primaire qui s'est tenue lors du congrès départemental ?
"R. - Non.
"D. - Quel grade son père a occupé ?
"R. - Il l'ignore, il ne l'a pas vu pendant le siège.
"D. - A quelle époque il a été arrêté avant cette dernière fois pour propos. incivique ?
"R. - Qu'il n'en a pas tenu, et qu'il a été emprisonné parce qu'il n'a pas voulu monter la garde.
"(Signé) Bedot-Faugier dit Laffranchize, fourrier".

A la suite :
"La Commission Temporaire de surveillance républicaine,
"A la Commission révolutionnaire.
"Nous vous faisons passer, frères et amis, les pièces relatives aux nommés Enaud, Bouvier, Bedot et Petitet que nous avons en- oyés à la Maison commune.
"Salut et fraternité.
"Ce 14 ventôse l'an 2 (4 mars 1794) Marino, Perrotin, Bois-ière".

Bedot-Faugier fut condamné à mort par la Commission révo-lutionnaire et exécuté le 14 mars.

Tableaux : "Capitaine des rebelles, contre-révolutionnaire lié avec les rebelles".

Inutile d'ajouter que les biens possédés à la Croix-Rousse par les suppliciés domiciliés à Lyon, étaient également mis sous le séquestre. C'était le cas pour les propriétés de Savaron, Béchetel, Teste, Chanel, Novet, Moinier, Drevet, Veillas, Neyrat, etc.

Quant à l'ex-seigneur Simon-Claude Boulard de Gatellier, il s'en fallut de peu qu'il ne portât, lui aussi, sa tête sur l'échafaud. Arrêté une première fois, il est traduit devant la Commission de justice populaire, et reconnaît avoir versé 4.000 livres aux Lyonnais soulevés, mais forcément et "après avoir eu garnisaires".

Considérant que Boulard n'est l'objet d'aucune dénonciation, qu'il n'a pu, âgé de 81 ans, porter les armes, mais que, en fournissant la somme de 4.000 livres, pour "alimenter les rebelles", il leur a donné les moyens de prolonger la résistance, ce qui doit être regardé comme une très grande faute, le tribunal condamne Boulard de Gatellier à payer 8.000 livres pour les "pauvres opprimés" de Ville-Affranchie, à verser entre les mains des officiers municipaux qui feront la distribution de cette somme, moyennant quoi il sera rendu à la liberté (9 novembre - 19 brumaire). Deux jours plus tard, le 11 novembre, la Commission Temporaire de surveillance républicaine lançait contre lui un mandat d'arrêt sous prévention d'aristocratie et de conspiration dans la rébellion des Lyonnais.

Boulard de Gatellier est incarcéré une deuxième fois. Il passe de la prison de Roanne à celle des Recluses, le 3 décembre, et arrive à celle de l'Hôtel-de-Ville. Son état de santé est alors déplorable, et le docteur Mermet, médecin des prisons, déclare qu'une plus longue détention ne peut être que funeste au malade.

Enfin, Boulard de Gatellier est reconnu coupable par la Commission révolutionnaire qui, attendu son grand âge, le condamne à la détention, le 6 avril (17 germinal), détention qui ne prit fin que le 21 novembre 1794. Réfugié à Paris, le digne vieillard y décéda le 9 janvier suivant.

Ce n'étaient pas seulement les biens des individus condamnés qu'on plaçait sous le séquestre. On l'appliquait encore par mesure de sûreté générale, et vis-à-vis de ceux qu'une fuite prudente avait soustraits aux vengeances révolutionnaires.

Par mesure de sûreté générale, les scellés sont mis, du 2 novembre 1793 au 12 juillet 1794, sur les biens mobiliers et immobiliers des personnes dont les noms suivent :

SABLIER (Jacques), chemin de Margnolles.

FRÉMINVILLE père (Claude-Edme), rue Traversière, n° 21.

BONNAMOUR (veuve), rue Chalier, n° 8, âgée de 68 ans, avec les deux demoiselles Bonnamour, du même prénom d'Eléonore, âgées l'une de 25 ans, l'autre de 23 ans.

FÉQUAND (Claude), rue de Margnolles, n° 105. Séquestré pour "n'avoir pas obéi à la loy, et avoir demeuré avec les rebelles de Lyon, aujourd'hui Ville-Affranchie". Son fermier, Simon Gonon, est sommé de conduire les agents du séquestre dans les divers appartements pour y apposer les scellés. Il est ensuite établi gardiateur. La maison est dite "écroulée sous les boulets du siège".

REPELIN (Laurent), quai Marat, n° 28.

PINET (Jean-François), quai Marat, n° 29. Avait aussi deux moulins estimés 24.000 livres. Son épouse, âgée de 37 ans, est comprise dans le séquestre. Il y a cinq enfants : Jean-Baptiste 14 ans, Benoît 13 ans, Joseph 11 ans, Isidore 5 ans, Louise 3 ans.

LANYER (Fleury), quai Marat, n° 25. Agé de 69 ans, notaire et notable de l'ancienne municipalité. Son épouse, Françoise-Pétronille Voiret, âgée de 52 ans et sa fille Claudine, 21 ans. Le citoyen Maurice Vir est établi gardiateur. Le 17 mai (2 floréal) le gardiateur est retiré, et les scellés étant reconnus intacts, Lanyer est commis en son lieu et place, "et rendra compte de tout ce qui avait été mis à la charge du citoyen Vire". N'est-elle pas singulière cette situation du notaire établi gardiateur de son propre mobilier resté sous scellés, et dont il demeure responsable envers l'administration ? Quel brutal signe des temps !

MARTINON (Louis), en Serin, n° 108.

JOURDAN, rue de Margnolles, n° 56. "On le dit chez lui à Commune-Affranchie".

MARTIN père, rue Pothin, n° 70.

Plus longue encore est la liste des fuyards, ou fugitifs, dont les biens sont mis sous séquestre du 29 octobre 1793, au 4 juillet 1794. Ce sont :

VELAY (Ennemond), commandant de la garde nationale, rue Chalier, n° 47. Sa maison "batie à neuf". Il était boucher de profession. L'inventaire de son mobilier, dressé le 22 janvier (3 Pluviôse), comprend : 75 Ouchas tant grandes que petites qui ont été portées à la municipalité ; 4 rateliers avec les chevilles, et un autre avec ses deux pendants et ses broches ; un plot de boucher de 4 1 /2 pieds de long sur 2 de large ; une corde pour attacher les boeufs ; un plot pour tailler la viande. Au premier étage : Un Christ garni en velours et le cadre doré.
Le 20 février (2 ventôse), on fait vérification, dans le temple de la Raison où ils sont déposés, des suifs, de 16 peaux de boeuf et d'une peau de veau, le tout provenant de chez Velay.
Le 16 mai (27 floréal), l'officier municipal Spériolin procède à la vente de ces objets au prix du maximum. Elle produit au total 437 livres 7 sous. L'enrégistrement de l'acte de cette vente et le timbre qui y fut apposé valurent, au débit du compte de la municipalité, 5 livres 2 sous 6 deniers.

LÈQUE (dit Louis), rue du Chapeau-Rouge. Séquestré "pour n'avoir pas obéi à la loy, et avoir demeuré avec les rebelles de la cy-devant ville de Lyon, aujourd'hui Ville-Affranchie". Sa maison est dite "dégradée des boulets du siège". Le fermier a nom Etierme Brancier.

ROULLIER, au Chapeau-Rouge et sur la "levée du Rhône".

NESME (Claude), rue des Tapis, n° 1.

ALHUMBERT, quai Marat, et sur la "levée du Rhône". Sa femme, née Signoret, 60 ans, non comprise dans le séquestre.

LÉORAS, chemin de Margnolles, n° 62. "Cy-devant capitaine de Margnolles". Sa maison est dite "bourgeoise et décorée avec art". Chez le maître-valet, on a trouvé un cheval appartenant à Léoras. Bergeron est établi gardiateur.

GONON (Jean), rue Pothin, n° 67.

VILLARD (Jean), au quartier Saint-Vincent, maison Lamant, n° 85.

PITIOT (Joseph), rue Chalier. N° 94. Son épouse, Claudine Bresson, 42 ans, non comprise dans le séquestre.

BERTHET (Jérôme), rue de l'Enfance, n° 68.

CHATAIGNIER (Joseph), rue Chalier, n° 3.

BAUDRAND (Jean), "de chez Savaron", rue de Cuire, n° 24.

ROSTAING (Antoine), quai Marat, n° 33.

GUY, en Serin, n° 116.

FÉLIX (André), fabricant en étoffes de soie, chemin de Margnolles, n° 83. Le 30 juin (12 messidor) la citoyenne Félix mère, et un de ses fils, est remise en possession du domicile de André Félix.

DESCHAMPS (Jacques), chemin de Serin, n° 120 "près la verrerie". Séquestré pour "avoir demeuré avec les rebelles de Ville-Affranchie, cy-devant Lyon".

RATER, quai Marat.

PICHON, rue du Chapeau-Rouge, n° 1.

DUFOUR, chemin de Margnolles, n° 60.

RATON, grande-rue dite de Cuire, maison non achevée. Le citoyen Bono, entrepreneur, qui remet la clef aux agents du séquestre, déclare que Raton est absent depuis deux ans.

ARNAUD, BERNARD, SICARD, en Serin, n° 16.

VACHON (aîné), chemin de la Boucle.

Le dossier du Comité révolutionnaire de la Croix-Rousse contient encore la liste suivante. Celle-ci comprend une série de personnes qui, mises en état d'arrestation du 4 avril au 23 juillet 1794, durent vraisemblablement leur délivrance à la chute de Robespierre.

Cette pièce est intéressante par les observations qu'a formulées, sur chaque nom, le comité révolutionnaire.

THÉOLEYRE (Nicolas), au Chapeau-Rouge, dessinateur chez le nommé Rostain, place des Carmes. "Nous ne l'avons connu que depuis l'entrée des troupes à Commune-Affranchie. Il ne nous est parvenu aucune dénonciation".

MOREL (Pierre), rue de l'Enfance, n° 54, rentier, ex-procureur. "Nous le connaissons pour un insouciant et un individu qui n'aime pas la République. Nous n'avons pas d'autre plainte".

POTEAU (Veuve), rue de Cuire, rentière. "Nous la connaissons pour être fanatisée. Nous soupçonnons même qu'il s'est dit des messes clandestines chez elle".

PICARD (Nicolas-Simon), rue de l'Enfance, chez Mathieu George, rentier. "Nous l'avons arrêté comme suspect, n'ayant pas de papiers pour justifier de son civisme".

DARFT (Benoit-François), quai Marat, fabricant de bas de soie. "Fameux fanatique qui logeait chez lui un moine réfractaire, lequel fanatisait les femmes et disait des messes non permises par la loi".

VILLE (B.....). VIANET (Claire), rue Calas, n° 25, ex-religieuses. ROCH (Eléonore), non assermentées. BLANC (Claudine). CHARMETTON (Emilie). "Toutes cinq fanatisées, réfractaires aux lois, n'ayant pas prêté leur serment".

Enfin, une dernière liste comprend une série de personnes dont le séquestre fut levé du 2 janvier au 22 avril 1794. La voici reproduite en raison surtout des observations qui accompagnent chaque nom :

CARRÉE, rue dite de Cuire. "Nous ne l'avons pas connu pour résider habituellement dans notre commune. Il n'y venait que rarement. Rien à sa charge".

RESTIER. "Etait comédien à Commune-Affranchie. Venait très rarement dans sa campagne sise en notre commune. jamais aucune dénonciation à son égard".

LACOSTE, père, quai Marat, n° 24. "Il n'a jamais professé de bons principes. A été nommé commissaire pendant le siège pour faire vendre les comestibles des patriotes absents".

CHEVALIER (femme), sur les Tapis, n° 79. "La maison appartient à Sébastienne Foret, mère de la citoyenne Chevalier. N'avons jamais eu de dénonciations contre elle".

MOREL (Bonaventure), rue Pothin, n° 67. "A été acquitté par la Commission révolutionnaire et a toujours été insouciant. Un de ses frères, cy-devant procureur, est actuellement en arrestation".

REGNAULT (Gabriel), Chemin de Serin, n° 22. "N'avons jamais eu aucune dénonciation à son égard. Il est actuellement en arrestation. N'en savons pas le motif".

BARABD (Claude), sur les Tapis, n° 94. "Etait autrefois agent de change. Soupçonné d'avoir donné 14.000 livres pour les frais de la guerre des rebelles lyonnais".

CAZETTE (l'abbé), à Margnolles, n° 51. "N'avons jamais eu aucune dénonciation à son égard. A été acquitté deux fois par la Commission révolutionnaire".

GUBIAN (Jean-Pierre), à Margnolles. "Nous ne le connaissons pas suffisamment, attendu qu'il demeure à Commune-Affranchie. Nous le soupçonnons insouciant".

La procédure du séquestre débutait par l'apposition des scellés sur les biens meubles et immeubles. Cette apposition était effectuée, le plus ordinairement, par un officier municipal accompagné de quelques-uns des membres du Comité révolutionnaire. Un inventaire des biens séquestrés était rédigé, puis un gardiateur était préposé à leur surveillance. L'administration louait ou affermait les immeubles et vendait, à l'occasion, les effets mobiliers, le tout a son profit. Les objets placés sous le séquestre ne pouvaient en être distraits qu'après une autorisation du comité des séquestres ou de l'administration du district, portant indication du motif de cette distration. Cette formalité était exigée même lorsqu'il s'agissait du propriétaire de l'objet séquestré, ou d'un membre de sa famille.

CHAPITRE XV
1793-1794 (suite)


Misère affreuse. - Difficultés pour l'approvisionnement de la commune. - Livraisons insuffisantes. - Les taxes et les réquisitions. - Les inhumations. - La fabrication du salpêtre. - La fête de l'Égalité. - Secours à la veuve d'un sans-culotte. - Arrêté sur les foires et mesures de police. - Déclarations imposées aux bouchers. - Autorisation d'un théâtre.

Sous ce régime de terreur où il n'y a de sécurité pour personne, le commerce est à peu près nul et la misère est affreuse.

Le 2 décembre, les boulangers de la Croix-Rousse déclarent à la municipalité qu'ils n'ont plus ni blé, ni farines. La population se plaint amèrement d'être obligée d'aller à trois ou quatre lieues acheter du pain à plus de cinq sous la livre. La municipalité décide qu'il sera fait part au Directoire du district de la famine qui menace la commune, avec sollicitation de fournir des secours en blés et farines pour approvisionner les boulangers, jusqu'à ce que les foires et marchés des environs aient repris leur activité.

Malgré un arrêté des représentants ordonnant la libre circulation des grains d'un département à l'autre - arrêté immédiatement communiqué au maire de Fontaine, par notre municipalité qui l'invite à lui faire connaître les maisons où elle pourra acheter des grains - la disette ne cesse pas.

Un membre de la municipalité fait savoir (27 décembre) que les subsistances font défaut, et somme ses collègues d'aviser sur-le-champ aux moyens d'approvisionner les habitants de la commune.

Le citoyen Martinot père offre spontanément d'avancer les fonds nécessaires à cet approvisionnement. Le Conseil applaudit à cette proposition, et adjoint à Martinot deux commissaires pour se transporter dans les départements voisins, en invitant les municipalités à favoriser de leur mieux l'achat et le transport des denrées destinées à la Croix-Rousse.

Il faut croire que cette mission n'obtint pas des résultats durables car nous voyons notre municipalité, dès le 1er février suivant, demander au commissaire Jourdan de continuer "les attentions et bontés qu'il a eu jusqu'à présent pour le peuple de cette commune" en retenant en faveur de ce peuple une partie des grains que le commissaire dirige sur Commune-Affranchie. "Nous sommes obligés - ajoute-t-elle - d'envoyer à quatre ou cinq lieues de notre commune pour nous procurer du pain à grands frais".

Des délégués sont en même temps chargés de se rendre auprès du District du Département et des Représentants, afin d'obtenir l'autorisation de procéder à des achats de grains dans les localités qui en sont pourvues, et cela pendant la durée d'un mois, conformément aux lois et décrets. Et ces achats devront s'effectuer avec promptitude - vu que, conclut la délibération municipale - "la famine menace notre commune, laquelle est composée d'environ trois mille trois cents âmes, ce qui fera seize cent cinquante quintaux de blé dont il faudra faire emplette".

Si pressantes que fussent ces doléances, et quelque atroce que pût être la situation qui les motivait, l'administration supérieure, en dépit de l'amour du peuple dont elle se targuait volontiers, ne parut pas les accueillir avec une sollicitude immédiate. Le 13 février, notre municipalité revenant à la charge, avertit les autorités de Commune-Affranchie que la commune Chalier "est privée d'aliments depuis environ deux mois, que les habitants, pour se soustraire à la famine qui les menace, sont obligés de se cotiser pour envoyer à cinq et six lieues faire emplette de pain qui leur revient à six et sept sols la livre ; que lorsqu'ils ont acheté trois à quatre livres de viande à Commune-Affranchie, des commissaires placés à la porte empêchent de les entrer au canton Chalier". La municipalité décide encore qu'une pétition sera adressée au District pour demander des légumes, blés et autres semailles de mars "pour les placer dans les terres des habitans qui les ont préparés".

Ces objurgations restent sans effet, car un mois plus tard, le 11 mars, notre municipalité les réitère dans les mêmes termes. Une fois de plus, elle s'adresse au commissaire Jourdan dont eue rappelle encore "les bontés et attentions qu'il a eu jusqu'à présent pour le peuple de cette commune". Elle lui demande, comme précédemment, de réserver pour ce peuple une partie des grains qu'il envoie à Lyon, sauf l'autorisation des Représentants qu'il est invité à réclamer. La municipalité répète que des commissaires lyonnais, postés aux portes de la Croix-Rousse, empêchent d'y introduire du pain, ce qui l'oblige à acheter à grands frais à quatre ou cinq lieues de distance. Depuis plus de trois mois, dit-elle encore, les boulangers de la commune, manquant de grains, ne fabriquent plus de pain.

On obtient alors un commencement de satisfaction. Les Représentants autorisent, en faveur de notre population, la levée de cent quintaux de blé au prix de 1.400 livres. Deux délégués sont nommés, le 28 mars, pour prendre livraison de ce blé auprès du citoyen Mandy, commissaire aux subsistances en mission dans les communes de Mieux, Vancia, Miribel et autres circonvoisines.

Le 27 avril, la municipalité délivre de la farine aux gens les plus nécessiteux. Le 8 mai, elle arrête que trois quintaux de farine seront livrés journellement aux citoyens Radix et Bressac, et deux quintaux aux citoyens Dérieu, quai Marat, et Mayet, en Serin, boulangers, qui en feront du pain à raison de trois sous six deniers la livre. Des commissaires sont nommés pour en surveiller la fabrication et la vente aux conditions fixées.

Le 9 août, la société populaire adresse une pétition à l'effet de demander aux Représentants de faire livrer à la commune vingt quintaux de farine au lieu de dix quintaux, cette dernière quantité ne donnant qu'une demi-livre de pain par individu. Le représentant Reverchon renvoie cette pétition au District qui réclame au préalable un recensement approximatif de la récolte.

Le 21 août, la municipalité enjoint aux citoyens de battre dans les trois jours les blés qu'ils ont récoltés, et d'en faire la déclaration sous peine de confiscation.

Dix jours plus tard, elle somme les propriétaires et principaux locataires de lui remettre, dans les 24 heures, la liste des habitants de leurs maisons sous peine d'une amende de 50 livres. Cette liste, maintes fois réclamée déjà, était nécessaire à l'administration municipale pour remédier à la pénurie. de pain dont souffrait la commune.

En octobre, la municipalité se plaint derechef que les dix quintaux de farine alloués sont loin de suffire à la consommation de ses commettants. Le District répond en lui conseillant une solution conforme aux principes de la doctrine égalitaire : "Il faut que vous, municipaux - écrit le Directoire - fassiez donner par les propriétaires qui ont un peu au-delà de leur consommation, puisqu'il n'est pas juste, ny dans l'égalité, qu'un citoyen aye un superflu quand un autre n'a pas de quoy attendre le lendemain".

Le propriétaire ne doit pas conserver ce qu'il ne peut consommer. En conséquence, la municipalité devra dresser un tableau des propriétaires, en indiquant la moyenne de leur consommation normale, seul moyen, ajoute le Directoire, d'assurer la subsistance de tous, car, conclut-il, "lorsqu'on laissera chez un citoyen ce qui luy est inutile, il n'y a pas de doute que d'autres souffriront".

Cet état de détresse générale s'aggravait encore des taxes et des réquisitions. Sur la fin de 1793, les contributions de l'année n'étaient pas acquittées. Interrogé sur ce retard, le receveur Defarge répond qu'il n'avait pas de régistres et que les rôles n'étaient pas dressés. Il est remplacé par le citoyen Privat (Jacques) qui reçoit mandat d'activer la rentrée des impôts.

Mais, comme on ne peut presque rien tirer de la masse de la population plongée dans la misère, c'est aux riches que s'adresseront les agents du fisc. Une première invitation leur est faite de se rendre, le 19 décembre, dans la salle municipale pour y faire enrégistrer les dons "qu'ils ont fait ou feront".

Les intéressés n'ayant apparemment pas, pour le plus grand nombre, répondu à cet appel, la municipalité décrète (11 janvier 1794) que les riches seront forcés de déclarer leur avoir, à peine de 500 livres d'amende et de la prison. Dix jours après, elle adresse à l'administration supérieure une requête à l'effet d'être autorisée à établir des mandats impératifs sur les riches, pour les contraindre à payer leur part d'une contribution révolutionnaire de 20.000 livres.

Cette somme était destinée à acquitter les appointements des officiers municipaux, des membres du comité révolutionnaire, des gardiateurs de séquestre, etc., tous gens qui ne perdaient point, dans la détresse générale, le souci de leurs intérêts privés. L'administration du district répondit par l'envoi immédiat de feuilles destinées à l'inscription des sommes à percevoir, en exécution du décret de la Convention sur l'emprunt forcé. Ces feuilles sont remises à une commission formée de membres de la municipalité et du comité révolutionnaire qui les présenteront aux riches "ou présumés riches".

Les commissaires se partagent la tâche à remplir : Doriel et Bruignand à Serin, Sybille et Cloître au quartier Saint-Vincent, Noirel et Posson au versant du Rhône et à Margnolles, Bonivert et Henri Puy à la partie centrale du bourg (2 février).

Un mois plus tard, les rôles de répartition pour l'emprunt forcé étaient envoyés au District qui invitait la municipalité à en faire opérer le recouvrement par le percepteur des contributions.

Il y avait encore les réquisitions de toutes sortes qui constituaient, pour la population, une lourde charge. Citons-en quelques-unes : en novembre, on requiert, au nom de la loi, six chevaux avec leur harnachement, six paires de pistolets et six paires de bottes. Deux quintaux et demi de foin et trois bichets et demi de son sont ensuite réclamés pour les chevaux des dragons cantonnés dans la commune. Les riches devront abandonner leurs matelas et autres effets nécessaires aux indigents. Trente-quatre maisons sont cernées à l'effet d'en retirer "le "superflu".

En janvier 1794, les habitants sont appelés, sous peine d'une amende de 30 livres, à procéder aux travaux de démolition des redoutes élevées lors du siège, et à niveler et rendre praticable l'emplacement desdites redoutes.

En février, dix douzaines de chapeaux sont requis chez le chapelier Richard. Comme ces chapeaux sont destinés aux troupes, et que la réquisition en a été faite en vertu des décrets de la Convention Nationale, la municipalité demande au District à qui Richard devra les livrer, et qui le paiera ?

En avril, est exécuté le décret du 1er germinal portant qu'il sera fait une levée extraordinaire de chevaux et de mulets pour le service des transports militaires.

La population était, en outre, astreinte à la déclaration périodique des chevaux, boeufs et mulets, et du produit de la récolte en grains et fourrages.

On s'était emparé, en décembre, des chaudières, chaudrons et fûts divers pour la fabrication du salpêtre. Cette fabrication commença le 4 février. L'initiative en fut prise par le citoyen Gros, vinaigrier, qui se mit à l'oeuvre après avoir reçu du citoyen Libour, agent du Comité de Salut public, un certificat constatant qu'il l'avait instruit du mode légal d'opérer.

Deux semaines plus tard, le citoyen Gonchon était nommé sous-agent pour l'extraction du salpêtre dans la commune. Trop âgé pour servir la patrie les armes à la main, Gonchon avait demandé à être occupé gratuitement à ce travail. La municipalité l'avait immédiatement admis en raison "des traits de patriotisme émanés de lui, et de ce qu'il n'avait jamais cessé de prévenir ses intentions pour tout ce qui touche au bien de la République".

Peu après, l'agent Gros était autorisé à prendre quatre manoeuvres, l'un chargé de la chaudière, l'autre pour choisir les terres propres à la manipulation, les deux derniers pour transporter les terres et les piocher. Il pouvait encore réquisitionner le tombereau destiné à ce transport.

Le moment venu, seize commissaires se divisant le territoire communal, se rendirent chez les habitants, y firent enlever les cendres de bois et les porter au dépôt du salpêtre, à l'hôtel de Berry, maison Pierre Puy. On achetait en même temps le charbon de terre nécessaire au même usage.

Le 13 mai, le citoyen Saby (Jean-Pierre), porteur d'un brevet délivré par l'administration du district, remplaçait Gros, après qu'on eut dressé un inventaire des ustensils, des ingrédients et du salpêtre qui se trouvait dans l'atelier de fabrication.

Le 25 septembre, le receveur du district remettait une somme de 3.000 livres pour cette fabrication.

L'exploitation du salpêtre, dans notre commune, prit fin le 25 décembre. Les commissaires délégués rendirent ce témoignage "qu'ils ont reconnu, avec la plus grande satisfaction, que toutes les terres susceptibles d'être exploitées dans la commune, l'avaient été avec autant de soin que d'intelligence".

Le règlement des frais eut lieu au mois de juin suivant.

Stimulée par l'autorité supérieure, l'administration municipale concourait à l'exécution des mesures de tout ordre que cette triste époque voyait édicter à chaque instant.

Elle réquisitionne deux chevaux sur lesquels les citoyens Ronze et Posson, du comité révolutionnaire, courront à la poursuite des Lyonnais fugitifs, sur la route de Genève (22 décembre).

Elle arrête que, en exécution d'un récent décret, un arbre vif sera planté sur la place du temple : "comme un monument simple destiné à transmettre à la postérité l'époque triomphante de notre régénération, à la chute honteuse du fanatisme et des scélérats qui ont persécuté les patriotes de cette commune".

Cet arbre devait être tiré du bois de Vouty, séquestré, en le payant à sa valeur (Ier février).

Sur la réquisition du citoyen Roux, membre du Comité de Salubrité, relative aux cadavres mal inhumés, la municipalité retient quatre terrassiers pour creuser des fosses profondes de cinq pieds, où seront déposés les corps actuellement enterrés à une moindre profondeur (24 février).

Un rapport du 28 janvier (9 pluviôse) présenté à l'administration départementale par les commissaires aux inhumations, donne les détails suivants sur les opérations relatives à l'inhumation des cadavres épars dans notre localité et ses alentours, à la suite des combats du siège :
Rillieux : 27 républicains (conventionnels) et 3 muscadins (lyonnais) y furent portés de l'hôpital ambulant, et inhumés à une profondeur moyenne. Depuis, ont été recouverts encore de terre par les soins de la municipalité.
Chemin de la Boucle (hors la porte Saint-Clair) : On n'a connaissance d'aucuns cadavres épars sur cette route, non plus que sur les balmes adjacentes.
Cuire-Caluire : 20 républicains, et 5 muscadins inhumés dans le cimetière à suffisante profondeur. 25 cadavres environ épars sur dix à douze points du territoire, dont plusieurs très mal inhumés. Ceux-ci ont été roulés dans des fosses plus profondes et recouverts de terre bien battue.
Hôpital ambulant des Bernardines (Monastère près des portes de la Croix-Rousse) : Un muscadin mal inhumé contre un mur du jardin. La fosse a été chargée en terre de déblais par le concierge.
Commune Chalier (ci-devant la Croix-Rousse) : 33 muscadins dans le cimetière, deux pieds de terre au plus par-dessus. Les fosses ont été chargées à la hauteur excessive de cinq pieds et demi. 75 environ étaient épars, ou entassés, sur divers points du territoire de la commune. Ils ont été exhumés et roulés dans des fosses plus profondes, ou traités au moyen de la chaux.

Le 14 février, le citoyen Laurencet achète pour 18 livres 15 sous de chaux destinée à l'inhumation des cadavres trouvés dans les jardins. Ce même jour, le citoyen Willermoz, membre du Comité de Salubrité, rembourse à la municipalité la somme de 113 livres pour cette inhumation.

Le 7 mars, il est payé à Pierre Piraud 65 livres pour prix de journées employées, avec quatre ouvriers, à l'inhumation des
cadavres trouvés sur divers points de la commune.

Le 26 février, la population est convoquée par le tambour, à 6 heures, sur la place du temple. Citoyens et citoyennes seront porteurs de pelles, pioches et corbeilles. Tous iront en corps aux Brotteaux, avec les membres du corps municipal, "pour travailler à élever la Montagne".

C'était vraisemblablement pour préparer la fête de l'Égalité, qui devait être célébrée en grande pompe le 10 mars (20 ventose). Elle eut lieu dans la plaine des Brotteaux, autour d'une statue colossale de l'Égalité érigée au sommet d'une montagne artificielle.

Notre municipalité avait, peu avant, alloué un secours de 300 livres à la veuve de Bernard Tissier. Son mari "sans-culotte habitant la Croix-Rousse" avait été fusillé par jugement du 30 août 1793, de la Commission militaire instituée à Lyon pendant le siège. D'après l'agent national, le motif en était que Tissier avait abandonné son domicile le 6 août pour servir dans l'armée de Kellermann. Il en faut déduire que, repris dans la ville, Bernard Tissier dut être tenu pour un espion des troupes assiégeantes.

Comme la caisse municipale était vide, les 300 livres furent empruntées au citoyen Sybille, trésorier de la Société populaire, sous promesse d'un remboursement dès que seraient rentrés les premiers fonds destinés au soulagement des indigents.

Le 3 avril, une somme de 1.200 livres était avancée à la veuve Bernard Tissier, pour se créer un commerce d'huile et de savon, somme qu'elle remboursera au fur et à mesure du débit des marchandises.

La municipalité arrête, le 23 mars, que les foires et marchés se tiendront sur la place du temple, savoir : les foires, le 18 germinal (7 avril), le 23 messidor (11 juillet), le 14 vendémiaire (5 octobre), le 21 nivôse (10 janvier) ; les marchés, la veille du décadi et la veille du quintidi.

Elle nomme le citoyen Chevelu commissaire au quartier de Serin, pour surveiller l'exécution du maximum, et tenir la main à ce que les cabarets soient fermés à 10 heures du soir.

A dater du 16 juin, la garde cessera le service de vingt-quatre heures. Seul et jusqu'à nouvel ordre, un piquet sera réuni de huit heures du soir à quatre heures du matin.

Dans la séance municipale du 1er juillet (13 messidor), l'agent national Doriel formule à l'endroit des bouchers de là commune, un réquisitoire basé sur les faits suivants :

Averti par la clameur publique que lesdits bouchers abattent des bestiaux sans faire au préalable la déclaration prescrite, et qu'ils en vendent clandestinement la viande au prix de vingt sous, Doriel passait devant la boutique du boucher Perraud. Il entendit des coups redoublés qui en provenaient. Interrogé sur la cause de ces coups, Perraud répondit que, ayant abattu un boeuf, il le bâtonnait pour en lever la peau avec plus de facilité. Sur l'observation qu'il avait négligé la déclaration préalable, le boucher allégua l'avoir oublié. L'agent national lui enjoignit alors de ne débiter la viande de ce boeuf que le lendemain, à six heures du matin, en présence du citoyen Sicard nommé commissaire à cet effet. Or, dès cinq heures, Perraud était surpris vendant cette viande.

Interpellés, les époux Perraud répondent qu'ils sont maîtres de leur marchandise, qu'ils l'ont achetée et payée, qu'ils n'ont point d'ordres à recevoir et que le maire leur a permis de vendre avant six heures,

D'autre part, l'agent national est instruit que lorsqu'un animal est abattu, et après en avoir découpé la viande, les bouchers en cachent les parties délicates qu'ils vendent vingt sous la livre, et ne débitent au maximum que les parties inférieures, comme les os, la tête, le col et les extrémités.

D'après les faits qui précèdent et faisant droit aux réquisitions de l'agent national, la municipalité statue que défense est faite aux bouchers de la commune d'abattre les bestiaux sans en avoir fait la déclaration au moins quatre heures à l'avance. Un commissaire sera présent à l'abattage et au débit de la viande au public. L'opération ne devra pas commencer avant l'heure fixée par l'administration, à peine de 500 livres d'amende.

Le 2 juillet (14 messidor) on avertit ceux qui ont été forcés de contribuer aux frais de l'armée départementale à l'époque du siège, de se présenter à la municipalité pour être indemnisés.

Le 23 juillet (5 thermidor), la municipalité demande à l'administration du district d'être autorisée à vendre, au prix du maximum aux cordonniers de la commune, 255 livres de cuirs de vaches confisqués sur le citoyen Dorien. Y seraient jointes trois douzaines de peaux de veaux à acquérir par la municipalité. Le tout afin de pourvoir les cordonniers d'un approvisionnement qui leur fait défaut, ce qui ne leur permet pas de fournir aux habitants des souliers dont ils manquent depuis longtemps.

Le District répond par un refus formel. Les cuirs en question, allègue-t-il, doivent, aux termes de la loi, être versés aux magasins militaires. Sans doute, les citoyens de la commune manquent de chaussures, mais il faut songer d'abord aux soldats qui en auront un pressant besoin à l'automne prochain.

Enfin, le 3 août (16 thermidor), considérant que les troubles de Paris peuvent influer sur notre commune, et suivant d'ailleurs l'exemple donné par les corps administratifs de Commune-Affranchie, le Conseil général décide de siéger en permanence. Un officier municipal et deux notables se tiendront dans la salle des séances où ils seront relevés, toutes les trois heures, par trois collègues, d'après un ordre de roulement établi à l'avance.

Ces troubles n'étaient autres que les événements politiques qui avaient amené la chute de Robespierre.

Un des derniers actes de notre municipalité a trait à une question de réjouissances scéniques.

Quelques jeunes gens des deux sexes avaient demandé au maire et à l'agent national, l'autorisation de continuer les représentations qu'ils donnaient, depuis trois décades, sur le théâtre établi dans la maison Chevassu. Cette autorisation leur fut refusée pour ce motif "que le malheur des temps et l' affreuse position où se trouve Commune-Affranchie et la commune Chalier, ne permettaient pas de songer à se divertir".

On passa outre néanmoins, et l'agent national survenant au cours d'une représentation, réunit les acteurs pour les déclarer responsables des incidents qui pourraient se produire.

Là-dessus, gros tapage à la séance municipale ! Le citoyen Brun interrompt l'agent national, le couvre d'injures, le traite de brouillon et lui reproche son intervention arbitraire au théâtre. Doriel riposte et requiert que Brun soit sommé de justifier des pouvoirs qu'il s'attribue pour permettre de jouer la comédie, et de provoquer des attroupements sans une permission de l'autorité communale.

Tout s'arrangea bientôt. Prenant en considération une pétition réclamant la faculté de jouer des pièces patriotiques sur le théâtre "du cy-devant Chevassu", la municipalité, d'une voix unanime et sans s'arrêter aux objections de l'agent national, accorde l'autorisation demandée. Elle se réservait seulement la police du théâtre, et laissait les pétitionnaires responsables des événements qui pourraient surgir, et des dégâts que pourraient causer les figurants (28 août-2 septembre).

CHAPITRE XVI
1793-1794 (suite)


Le culte de la Raison. - Les prêtres abdicataires. - L'église devient Temple de la Raison. - Inventaire des effets de la ci-devant fabrique. - Noms des saints remplacés. - Le culte de l'Etre-Suprême. - Inscription dédicatoire et célébration de la fête. - Les écoles. - Changement des maîtres et maîtresses. - Inventaire du mobilier scolaire. - Inspection et obligation scolaires.

La Convention avait décrété l'abolition du culte catholique et son remplacement par le culte de la Raison. Cet acte d'apostasie entraînera dans ses conséquences la chute de prêtres dont la force de conscience ne sera pas à la hauteur de ces circonstances terribles.

Le 17 décembre (27 frimaire), l'ex-augustin Vivant Cirlot déclare à la Municipalité qu'il a brûlé ses lettres de prêtrise, que depuis trois mois il n'a célébré la messe, et qu'il abdique toutes fonctions sacerdotales.

L'ex-religieux résidait à la Croix-Rousse depuis l'année 1754. Il avait antérieurement prêté le serment de Liberté-Égalité.

Les documents contemporains mentionnent encore, comme ayant abdiqué, les prêtres domiciliés à la Croix-Rousse dont les noms suivent :
PLAGNIARD (Charles), ci-devant curé de la Croix-Rousse où il est établi depuis l'année 1776. A cessé ses fonctions sacerdotales en novembre 1793. A prêté serment le 17 mars 1794 (27 ventôse). A déclaré que ses lettres de prêtrise lui ont été volées.

ENAY (Claude-François), ci-devant vicaire à la Croix-Rousse depuis le mois d'octobre 1791. A cessé ses fonctions sacerdotales au mois de novembre 1793. A prêté serment le 17 mars 1794 (27 ventôse). A livré ses lettres de prêtrise. On a vu plus haut le récit de son mariage. Il fut ensuite instituteur, fabricant en étoffes de soie, receveur municipal, etc.

LAURENT (Gaspard), ex-cordelier de l'Observance. A la Croix-Rousse depuis le 14 septembre 1790. Avait cessé ses fonctions sacerdotales le 10 juin précédent, étant encore au monastère, à cause de la faiblesse de sa vue, et ne les a plus reprises depuis. A prêté le serment devant la municipalité de Lyon, le 25 août 1792, et devant celle de la Croix-Rousse le 17 mars 1794 (27 ventôse). A livré ses lettres de prêtrise. Exerce la profession d'instituteur depuis la prestation de serment.

ROUGE (Georges), ex-bénéficier de Saint-Nizier. A la Croix-Rousse depuis l'année 1783. A prêté le serment de Liberté-Égalité devant la municipalité de la Croix-Rousse, le 30 août 1792. A cessé ses fonctions sacerdotales en 1793. A livré ses lettres de prêtrise et n'exerce aucune profession.

GROS (Gaspard), ex-récollet de la maison de Lyon. A la Croix-Rousse depuis le mois de juin 1794. A prêté devant la municipalité de Lyon le serment de Liberté-Égalité, le 29 août 1792,et a cessé depuis toutes fonctions sacerdotales et n'exerce aucune profession.

CHATENAY (Claude), ex-récollet de la maison de Lyon. Venu à la Croix-Rousse le 26 mars 1795. Avait cessé ses fonctions sacerdotales depuis le mois de novembre 1793, était à ce moment curé de Rillieux en Bresse. A prêté le serment devant la municipalité de cette commune le 23 mai et le 9 septembre 1792. N'exerce aucune profession.

Un tableau des prêtres abdicataires résidant à la Croix-Rousse en août 1795, mentionne en plus des noms qui précèdent, mais sans autres indications, ceux de :

FERROUILLAT (Jean-Baptiste), ex-bénédictin.

BONNOT (François-Jean-Baptiste) dit Mably, ex-antonin.

Puisque le culte de la Raison va, pour quelque temps, remplacer le culte catholique, les églises conséquemment changent de destination. Devenues temples de la Raison, elles serviront aux apothéoses de la divinité nouvelle et aux réunions des sociétés populaires. Les vociférations des sans-culottes y succédèront aux chants liturgiques, et la chaire chrétienne sera la tribune d'où partiront les excitations des coryphées du club.

A la Croix-Rousse, le peintre Maxime reçut mission de doter l'ex-église paroissiale d'un décor approprié à sa nouvelle consécration. Le mur du fond reçut un motif figurant une caverne, avec accessoires peints en rochers. Les murs latéraux furent ornés de peintures faisant suite aux premières.

Maxime était convenu, avec la municipalité, du prix de 1.400 livres pour l'exécution de ce travail. Il reçut, en deux fois, un accompte total de 800 livres. Deux ans après, il attendait encore le paiement du surplus.

Le 11 janvier 1794, les citoyens Prost et Tocanier sont chargés de dresser un inventaire des "ustensiles de la ci-devant fabrique" et des effets laissés à la charge de J.-B. Lacour par les anciens fabriciens. Les comptes de Lacour sont vérifiés par la municipalité le 7 avril suivant.

Le 22 janvier, la municipalité nomme le citoyen Sicard commissaire "pour faire la description des noms substitués à ceux des barbares saints dont les places, rues et chemins de cette commune étaient infestés".

Le 8 mai, les cordes du clocher sont pesées et versées, contre décharge, au dépôt de la ci-devant église Saint-Pierre.

Nouvel inventaire, le 20 mai, des effets de la sacristie et Fabrique qui appartiennent à la commune.

Voici que la Raison, à son tour, cède la place au culte de l'Etre-Suprême qu'a fait décréter Robespierre, et les temples vont, une fois de plus, changer de vocable.

Notre municipalité charge le peintre Brun du soin de tracer, sur le frontispice du temple, l'inscription : Le peuple français reconnaît l'Etre Suprême et l'immortalité de l'âme. Afin de faciliter la pose de cette inscription, on décida de combler en maçonnerie la niche qui abritait la statue de Saint-Augustin, mais en conservant les corniches inférieures (26 mai).

La fête de l'Etre-Suprême fut célébrée à la Croix-Rousse, comme partout, le 8 juin (17 prairial). Elle dut revêtir un certain apparat si nous en jugeons par les dispositions que la municipalité prescrivit en vue de cette cérémonie.

Les habitants orneront leurs fenêtres de banderolles tricolores et de festons de verdure ; les pères et mères amèneront leurs enfants "arrangés aussi proprement qu'il leur sera possible" ; les vétérans en tenue y assisteront. Une charrue et ses boeufs, avec tous les "ustensiles analogues à l'agriculture et aux arts", ainsi qu'un bateau, orneront le cortège. Un amphithéâtre sera dressé dans le quartier de Serin, un autre sur le quai Marat.

Le secrétaire Campagne est chargé de procurer "les cartons et guidons nécessaires" comme aussi les cahiers de chansons à
distribuer aux choristes, les frais restant à la charge de la municipalité. Deux musiciens qui avaient prêté à la fête le concours de leur art, reçurent chacun du maire une rétribution de cinq livres.

Que deviennent les écoles au cours de cette sombre période ? Voici les indications assez sommaires que nous fournissent les actes municipaux.

Dès le 8 novembre 1793, la municipalité remplace, dans leurs fonctions de maîtresses de l'école des filles, la veuve Chosson et la femme Giraud, taxées d'incivisme et de négligence, par les citoyennes Brochaud (Madeleine) et Paturel (Claudine). Ces dernières prêtent, entre les mains du maire, le serment prescrit par la loi.

Un inventaire est en même temps dressé du mobilier de l'école. Il comprend :
Neuf bancs et deux autres bois sapin. Neuf tableaux ou estampes. Un autel dans une encoignure. Un petit tapis de toile peinte. Un petit placard à deux portes. Une échelle. Un poële, ses couvertes et cornets tôle, et son grappin. Deux croix peintes en gris. Trois estampes. Un buffet à deux portes. Une table, un banc et un égouttoir bois sapin.

Par l'autorité des commissaires Jourdan et Maillot, le ci-devant curé Plagniard et le ci-devant vicaire Enay que l'abolition du culte laisse sans emploi, sont nommés instituteurs à l'école des garçons, avec un traitement provisoire de 1.200 livres. La municipalité devra leur fournir un logement et un local pour tenir leur école, plus le chauffage et tout ce qui leur sera nécessaire (25 novembre).

L'installation des nouveaux promus eut lieu, le 12 décembre, dans le local scolaire. Les maîtres en exercice, Dhumbert (Amédée) et Tur (Claude-Louis) cédèrent la place. Toutefois, comme Plagniard n'était pas présent, Dhumbert fut autorisé provisoirement à continuer son enseignement.

On dressa en même temps un inventaire du mobilier de l'école des garçons.

Dans une grande pièce prenant jour au levant et au couchant, s'est trouvé :
Un poële fer fondu, ses cornets tôle, un cendrier, un grappin, une pelle. Douze bancs de grandeurs différentes. Une grande table sur laquelle est une planche. Une caisse à charbons. Des hauteurs d'appui faisant le tour de ladite pièce. Une tribune. Un buffet a une porte et un autre à deux portes, le tout bois sapin. Dans lesdits buffets, se trouvent des livres appartenant aux enfants. Une table et deux grands fauteuils bois noyer. Une pendule dans sa caisse bois sapin. Deux rideaux de fenêtre toile cordat et deux tringles. Un petit baril contenant un peu d'encre. Un seau bois ferré. Une grosse sonnette avec ses cordons et ses fils de fer. Un abat-jour à lames à l'extérieur d'une des fenêtres.

Dans une petite chambre prenant jour au matin, il s'est trouvé :
Un buffet à deux portes bois peint en brun. Trois caisses garnies de jonc. Un tabouret. Un débris d'autel bois sapin.

Dans le grenier au-dessus, il s'est trouvé :
Quatre chandeliers, un Christ et un marchepied de bois.

Le 1er février 1794, les citoyens Tocanier et Bonivert sont délégués aux écoles publiques pour surveiller "l'instruction de la jeunesse". Ils se rendront aussi à l'Enfance pour inspecter l'école et vérifier les régistres.

Quatre jours après, les citoyens Noirel et Simon Boucharlat sont nommés commissaires surveillants pour les instituteurs et institutrices dans l'étendue de la commune.

Le 1er mars, la municipalité rappelle aux parents l'obligation édictée par la loi d'envoyer leurs enfants aux écoles primaires, sous peine de l'amende et de la perte des droits civiques. Cette injonction eut apparemment peu d'effet, car elle fut renouvelée le 20 septembre.

Le mobilier des écoles, on vient de le voir, comprenait quelques objets religieux que ces temps d'athéisme ne pouvaient y tolérer plus longtemps. Aussi, voyons-nous remettre à la municipalité : treize tableaux ou estampes, le marchepied de l'autel, deux chandeliers, un Christ, des chapelets et deux croix peintes en gris. Décharge en est donnée aux citoyennes Brochaud et femme Brun, le 20 juillet (2 thermidor).

Le traitement des instituteurs ne tarda pas à être ramené au chiffre annuel de 800 livres, ainsi que l'indique un mandat du traitement délivré à Enay le 5 juillet (17 messidor). Ce mandat porte l'attestation suivante du Comité révolutionnaire :
"Nous certifions et attestons que le citoyen Claude-François Enay est instituteur des écoles publiques de notre canton, qu'il a rempli jusqu'à ce jour avec zèle et exactitude les fonctions attachées à sa place, qu'il a instruit la jeunesse dans les principes républicains, et qu'il nous a toujours donné des preuves de civisme et de républicanisme.
"Henry Puy, président ; Ronze, Sigaud, Maigrot, Levrat secrétaire".

CHAPITRE XVII
1794-1795


La Révolution du 9 thermidor. - Municipalité nouvelle. - Régénération de la Société populaire. - Cérémonie commémorative du 29 mai. - La commune reprend son ancien nom. - Réorganisation de la garde nationale. - Suppression du comité révolutionnaire. - Fête sans-culottide. - Comité de secours. - Réorganisation de l'enseignement primaire. - La réaction thermidorienne. - Poursuites contre les terroristes. - Perquisitions et arrestations. - Les compagnons de Jéhu.

La révolution du 9 thermidor mettait fin au régime de la Terreur, la France respirait et bientôt une ère plus calme allait succéder à la tourmente.

Le 4 septembre 1794 (18 fructidor an II), les Représentants Reverchon et Laporte informés que l'influence des désorganisateurs qui ont pendant trop longtemps fait gémir sous l'oppression la masse du peuple de Commune-Affranchie, s'est fait sentir "dans la commune Chalier, ci-devant la Croix-Rousse", remplacent notre municipalité jacobine par une autre d'un caractère plus modéré. Sont donc nommés :

Maire : Burel fils, agriculteur.

Officiers municipaux : Moutier, agriculteur ; Boucharlat (Jean-Baptiste) Martin, trésorier de la Société populaire ; Mercier, agriculteur à la Boucle ; Renaud, libraire en Serin ; Escalle, agriculteur.

Agent national : Desgranges.

Notables : Noirel ; Tocanier, Thon, en Serin, Théoleyre, dessinateur Baudrand, ex-maire Chevrier, agriculteur Ferret, aubergiste et agriculteur Benoît Père, meunier Berger, agriculteur Mazet, agriculteur Guillot, agriculteur Coignet fils. Chevelu. Roussillon, géomètre.

Cette municipalité est installée par le citoyen Lecanu, agent national du District, qui reçoit, de chacun de ses membres, le serment de maintenir de tout son pouvoir la Liberté, l'Égalité, la République une, indivisible et démocratique, et de mourir en les défendant, comme encore de remplir en son honneur et conscience les fonctions qui lui sont confiées.

Ayant dû décliner la charge de maire à cause de son état de santé, Burel fils fut remplacé, un peu plus tard, par le citoyen Gonchon.

En renouvelant la municipalité, les Représentants prescrivaient aussi, et pour les mêmes motifs, la formation d'un noyau de citoyens chargés de procéder à la régénération de la Société populaire.

Notre municipalité est invitée à prendre part à la cérémonie célébrée aux Brotteaux, le 29 mai 1795, à la mémoire des "victimes immolées sous le régime de la tyrannie". On devait y distribuer les drapeaux destinés aux bataillons de la garde nationale.

C'est à cette époque que notre commune, délaissant le vocable de Chalier, reprit sa vieille appellation de la Croix-Rousse.

La Société populaire ayant réclamé, du Comité militaire de Lyon, la remise de cent piques pour le service des gardes et le maintien du bon ordre, notre municipalité déclare que trente fusils sont, en outre absolument nécessaires.

Quelques mois plus tard, le bataillon de la garde nationale réorganisé recevait avec apparat son commandant en second, le citoyen Valin (Jean-Clément). Le procès-verbal de cette cérémonie est inséré au régistre municipal, elle est caractéristique de l'esprit du temps :
"Les citoyens en armes des compagnies étant réunis sur la place d'armes de la commune, sur l'heure de onze et quart du matin, le citoyen commandant a fait battre deux bans, après quoi les maire, officiers municipaux et agent national revêtus de leur écharpe, le maire en avant et le citoyen Clément Valin à sa gauche, l'épée à la main, se sont présentés au centre du bataillon. Le citoyen maire lui a dit : jurez-vous fidélité à la Nation, haine à la royauté et obéissance aux lois de la République ? De suite, le citoyen Valin a répondu : Oui, je jure fidélité à la Nation, haine à la royauté et obéissance aux lois de la République.
"Le citoyen maire, après avoir fait battre un ban, s'est adressé au bataillon et lui a dit : Citoyens, au nom du peuple français vous reconnaîtrez provisoirement le citoyen Jean-Clément Valin pour votre commandant en second, au lieu et place du citoyen Lièvre, démissionnaire, et vous lui obéirez en tout ce qu'il vous commandera et ordonnera pour la sûreté des personnes, la garantie des propriétés et le service de la République. Le bataillon a répondu par acclamation. Le citoyen maire a donné à Valin l'accolade fraternelle, et aussitôt ce dernier s'est décoré des marques distinctives de son grade.
"Le serment ainsi prêté et reçu conformément à la loi du 28 prairial dernier sur l'organisation de la garde nationale, le bataillon a raccompagné la municipalité jusqu'en face de la maison commune, où elle s'en est séparée pour retourner à son poste.

En vertu d'un arrêté des Représentants Charlier et Pocholle du 13 septembre, le comité de surveillance révolutionnaire de la Croix-Rousse fut supprimé, et ses pouvoirs transférés à celui du canton de la Convention, à Lyon.

Le premier remit au second les papiers, objets et valeurs dont il était détenteur, et qu'énumère comme suit le procès-verbal :

1° - 6 régistres de délibérations, procès-verbaux, copie de lettres, passeports, etc.

2° - 2 régistres de notes journalières.

3° - 2 autres.

4° - 5 livres de cartes de sûreté.

5° - 1 paquets de 160 lettres.

6° - 150 procès-verbaux, minutes et expéditions.

7° - 29 pièces (mains-levées de scellés).

8° - 24 procès-verbaux d'arrestations.

9° - 2 paquets papiers divers.

10° - 8 tableaux ou états non signés de diverses notes et observations sur des particuliers.

11° - 4 paquets cire à cachets, etc.

12° - Divers petits objets de religieuses ; 3 ou 4 livres de chandelles.

13° - Pièces de mobilier appartenant à la municipalité et qui ont été remises.

14° - Clefs de maisons séquestrées.

15° - 3 mauvais fusils de chasse, 2 gibernes, etc.

16° - 3 écritoires, dont un à la municipalité, et les deux autres à la Société populaire qui lui ont été remis.

17° - 4 pompes fer blanc.

18° - 432 livres argent monnayé, une paire de grandes boucles et une paire de petites en argent, une grande tasse aussi en argent, plus 1.625 livres en assignats, une robe et sa jupe en soie, un tablier de coton, un tablier de taffetas noir, un mouchoir idem. Lesquels argent, argenterie, assignats et nippes, les membres du Comité ont dit provenir de chez le citoyen Jean-Baptiste George, fermier du domaine du citoyen Dufour (?), canton de Margnolles, comme le constate un procès-verbal du 17 pluviôse.

Lesdits ont aussi remis une somme de 3.130 livres en assignats, qu'ils ont déclaré provenir de chez Jean-François-Benoît Daret actuellement détenu.

19° - Un paquet papiers appartenant à Antoine Rostaing, détenu.

La célébration d'une fête sans-culottide, accompagnée du concours de trois tambours et d'un fifre, marqua dans notre commune le dernier jour de l'an II. Les débuts de l'an III virent célébrer, dans le temple, la fête de Jean-Jacques Rousseau.

Peu après, et sur l'invitation de la Commission des secours publics, notre municipalité nommait un comité de neuf membres chargé, en vertu de la loi du 26 floréal, d'évaluer les pertes éprouvées par les patriotes indigents au cours du siège. Il fut formé des citoyens :
Piquet père, ancien fabricant de bas. Pitiot, ancien fabricant d'étoffes de soie. Coignet Père, ancien fabricant d'étoffes de soie. Chevalier, rentier. Dupré, teneur de livres. Noirel, mécanicien. Soumis, maçon. Berthier, négociant. Bonamour, charpentier et pour suppléants Lenoir, ancien négociant. Solary, veloutier.

En ce même temps, une réorganisation de l'enseignement primaire s'opérait, et les instituteurs et institutrices de la Croix-Rousse étaient remplacés.

Le citoyen Perisse-Merville, membre du jury d'instruction publique à Lyon, nommait aux fonctions d'institutrices Anne Chausson, femme Giraud, et Barbe Buch-Buller, femme Martel, cette dernière native du canton de Berne, lesquelles étaient installées par le maire, après prestation du serment.

Les instituteurs nommés, mais à titre provisoire, furent Joseph Pitiot et Pierre Latreille, ce dernier très vraisemblablement l'ex-père augustin. Eux aussi furent installés par le maire dans le local des écoles, après inventaire du mobilier dont ils demeuraient chargés.

L'ex-institutrice Paturel, femme Brun, avait reçu de la municipalité, quelques mois auparavant, un certificat attestant "qu'elle avait bien mérité de la patrie et de la commune, dans l'éducation patriotique qu'elle avait donnée à ses élèves pendant tout le temps qu'elle avait rempli les fonctions d'institutrice".

Madeleine Brochaud (ou Brochot), l'autre ex-institutrice avait été gratifiée d'un certificat de civisme, ainsi que l'instituteur Amédée Dhumbert. Sur cette pièce, le comité révolutionnaire déclare que la personne de ce dernier n'est pas suspecte, et le corps municipal affirme qu'il professe depuis longtemps les sentiments d'un vrai républicain.

La chute de Robespierre avait eu cette conséquence de provoquer, au sein de la Convention, une volte-face de ses complices de la veille. Elle s'affirma par la révocation plus ou moins complète des agents du terrorisme, et l'adoption plus ou moins entière des mesures réparatrices qui levaient les séquestres et restituaient aux familles ce qui restait de leurs biens confisqués.

C'est donc maintenant au tour des terroristes de trembler et de viser à se soustraire aux coups de la réaction.

Dès le 19 janvier, l'ex-secrétaire du comité révolutionnaire, Maigrot, est en fuite. Il adresse à la municipalité un essai de justification :
"Je n'ai pas besoin de vous faire le tableau de ma conduite pendant mes fonctions publiques. Elle vous est connue de manière à ne rien craindre en ce moment menaçant et orageux...
"Malgré que tous les bons citoyens de cette commune m'ont reconnu par leur attestation... de ce que j'ai toujours été à leur égard, l'on m'avertit de fuir... Privé de tous secours, pauvre et désespéré, je pars au azard (sic) sans savoir où je vais... je pense que vous aurez la bonté de me réclamer comme un de vos concitoyens".

Six jours plus tard, Ronze, son ex-collègue, est mis en demeure, par l'agent national du district, de restituer la somme de 3.130 livres en assignats qu'il a gardée par devers lui. Cette somme appartient aux citoyens Daret et Lombard, maintenant libérés, mais que Ronze, de concert avec le maire Baudrand, avait fait arrêter sous prévention d'accaparement.

Un troisième séide, Sigaud, muni d'un passeport, s'est retiré avec sa femme chez un parent à Saint-Cyprien-sur-Anse. Mais ses agissements suspects le signalent bientôt à l'agent national qui le dénonce à la municipalité de la Croix-Rousse. Un ordre d'incarcération est lancé, Sigaud est enfermé dans la maison d'arrêt d'Anse. Il avait sur lui cinq lettres indiquant qu'il est fuyard et menacé d'être pris et conduit à Lyon.

Un quatrième qui, outre ses anciennes fonctions au comité révolutionnaire, était accusé de dilapidations, le citoyen Cloître, était détenu à la prison de Roanne. Il y est massacré, avec quarante autres jacobins, le 4 mai, par une foule en fureur.

C'est encore l'ex-officier municipal, Prost qui, réfugié à Bourgoin, adresse à la municipalité de la Croix-Rousse un mémoire justificatif dont voici l'analyse :
"J'ignore quels griefs on peut m'imputer. Lorsque j'étais en fonctions, j'ai fait tout mon possible pour rendre justice à tous et sauver ceux qui étaient sous le coup de la loi.
"Simon Boucharlat, Lacour son beau-frère, et Jean Gonon ex-capitaine de la garde nationale, peuvent témoigner des efforts que j'ai faits pour les sauver. Ce dernier dira que je fus le chercher dans les caves de l'Hôtel-de-Ville de Lyon, que je soumis sa cause devant les juges et obtint son élargissement. De même pour les citoyens Mercier, charpentier, et Soumis, maçon, que j'amenai dans le sein de leur famille. Martin, officier municipale actuel, dira aussi que, de concert avec Sibille et Noirel, nous allâmes, à onze heures du soir, le chercher à la Commission Temporaire et le rendîmes aux siens. De même, en usai-je à l'égard des citoyens Privat et Tocanier, et de plusieurs habitants de Margnolles, comme encore j'arrivai à faire tomber une fausse dénonciation portée contre le citoyen Léaurat. Enfin, tous affirmeront que j'ai signé toutes les réclamations, et mis tout l'empressement possible à tirer d'embarras les victimes des événements.
"On parle d'une lettre que j'aurais écrite au District. je n'ai jamais écrit en bien et en mal contre personne.
"La veuve Puy réclame 40 livres pour fourniture de chandelles dont je n'ai pas connaissance. D'ailleurs, si elle possède une réquisition en règle, elle n'avait qu'à la présenter et j'aurais établi un mandat de paiement. De même en ce qui concerne une livraison de charbons qu'elle prétend avoir fait à la commune.
"J'ai toujours - termine Prost - observé le respect dû aux lois, aux personnes et aux propriétés. J'adjure la municipalité de la Croix-Rousse d'aider à ma défense, et de prendre sous sa protection ma femme et mes enfants".

Tout précis qu'il fût, ce plaidoyer ne paraît pas avoir obtenu un plein succès. Prost fut arrêté, fin juillet, conduit à la maison d'arrêt de Roanne, puis traduit devant le tribunal du district sous prévention de faux dans son passeport, et de violation de la loi du 5 ventôse concernant les fonctionnaires publics destitués.

Une femme Cheval, rue Calas, absente depuis plusieurs mois, avait eu son mari incarcéré par les Lyonnais pendant le siège, et il était mort en prison. Aussi, l'opinion publique tenait-elle sa, veuve en suspicion d'un jacobinisme agissant. Elle ne se trompait pas. Une perquisition, opérée par la municipalité, fit découvrir, au domicile de la femme Cheval, de nombreux objets pillés chez les habitants de la commune au temps du terrorisme.

Sur la pétition de plusieurs citoyens, on désarme un certain Picard, cordonnier et ex-sergent de la garde nationale. La pétition rapporte que Picard "a toujours manifesté des sentiments contraires à la probité et que, du temps de la terreur, il était continuellement avec les membres du ci-devant comité révolutionnaire, et qu'il sollicitait l'arrestation de plusieurs citoyens".

C'est à qui se défendra d'un passé devenu compromettant.

François Nicou, entrepreneur de bâtiments, proteste contre des "insinuations malveillantes". Il obtient sa réintégration dans la garde nationale sur l'attestation de plusieurs habitants qu'il n'avait jamais été un agent du terrorisme, et qu'il ne partageait pas les opinions de son frère Benoît.

Mais le document le plus suggestif des sentiments de la population croix-roussienne à cette époque de violente réaction, c'est le procès-verbal de la visite domiciliaire opérée le 23 avril 1795 (4 floréal an III), en exécution de la loi du 21 germinal.

Très explicite, cette pièce présente un vivant aperçu de l'esprit publie qui régnait alors dans notre commune. Nous l'analyserons intégralement.

Donc, ledit jour du 4 floréal, la force armée, réunie entre trois et quatre heures du matin à la maison commune est divisée en dix escouades dont chacune reçoit l'indication des maisons qu'elle devra visiter.

L'état-major de la garde nationale s'est joint au corps municipal pour former un comité permanent pendant la durée de l'opération. Ce comité comprend les citoyens :

Niel, (Pierre) membre du comité de surveillance de Lyon. Gonchon, maire. Martin, officier municipal. Desgranges, agent national. Sarrasin, commandant en chef de la garde nationale. Lièvre, sous-commandant de la garde nationale. Martinon, adjudant. Delhorme, capitaine, Perroton, capitaine. Piquet neveu, capitaine. D'Aubigny, capitaine.

Au fur et à mesure des arrestations, les individus sont traduits devant le comité permanent. Celui-ci rédige, pour chacun d'eux, un rapport sommaire qu'il fait suivre, sous la rubrique Observations, des déclarations accusatrices formulées par la population :

1° CHALON (Fleury), tourneur à Lyon, rue Grenette, n° 84.
A représenté au Comité permanent un passeport délivré par la commune de Lyon, le 13 germinal an II, signé Bourchenu, officier municipal, et Pernon, secrétaire greffier, sous le n° 446 au dos duquel passeport de nombreux visas se terminent par celui de la commune de Chalon-sur-Saône, daté du 6 floréal. Il a aussi présenté une carte de sûreté datée du 12 prairial.

Observations :
"A peine y avait-il une heure que Chalon était arrêté, que la citoyenne veuve Personnas, demeurant à Lyon, s'est présentée en nous disant que ledit Chalon était l'auteur de la mort de son mary. Elle nous a représenté l'extrait de la dénonciation faite par ledit Fleury Chalon contre son mary, le 21 frimaire an II, ainsi que celui de son jugement de mort du 28 nivôse suivant, les deux extraits signés Parrein.
"S'est également présentée par-devant nous la citoyenne veuve Sarcey demeurant à Lyon, qui a accusé le citoyen Fleury Chalon d'être le dénonciateur et l'auteur de la mort de son mary.

2° DUCARD (Joseph), natif de Lhuis, district de Belley (Ain), âgé de 28 ans, soldat au 1er bataillon de l'Ain.
A exhibé : un billet de sortie de l'hôpital de Luxeuil, du 15 thermidor an II ; un billet de route délivré à Orgelet, le 28 thermidor suivant ; un certificat de l'officier de santé de Belley, du 26 nivôse an III.

Observations :
"Ce particulier a paru au Comité avoir été rangé dans la classe des déserteurs".

3° EMON (Pierre) natif de Leyrieu (?), district de la Tour-du-Pin (Isère), ouvrier en soie à Lyon, Grande-Côte, maison Gogelin n° 6.
A représenté : une carte de sûreté délivrée par la commune de Lyon, le 9 prairial an II ; l'expédition d'une procuration à lui passée, le 3 germinal dernier, par la citoyenne Michelle Emon, veuve de Benoît Sautemouche, qui demeure à la Croix-Rousse, rue de l'Enfer, n° 45.

Observations :
"Ce particulier nous a été désigné comme un terroriste et gardiateur chez le citoyen Carrier, négociant à Lyon, l'une des victimes lyonnaises".

4° ROULET (Claude), cordonnier à la Croix-Rousse, maison Laverrière n° 102, natif de Miribel, âgé de 29 ans.
N'a représenté aucun papier.

Observations :
"Il a été désigné comme un fameux terroriste, guide et espion contre les Lyonnais pendant le siège. Accusé d'avoir dénoncé le citoyen Thizay et d'avoir employé tout son crédit pour empêcher qu'il ne fut donné des passeports aux citoyens de Serin, et pour les faire arrêter".

5° MEYER (Françoise) femme de Benoît Gesse, ouvrier en soie, âgée de 37 ans, native de Cezerieux en Bugey, demeurant à la Croix-Rousse, maison Tripier, n° 39.
N'a représenté aucun papier. Il a été trouvé sur elle deux cartes avec des figures emblématiques, et une troisième portant l'adresse du citoyen Gesse aîné, tailleur de pierres à Porcieu, commune d'Amblagnieu, district de la Tour-du-Pin (Isère).

Observations :
"Benoît Gesse, son mary, est un jacobin outré, le premier des terroristes, meneur en chef, apôtre de la propagande. Cet homme s'était fait redouter dans toute la commune, et sa femme était invoquée par tous les habitants pour leur protectrice.
"Elle a su mettre à profit la protection qu'accordait son mary, et elle a mis à contribution un grand nombre de citoyens, parmi lesquels sont particulièrement la veuve Giraud et la veuve Saunier. Elle a tiré des maris de ces deux veuves, détenus dans les prisons de Roanne, de chacun la somme de 400 livres, et peu de jours avant leur mort, le citoyen Giraud, l'un d'eux-écrivit à sa femme, le 17 novembre 1793, le billet suivant : Mon épouse. En cas que l'on te mette dehors, tu feras demander à la citoyenne Gesse les 400 livres qu'elle est venu chercher vers moi en prison, en me promettant que son mari me ferait sortir. Elle était avec la Nanette, ancienne domestique du citoyen Latour. Roanne, ce 17 novembre 1793, signé : Giraud.
"Lorsque l'infâme Chalier voulait établir la guillotine permanente sur le pont Morand, aujourd'hui des Victoires (et qui serait mieux des Victimes), le citoyen Benoît Gesse avait été nommé un des juges, ou plutôt des bourreaux qui devaient assassiner leurs concitoyens.
"Sa femme participa à tous ses sentiments, et elle est en horreur à tous les habitants de la commune dont on eut beaucoup de peine à retenir l'indignation. Lorsque cette femme fut conduite à la maison d'arrêt, elle joua la désespérée, ce qui fit qu'on lui ôta son couteau, son étui et une clef, mais on ne toucha pas à son portefeuille où l'on prétend qu'il se trouvait beaucoup d'assignats, deux doubles louis et plusieurs écus de six francs".

En conséquence d'une réquisition du citoyen Charles Seriziat, chef de légion, commandant la garde nationale de Lyon, et d'après un arrêt du Comité de surveillance, les cinq individus susdits ont été remis, le même jour, entre les mains de Seriziat qui les a fait conduire à l'Hôtel-de-Ville de Lyon.

Cette perquisition amena, chez les individus suspects, une saisie d'armes qu'énumère le procès-verbal que voici :
La citoyenne Pommier : une petite bayonnette Jean Emery : un fusil de munition ;
Villoud un petit fusil ;
Sicard une épée cuivre doré à la poignée Chervolin : un sabre ;
Butin : un sabre ;
Antoine Puy : un fusil et un pistolet ;
Thomas Bon : Une bayonnette et un sabre Soulary : un couteau de chasse ;
Christian Berger : une épée et une pique ;
Gillet : un fusil de munition et un fusil de chasse ;
Hubert Pitiot : un tromblon, deux pistolets ;
Sigaud : deux fusils de chasse, un sabre et le ceinturon une poire à poudre ;
Parrayon : deux piques, une petite bayonnette, une giberne ;
Marié : un fusil de chasse ;
Joseph Brugnière : Un fusil, un sabre ;
Baudrand : un fusil, un pistolet ;
Veuve Sautemouche : Un moule à balles, les clefs d'un pistolet, une giberne ;
Burel cadet : trois baudriers, une giberne et un couteau de chasse ;
Joseph Baudrand : Un fusil de munition, une bayonnette et un fusil sans talon ;
Deborde : un sabre poignée d'acier ;
Jacqui : un fusil de chasse ;
Jurien : un fusil de chasse ;
Antoine Puy : onze boulets de quatre.

Quant aux fameux compagnons de Jéhu (ou Jésus) qui s'étaient assigné une mission de vengeances directes sur les anciens terroristes, trois meurtres paraissent devoir leur être imputés dans notre commune : celui de l'ex-municipal Spériolin, le 12 avril, et celui d'un homme et d'une femme dont l'abbé Guillon vit les cadavres étendus au sortir de la grand'rue du faubourg, du côté de la ville.

Un habitant de la Croix-Rousse, Hall ou Halt (Richard), natif de Manchester (Angleterre), découpeur de velours en coton, fut traduit plus tard, en 1798, devant le tribunal criminel du Puy, sous prévention d'avoir fait partie d'une compagnie de Jéhu. Mais, à l'unanimité, le jury déclara que si Hall avait appartenu à une de ces compagnies, c'était inconsciemment, et qu'il n'était pas prouvé que, en nivôse an V, Jean Jacqui ait été victime d'un vol de vingt-trois écus et autres effets. Ce dernier, officier municipal de la Croix-Rousse au temps de la Terreur, avait probablement accusé Hall de cette spoliation.

CHAPITRE XVIII
1794-1795 (suite)


Levées de séquestres et restitutions. - Nomenclature des bénéficiaires : familles des condamnés à mort, fugitifs, suspects et divers. - Restitutions d'armes. - La maison de l'Enfance. - Spoliation de la chapelle. - Aliénation de l'établissement.

La réaction thermidorienne, avons-nous dit, provoqua une série de mesures réparatrices, plus ou moins complètes, à l'égard des victimes du régime de sang qui venait de prendre fin. Les derniers mois de 1794 et l'année 1795 tout entière virent se succéder, dans notre commune, les levées de séquestres et les restitutions de biens.

La nomenclature de ces restitutions est des plus suggestives. Elle fait pressentir des spoliations dont la réparation, rarement intégrale, dépendait encore de formalités à remplir près de l'administration du district. On nous permettra d'énumérer, avec quelques détails, ces opérations qui présenteront "quelques particularités intéressantes pour notre histoire locale".

Condamnés à mort :

BURDEL - 24 juillet 1795 (6 thermidor). Le scellé national est levé sur la succession de Pierre Burdel "assassiné par les Robespierristes", en faveur de ses enfants mineurs, sous la tutelle du citoyen Avet.

GIRAUD - 28 décembre 1794 (8 nivôse). L'agent du district procède, en présence du citoyen Escalle, officier municipal, à la levée du scellé sur une commode, chez la veuve Giraud. Il constate que ce meuble renferme "quelques sacs contenant environ trois à quatre milliers de petits clous, estimés 25 livres, et quelques pitons estimés 1 livre, soit au total 26 livres".

L'agent déclare gravement, sur le procès-verbal, qu'il laisse le tout à la disposition de la veuve Giraud !

Le 19 juillet suivant, le scellé national est levé sur la succession de Louis Giraud en faveur de sa veuve, Jeanne Comte.

Puy (Pierre) - 28 octobre 1794 (6 brumaire). La veuve de Pierre Puy obtient, sur sa demande, la jouissance des ustensiles de commerce de son mari, et d'un jardin attenant à la maison, qui lui est nécessaire "pour la fabrication des chandelles". Enfin, le scellé national est remplacé par celui du juge de paix, le 2 juillet suivant.

CHEVASSU - 31 mars 1795 (11 germinal). La veuve Chevassu demande a être mise en possession des biens délaissés par son mari "mort victime de nos derniers décemvirs", sous l'offre de payer ses dettes montant à plus de 47.000 livres.

Le Conseil du district estime qu'il y a lieu de lui donner satisfaction, à charge par elle de payer les créanciers de la succession, et renvoie aux Représentants du peuple pour statuer définitivement.

Le 22 juin suivant, le scellé national est remplacé sur lesdits biens par celui du juge de paix. Le séquestre est enfin levé huit jours après.

GUINAT - 29 juin 1795 (11 messidor). La veuve Guinat voit substituer le scellé du juge de paix au scellé national sur les biens dé son défunt mari. Ces scellés sont définitivement levés le 9 juillet.

VOUTY - 27 février 1795 (9 ventôse). Un secours provisoire de 15.000 livres est alloué à "Vouty fils sur le produit de la vente du mobilier de son père supplicié, lequel produit avait été versé dans les caisses nationales. Ce secours était aussi à imputer sur les droits du taux de Mme Vouty mère".

Quelques jours plus tard, Vouty réclame la restitution de la partie encore disponible dudit mobilier comprenant : un lit, un secrétaire, une armoire, un bureau, des rideaux et autres effets à son usage ; ce qui reste des meubles non vendus, après estimation ; les cinq portraits déposés au District et qui sont ceux de ses père, mère, aïeule, grand-oncle ; les débris de sa bibliothèque qui se trouvent dans les archives de l'administration ; quinze cartes géographiques ; enfin, les cinq vases et obélisques en pétrification catalogués avec la bibliothèque et les cartes.

Le Conseil général du district arrête que remise sera faite au demandeur de la bibliothèque et autres objets, ainsi que des meubles, effets et linges reconnus comme lui appartenant. Pour le surplus, il est renvoyé à l'exécution de la loi du 13 ventôse.

Le 8 mars, on avait trouvé existant encore dans une dépendance de la maison Vouty, dite de la Belle-Allemande : onze tonneaux, trente-six plateaux et trois voitures. On fit poser une serrure au local en présence des citoyens Tocanier, notable, et Chaudy, agent des domaines nationaux.

Le 31 juillet, remise est faite à Vouty d'une navette en or et autres bijoux, provenant aussi de la succession de son père, et qui étaient en dépôt dans un des locaux de l'administration. Huit jours plus tard, Vouty rentrait en possession de divers objets mobiliers, linges et vêtements.

La levée du séquestre sur la succession de Dominique Vouty, en faveur de son fils, avait eu lieu le 9 juillet. Ce dernier, toutefois, était tenu de donner caution pour sûreté du paiement de la somme de 8.985 livres 5 sous 6 deniers due à la caisse du receveur des domaines nationaux pour la succession de son père.

Enfin, et sous réserve de l'homologation du Département, Vouty obtenait du District, le 15 novembre, la remise d'une somme de 28.209 livres pour frais de réparations aux maisons de son père.

Dès le 4 octobre 1794 (13 vendémiaire) Vouty fils avait obtenu de la municipalité un certificat déclarant que, depuis le commencement de la Révolution jusqu'au 2 août 1793, il a résidé chez son père comme fils de famille, ne faisant aucun commerce et n'ayant aucune propriété. En conséquence, il n'a point été inscrit aux rôles des contributions, mais son père seulement qui les a exactement payées.

PUY (Jacques) - 13 octobre 1795 (21 vendémiaire). Le scellé national est levé sur la succession de Jacques Puy "assassiné". Le 15 novembre, l'administration du district alloue, sous réserve de l'homologation du Département, une somme de 5.734 livres à la veuve Puy, pour remboursement de frais de réparations faites à la maison de son défunt mari.

Comme le document n'énonce aucun prénom, nous ne saurions dire formellement s'il s'agit ici de la veuve de Jacques ou de Pierre Puy.

VANNIER - 23 février 1795 (5 ventôse). Levée des scellés apposés sur les propriétés de feu Ferdinand Vannier.

COURAJOT - Dès le 16 novembre 1794 (26 brumaire), la veuve Courajot, chargée de quatre enfants, avait réclamé la jouissance des meubles et effets laissés par son infortuné mari, de la maison, qu'elle habitait avec lui plus une provision de 4.000 livres.

Le conseil du district arrête que les meubles et effets (les papiers exceptés) seront remis à la veuve Courajot, qu'il lui sera compté, à titre de secours provisoire, la somme de 4.000 livres à imputer sur ses droits dotaux, et qu'elle sera mise en jouissance de l'appartement qu'elle occupait avec son mari.

Le District lui allouait, plus tard et sous réserve de l'homologation du Département, une somme de 6.251 livres pour remboursement des frais de réparations aux maisons de son mari.

Le 23 avril 1795 (4 floréal) les citoyens Courajot frères réclament le payement d'une somme de 428.222 livres 10 sous, pour la valeur des marchandises enlevées de leur magasin "sous le règne de la tyrannie", plus, la remise en nature de 2.000 livres saisies à leur préjudice dans leur maison de l'Ile-Barbe.

Vu que les requérants ont été certainement dépouillés de leurs marchandises, mais qu'il n'est pas certain que ces dernières aient été employées au profit de la République, le Conseil général du district estime que le Gouvernement doit payer aux pétitionnaires la valeur de ces marchandises à titre d'indemnité, et les renvoie aux Représentants du peuple pour statuer définitivement.

Quant aux 2.000 louis, toute décision est ajournée jusqu'après le rapport de l'inventaire auquel il est procédé dans le domicile du nommé Perret.

Le 14 juillet, l'administration accède à l'offre des frères Courajot de faire amener en France des grains qu'ils ont achetés à l'étranger, moyennant la restitution qui leur sera faite d'une somme de 1.900 livres et trois demi louis d'or "préhendés à leur préjudice pendant le règne du terrorisme".

La levée du séquestre est du 25 février.

Les citoyens Pierre Courajot et Cie demandent, le 18 mars, la restitution de neuf ballots de soie séquestrés par les agents du comité révolutionnaire des rues Terraille et de la Convention. Avant de statuer, le Conseil de district arrête que les demandeurs rapporteront l'extrait de leurs livres énonciatifs des marques, numéros et poids des ballots réclamés, et qu'un procès-verbal descriptif en sera dressé.

Le 25 avril, Pierre Courajot est autorisé à retirer des magasins de la maison de commerce, sise rue de la Convention n° 131, divers effets qui lui appartiennent et qu'il y avait déposés pendant le siège, pour les soustraire à l'incendie.

Enfin, la levée du scellé national remplacé par celui du juge de paix, a lieu le 22 juin, dans les magasins de Pierre Courajot et fils.

SAVAAON - 7 avril 1795 (18 germinal). François-Gabriel Savaron demande à rentrer en possession des maisons de son père "mort judiciairement", maisons situées place de l'Égalité n° 17 à Lyon, et à la Croix-Rousse.

Le Conseil du district estime qu'il y a lieu de lui donner satisfaction provisoire, à charge de maintenir les baux que la République aurait pu passer sur ces immeubles, sous réserve de la décision des Représentants du peuple.

Deux semaines plus tard, et comme M. de Savaron est à la veille de récupérer ses propriétés dont l'une, celle de la place de l'Égalité, sert alors de caserne à la gendarmerie, l'administration arrête que des réparations seront exécutées d'urgence aux bâtiments des ci-devant Grands-Augustins pour y installer la gendarmerie en résidence à Lyon. Au 25 octobre, ce transport n'était pas encore opéré. Savaron réclama, et le citoyen Turin, architecte, fut chargé de rédiger un rapport sur l'état de la maison des Missionnaires de Saint-Joseph, aux fins d'y établir la gendarmerie.

M. de Savaron demande encore une indemnité pour deux maisons "démolies arbitrairement", l'une quai des Augustins, l'autre place Bellecour dont elle formait une des façades. L'administration désigne un architecte pour, d'accord avec celui du réclamant, fixer le taux de l'indemnité, d'après la valeur de ces immeubles en 1790 et le coût présent de leur reconstruction.

Enfin, le 10 septembre, M. de Savaron obtient la restitution de 85 livres, poids de marc, d'argenterie, 5 lingots aussi argenterie, pesant 245 marcs 3 onces, plus, des pièces or et argent monnayés, et différents bijoux enlevés de son domicile et déposés au bureau du ci-devant dépôt central de la monnaie. Toutefois, si ces objets n'y existent plus en nature, il lui en sera fait un remboursement suivant estimation par les commissaires de la Trésorerie nationale.

La levée du séquestre est du 20 août, après que M. de Savaron eut acquitté les droits de mutation sur la succession de son père. La mise sous scellés et séquestre des biens de M. de Savaron situés à la Croix-Rousse, avait eu lieu les 6 et 7 décembre (16 et 17 frimaire) par l'opération des citoyens Bruignan, Ronze et Levrat, membres du comité révolutionnaire.

NEYRAT - 16 mai 1795 (27 floréal). Le citoyen Antoine Neyrat, dont le domaine a été incendié, est autorisé par la municipalité et sur sa demande, à retirer une cuve et des pièces de bois qui lui appartiennent.

Fugitifs ou suspects :

FRÉMINVILLE - 24 septembre 1795 (4 vendémiaire). Remise est faite à Fréminville de 24 tableaux et 23 gravures lui appartenant et existant au dépôt des Arts.

GILIBERT - 16 mars 1795 (26 ventôse). Levée du séquestre sur sa propriété de la Carrette, au citoyen Emmanuel Gilibert, médecin qui est réintégré dans la jouissance de ladite.

Etat de la Carrette à ce moment : deux grandes maisons sans portes ni fenêtres, tous les barreaux de fer enlevés, sans aucun meuble. Le pavillon du jardin sans portes ni fenêtres. Tous les arbres du clos coupés et enlevés par arrêté du District de Lyon.

FÉLIX - 26 août 1795 (9 fructidor). La municipalité donne satisfaction à une pétition de Félix (André) réclamant la restitution d'objets enlevés dans sa maison "sous le régime de la Terreur", notamment un calice et une chasuble, une douzaine de couteaux à manche d'argent, un cheval, un quintal de blé enlevé par Philippe Baudrand, habitant de la commune.

Le même André Félix déclare, le 20 octobre, avoir retiré les douze couteaux, mentionnés ci-dessus, dans leur étui, plus un devant d'autel et un tabernacle doré.

VELAY - 12 janvier 1795 (23 nivôse). Main-levée, par le citoyen Mure, agent de l'administration du district, du séquestre sur le citoyen Velay, boucher à la Croix-Rousse. Il est réintégré dans la jouissance de ses propriétés.

Le domicile de Velay est ouvert en sa présence. On n'y trouve qu'une petite échelle, un tour et sa corde, un marchepied, un plot, un râtelier et l'agencement d'un comptoir en sapin.

Ledit Velay déclare alors qu'il lui manque le surplus des ustensiles de sa profession, ainsi que suifs, cuirs et laines. Il manque encore tout son mobilier, à l'exception de douze paires de draps de lit, quatre douzaines de serviettes, un tour de lit et et deux couvertures de lit indienne fond rouge et bleu, deux trumeaux de cheminée à tableau, quatre matelas, lesquels objets il enleva avant l'apposition du séquestre sur ses biens. Pour le surplus de ce qui lui manque, Velay se réserve d'en faire la réclamation devant qui de droit.

Le 10 février, restitution est faite à Ennemond Velay, sur sa demande et par la municipalité de la Croix-Rousse, d'effets lui appartenant et déposés, en divers endroits du temple, ci-devant église.

Le 3 avril, demande d'Ennemond Velay à l'effet d'obtenir : le payement d'une somme de 437 livres 7 sous, pour cuirs et suifs vendus à son préjudice ; la restitution de deux assignats, l'un de 200 livres, l'autre de 50 livres, qui lui ont été retenus par le comité révolutionnaire de la Croix-Rousse, ainsi qu'un arrêté de compte passé entre le pétitionnaire et la citoyenne Cotton-Collot.

Le Conseil du district arrête qu'il sera fait mandat, et autorise le pétitionnaire à retirer des mains de tout dépositaire les objets réclamés.

Divers :

ESPARON (Veuve). - 9 décembre 1795 (18 brumaire). Le District prononce, sous réserve de l'homologation du Département, la restitution à la veuve Esparon, née Caillat, d'une cloche, en remplacement de celle qui a été enlevée de son domicile après le siège, Cette restitution "fondée sur l'utilité publique ainsi que sur la justice".

Toutefois elle n'eut pas lieu à cette date, car la veuve Esparon réclamait encore ladite cloche le 20 février suivant. Comme la délibération municipale qu'invoquait la demanderesse ne mentionne ni le poids de la cloche, ni le nom de celui qui l'a enlevée, ni la date de l'opération, ni l'indication du dépôt qui l'avait reçue, la municipalité lut chargée d'effectuer à ce sujet toutes recherches utiles dans ses archives. Elle devait ensuite communiquer au District le résultat de ses investigations, avec son avis motivé, afin qu'une décision fût prise en connaissance de cause.

Le 24 avril 1808, le Gouvernement permet de faire dire la messe dans la chapelle dépendant du domaine de Saint-Pothin, appartenant à la dame Esparon.

NOLHAC - 6 septembre 1795 (20 fructidor). Le Directoire du district de Trévoux (Ain) déclare avoir rayé provisoirement de la liste des émigrés Jean-Mathieu-Marc-Antoine Nolhac, alors résidant à la Croix-Rousse. Cette radiation fut opérée sur le vu de deux certificats de résidence délivrés par notre municipalité à la date des 17 novembre 1794 et 4 juillet 1795 (27 brumaire et 16 messidor).

Néanmoins, l'administration du district de Trévoux demande à celle de la Croix-Rousse de lui faire parvenir les renseignements qu'elle possède sur ledit Nolhac, et ce en exécution de la loi du 5 brumaire sur les émigrés.

HOTEL-DIEU DE LYON - 27 mars 1795 (7 germinal). Un arrêté du Département rendu sur une pétition des administrateurs de l'Hôtel-Dieu, décide que le domaine de Montessuy, ci-devant audit hospice, est provisoirement excepté de l'aliénation des Domaines nationaux, pour être affecté au repos et séjour de convalescence "des citoyens et citoyennes voués dans l'hospice des malades de Lyon au soulagement de l'humanité".

Restitution d'armes :

BOULLON, serrurier. - 14 octobre 1795 (22 vendémiaire). Restitution par la municipalité d'un fusil de chasse enlevé à Boullon "pendant le règne de la Terreur et du brigandage".

CHEVALIER (Joseph), assesseur du juge de paix - 28 avril 1795 (9 floréal). Une épée d'acier poli, taillée à facettes, lui est restituée. Elle avait été saisie chez lui, avec d'autres objets, vers le 20 octobre 1793.

Voici les considérations formulées par la municipalité en opérant cette restitution : "Il importe de rendre à tous les citoyens les effets qui leur ont été enlevés dans un moment où l'on était comprimé par la terreur, et où les propriétés étaient impunément violées". La municipalité ajoutait ce considérant que le citoyen Chevalier a toujours joui de la réputation d'un excellent patriote.

Déjà, le 6 octobre 1794 (15 vendémiaire) la citoyenne Pierrette Henriette Chevalier, épouse de Joseph Chevalier, ayant intérêt à faire constater, par acte authentique, que son mari n'exerçait plus les fonctions de notable dans l'ancienne municipalité lors du siège, avait sollicité de la nouvelle administration une déclaration dans ce sens.

Elle l'obtint sur l'affirmation des témoins assignés.

L'un d'eux, l'ex-commissaire de surveillance Sigaud, certifia que, conduit par les "rebelles lyonnais" le 8 août, au début du siège, devant la municipalité de la Croix-Rousse, il n'y vit point le citoyen Chevalier. Un autre, Bruignan, déclara avoir vu la lettre de démission de Chevalier, et en avoir entendu lecture à la séance du 7 ou du 8 août. Un troisième, l'ex-maire Baudrand, renchérit encore en disant que Chevalier était dans des sentiments si contraires à la rébellion lyonnaise qu'il avait caché son domestique pour le soustraire à la réquisition des Lyonnais, et l'empêcher de porter les armes contre l'armée de la République. Tous s'accordèrent pour voir en Chevalier "un honnête homme, d'un caractère paisible et un bon citoyen".

GONCHON - 1er mai 1795 (12 floréal). Il lui est restitué une épée damasquinée or, qu'il avait remise de force, le 11 octobre 1793 à un citoyen julien "en sa qualité de dénonciateur, et pour le dédommager des frais qu'il prétendait avoir faits pour assurer la dénonciation".

Trois témoins affirment que, se trouvant chez Gonchon ce même jour du 11 octobre, ils virent arriver plusieurs officiers municipaux qui enlevèrent l'épée en question, son fourreau et son ceinturon, à la suite d'une recherche faite "avec le plus grand scandale" sur la dénonciation de Julien. C'est, du reste, dans les effets de ce dernier que l'épée avait été retrouvée.

Une spoliation des plus caractéristiques de ces temps désastreux, et qui ne parait pas, celle-là, avoir joui du bénéfice d'une réparation ultérieure, est celle de la maison de l'Enfance.

Un inventaire avait été dressé, le 28 octobre 1793, des objets que possédait ladite maison. Le 5 mars 1795 (15 ventôse an III), une commission formée du commissaire de police de Lyon, Philibert Germain, du citoyen Bine, officier ministériel près le tribunal du district, et du citoyen Escalle, officier municipal de la Croix-Rousse, se transporta à l'Enfance pour procéder au récolement de cet inventaire. Elle constata que rien ne manquait dans la maison proprement dite, et que même il s'y trouvait nombre d'objets non portés sur l'inventaire, entr'autres un grand alambic de cuivre rouge d'une valeur considérable.

Mais dans la chapelle, par contre, tout avait disparu, sauf une trentaine de chaises plus ou moins boiteuses. Interpellée sur cet état de choses, la directrice, Catherine Lamotte, chargée de la garde des objets inventoriés, fit la déclaration suivante, que nous reproduisons intégralement, d'après le procès-verbal du commissaire :
"Dans le temps où l'on dévasta les autres églises de la République, il se présenta à nos portes les citoyens Nicou, père et fils, et quelques-uns de leurs manoeuvres dont j'ignore le nom, avec le citoyen Berger qui était alors notable de la commune de la Croix-Rousse. Lesdits m'ont sommée, au nom de la loi et de la municipalité, à leur ouvrir les portes de la chapelle, ce que je fis à l'instant, et de suite entrèrent les quatre particuliers dans ladite chapelle dont ils descendirent les deux cloches qu'ils emportèrent.
"Bientôt, les mêmes individus sont revenus et ont derechef fait ouvrir, toujours au nom de la loi et de la municipalité. Ils ont alors ouvert le tabernacle et ont pris le ciboire et le calice, les ont mis dans leurs poches, ainsi que l'encensoir et sa navette qui était en arquemine (?), et qu'ils emportèrent, avec la lampe et son tabouret, quatre chandeliers laiton, le crucifix en bois, les tapis et nappes d'autel, trois devants d'autel, quatre chasubles blanche, rouge, violette et noire, trois surplis, cinq nappes qui étaient dans une armoire, huit aubes, onze rideaux tant pour couvrir l'autel que les tableaux, cinq tableaux, quatre serviettes, environ trente purificatoires, douze amicts, douze lavabos, qui sont tous les articles contenus dans l'inventaire de la chapelle.
"Le surlendemain, ils sont revenus une troisième fois, toujours au même titre, c'est-à-dire au nom de la loi, se sont fait rouvrir les portes de la chapelle et ont enlevé toutes les barrières et grillages en fer, ainsi que les barreaux de fer et les grillages des vitraux, et enfin toutes les ferrures happées aux murs de ladite chapelle.
"Au sortir de la chapelle, ils se sont portés dans le vignoble où ils ont arraché et pris une grande tonne d'environ 70 à 80 pieds de longueur, le tout en bandes de fer carrées ou plates, ainsi que toutes les épaillères sur trois rangs qui faisaient le tour du vignoble, et ont emporté tous les articles mentionnés ci-dessus, sans en avoir fait le moindre reçu ni présenté aucuns pouvoirs".

Questionné à son tour, l'homme de peine, Girard, déclara qu'il avait été témoin de l'enlèvement des fers et des cloches, mais non des linges, des cuivres et de l'argenterie, dont il avait seulement entendu parler par quelques-unes des personnes alors domiciliées dans la maison.

A la suite de ces constatations, l'agent national de la Croix-Rousse fut requis de décerner un mandat d'amener contre les dilapidateurs de la chapelle de l'Enfance.

Au cours de cette enquête, la directrice fit une déclaration qui montre à nu les procédés arbitraires de certains administrateurs jacobins. De son autorité privée, le citoyen Thonion, membre du District, avait installé dans la maison de l'Enfance un nommé Boulade.

Interrogée pourquoi, et à quel titre, elle et son mari occupaient un appartement, la femme Boulade répondit que Thonion, alors qu'il était fonctionnaire, en avait concédé l'usage à son mari pour prendre l'air et lui faire du bien, Elle ajouta qu'elle avait en outre l'usage d'une cave où elle possède une bareille de cent pots de vin rouge. Toutefois, les effets mobiliers contenus dans l'appartement n'étaient pas tous la propriété de l'Enfance, car la femme Boulade y avait apporté quelques effets de literie et de cuisine qui lui étaient personnels.

Le 22 juin 1793, on avait enjoint aux parents des malheureux déments traités à l'Enfance, de les retirer de la maison qui devait être louée au profit de la Nation.

En août suivant, la directrice, Mlle Cotton, recevait du receveur des Domaines, par l'ordre du District, la somme de 300 livres pour subvenir aux dépenses journalières. Elle était autorisée, en outre, à traiter avec les parents des malades dont elle était chargée, soit pour les retirer, soit pour payer une pension proportionnée aux circonstances et à la cherté des denrées.

Le 21 octobre 1795, la directrice, veuve Fagot, réclame des avances et secours pour l'entretien de l'établissement. Le mois suivant, le Directoire du district émet l'avis qu'il y a lieu de lui accorder la jouissance des trois clos affermés par la Nation, et de lui faire compter de suite, vu ses pressants besoins, une somme de 8.000 livres, sous réserve de l'approbation du Représentant Poulain-Grandprey.

Enfin, le vieil établissement cessa d'exister par la vente du domaine de l'Enfance, comme bien national, ordonnée par l'administration centrale.

Elle eut lieu les 30 juillet, 3 et 5 août 1796 (12, 16 et 18 thermidor an IV). Les acquéreurs furent les sieurs Piégay, Dubouchet et Laubreau, pour la somme totale de 70.450 francs.

La municipalité de la Croix-Rousse fut chargée de la vente aux enchères du mobilier de la maison où restaient encore quelques femmes en démence. Elle eut lieu le 25 novembre (5 frimaire).

Congédiée par le nouvel acquéreur Laubreau, la directrice alors en fonctions, veuve Fagot, réclama le remboursement de la somme de 4.919 livres 8 sous 8 deniers qui lui était due, tant pour les avances qu'elle avait faites que pour ses appointements et ceux des serviteurs de la maison. L'administration centrale renvoya sa demande à la municipalité de la Croix-Rousse. Celle-ci, après enquête, répondit que l'énormité de la dépréciation des assignats était la seule cause de l'appauvrissement de l'encaisse de l'administration de l'Enfance.

CHAPITRE XIX
1795 à 1707


Le Directoire. - Nouvelle municipalité. - Nomination du juge de paix. - Vérification des comptes du receveur municipal. - Protestation contre l'annexion à la ville de Lyon. - Agence de secours. - Claude Berthelot, commissaire du Directoire exécutif. - Inventaire de la bibliothèque des anciens Augustins. - Rétablissement du culte. - Réunion de Cuire à Caluire. - Municipalité cantonale. - Logement de troupes. - Protestation relative à la maison de l'Enfance.

Le Directoire avait succédé à la Convention et, de par la Constitution de l'an III, les électeurs de la Croix-Rousse procédaient, le 1er novembre 1795 (10 brumaire an IV), à la nomination d'une municipalité nouvelle.

Elle fut formée de :
Gonchon (Joseph), rentier Escalle (Jean-François), rentier Martin (Antoine), rentier Boucharlat (Jean-Baptiste) Mercier (François), ex-officier municipal.

Gonchon fut élu président de cette municipalité.

Le même jour, eut aussi lieu la nomination du citoyen Sybille (Antoine) aux fonctions de juge de paix avec, pour assesseurs, les citoyens De la Poix de Fréminville père (Edme-Claude) ; Chevalier (Joseph) ; Pitiot (Joseph) et Alhumbert (Joseph).

Un des premiers soins de l'administration nouvelle fut, comme d'ordinaire, de vérifier les comptes du receveur municipal.

Ce fonctionnaire, Gabriel Regnault, ayant présenté ses régistres et pièces justificatives, il fut constaté que la recette, formée de 17 articles, se montait à 24.752 livres 12 sous 9 deniers, et la dépense, formée de 120 articles, à 23.312 livres 3 sous 8 deniers, soit un reliquat de 1.440 livres 9 sous 1 denier. Tout fut reconnu exact.

Un des derniers actes de l'ancienne municipalité avait été de défendre l'autonomie communale menacée. Le cri public annonçait que l'administration départementale songeait à annexer la Croix-Rousse à la ville de Lyon.

En séance du 21 octobre (9 brumaire), la municipalité déclara que l'annexion projetée porterait un préjudice considérable aux citoyens de cette commune, sans profit pour celle de Lyon. Les citoyens Regnault et Escalle furent délégués au Département pour lui faire part de cette protestation.

Le 17 juin 1796 (29 prairial an IV), notre municipalité s'associe à celle de la division du Midi, canton de Lyon, pour établir une agence de secours pour le soulagement des indigents.

Le 13 août (26 thermidor), le citoyen Bonaventure Morel, forcé par des motifs impérieux, donne avec regrets sa démission de commissaire du Directoire exécutif près la municipalité du canton de la Croix-Rousse.

Il est remplacé par Claude Berthelot, rentier, qui est installé le 21 décembre.

Le 9 décembre (19 frimaire), Nicolas Jolyclerc, commissaire bibliographe, dresse l'inventaire sommaire suivant de la bibliothèque des anciens Augustins de la Croix-Rousse. Déjà, le 1er septembre 1795, le citoyen Lacoste avait obtenu de l'administration du district, l'autorisation de faire transporter au dépôt général du Muséum ces volumes qui étaient épars sous un toit où ils pourrissaient sous l'action de la pluie :

1° Neuf volumes de pièces diplomatiques, actes notariés, recueils de factures et de pièces, statuts de l'ordre de Malte, etc., lesquels ont été envoyés de suite au citoyen Guigoud, secrétaire géné-ral du Département, pour être, d'après son récépissé, versés aux archives départementales ;

2° Huit volumes incomplets de l'histoire ancienne et romaine de Rollin ;

3° Les oeuvres d'Aristote, grecques et latines, imp. à Paris en 1639 ;

4° L'histoire ecclésiastique de Fleury, 38 volumes in-4° ;

5° L'histoire de la Bible, par Dom Calmet, 26 vol. in-4° ;

6° L'histoire de l'Église gallicane, 14 vol. in-4° ;

7° Les oeuvres d'Albert le Grand, in f° ;

8° Les oeuvres de Gallien, un vol. in f° ;

9° ( Rien n'y est indiqué) ;

10° Histoire universelle d'Aubigné, 2 vol. in-f° ;

11° Commentaire sur le songe de Scipion, un volume ;

12° Médecine de Fernelius, un vol. in-f° ;

13° Senecoe opera, un vol. in-f° ;

14° Cosmographie universelle, un vol. in-f° ;

15° Epicure de Gassendi, un vol. in-f° ;

16° Gemmarurn fodina, un vol. in-f° ;

17° Dictionnaire des Drogues, un vol. in-4° ;

18° Description de l'Univers, Allain Manesson Mallet, 4 vol. ;

19° OEuvres de Descartes, 6 vol. ;

20° Le grand dispensaire médicinal ;

21° Médecine de Fernelius ;

22° Histoire de la guerre de Candie, un vol. ;

23° La Somme de Saint Thomas, édition d'Helzévir ;

24° Dictionnaire des trois langues, un vol. ;

25° Titi Livii historiae, ann. 1521, à Lyon ;

26° Antiquités romaines de Muret.

Plus 1.800 volumes environ d'ouvrages dépareillés ou mal assortis, tous peu intéressants ou même d'une inutilité reconnue. Ils ne consistent qu'en livres de théologie, en mauvaises éditions des Saints Pères, en sermonnaires peu recherchés, en méditations chrétiennes.

La quantité en est estimée comme suit 800 volumes in-8° ou in-12 ; 200 volumes in-4° ; 400 volumes in-f°, etc.

Décharge est donnée du tout aux officiers municipaux de la Croix-Rousse, dont l'agent national avait, du reste, déclaré l'année précédente n'avoir jamais eu en sa possession la clef de cette bibliothèque.

L'accalmie relative qu'avait amenée la chute de Robespierre aidait au réveil du sentiment religieux que semblait, d'ailleurs,
encourager la loi du 11 prairial sur la liberté des cultes.

Déjà, un avis au District, du 11 mars 1795 (21 ventôse), l'informait que les citoyens de notre commune ne s'assemblaient plus au temple les jours de décade. Sur la fin de l'année 1796, ils réclamèrent l'usage, qui leur fut concédé, de l'église pour y exercer le culte.

Le citoyen prêtre Garnier (Jean) fut préposé au ministère religieux constitutionnel de la Croix-Rousse, et prit son logement, le 7 janvier 1797, dans une chambre de la maison commune.

A ce moment, un groupe d'habitants adresse à la municipalité la requête suivante, à l'effet d'obtenir l'usage de la chapelle de Notre-Dame des Sept-Douleurs, toujours chère à la piété croix-roussienne :
"Aux président et officiers municipaux de la Croix-Rousse.
"Les citoyens soussignés, jaloux de jouir de toute l'extensité (sic) de la loi sur la liberté des cultes, vous exposent, Messieurs, qu'ils désireraient obtenir l'ouverture de la chapelle de Notre-Dame de Sept Douleurs, afin de faciliter la piété des personnes qui y ont confiance. Ils osent espérer de votre amour pour la paix et l'union, que vous voudrez bien accueillir avec intérêt l'objet de leur demande.
"A la Croix-Rousse, ce 6 janvier 1797.
"Garnier prêtre, Pommet, Cazot, Poisat, Jean-Louis Debilly, Bourdeau, Prudhomme, Sibille fils, Luizac, Richardoine, Laurencet, Louis Rivoire, Gourpe, Baudran, Boucharlat, Fontanel, Jean-Marie, Jean Janton, Lacour aîné, Lenoir (?) (plus deux signatures illisibles)".

Cette requête reçoit satisfaction ainsi qu'il suit :
"Les président et officiers municipaux : Considérant que la loi du 11 prairial an III (30 mai 1795) enjoint les (sic) administrateurs municipaux de faciliter l'exercice du culte. Vû que la chapelle dont il est question a existé depuis l'Église, et qu'elle fut murée pendant la terreur, estiment qu'il est de droit que le peuple jouisse de ladite chapelle comme il en a joui précédemment pour satisfaire à leur (sic) piété.
"En conséquence, les décombres du mur qui bouche ladite chapelle seront transportés aux endroits qui seront indiqués par la municipalité.
"Fait en administration, le 1er pluviôse an cinq de la République française (20 janvier 1797).
"Gonchon, président, Martin, Escalle, officiers municipaux Berthelot aîné, commissaire du Directoire exécutif".

Avec l'année 1797, reparaissent les contestations nées des velléités séparatistes que la section de Cuire n'avait cessé de montrer depuis les débuts de la Révolution.

Au cours du siège de 1793, Cuire avait été réuni à Caluire par un arrêté des Représentants Dubois-Crancé et Gauthier, mais cet arrêté n'avait jamais reçu l'approbation de l'autorité supérieure. D'après le président Gonchon, les habitants de Cuire avaient sollicité ce rattachement afin de n'être pas enveloppés dans la proscription des Lyonnais.

Qu'elle fut légale ou non, l'annexion dont il s'agit n'avait jamais empêché l'administration croix-roussienne de comprendre sur ses rôles les contribuables de Cuire sans que ceux-ci s'en plai-gnissent. Le conflit s'éleva lors de l'ouverture des rôles d'impositions pour l'an V. Caluire prétendit alors que Cuire devait payer aux mains de son percepteur. L'administration centrale du Département donna raison à la municipalité de la Croix-Rousse.

Mais le voeu des habitants de Cuire va recevoir sa réalisation.

Le 15 mai (26 floréal), le Conseil des Cinq-Cents statue que le hameau de Cuire sera réuni à la commune de Caluire. Celle-ci est en même temps distraite du canton de Saint-Cyr et réunie à celui de la Croix-Rousse. Cette décision est aussitôt ratifiée par le Conseil des Anciens et, dès le lendemain, le Directoire exécutif la promulgue comme loi de l'État. Le 15 juin, elle est publiée, au son du tambour, dans les rues du canton.

Désormais, l'agglomération de la Croix-Rousse, avec les faubourgs de Serin et de Saint-Clair, formera seule la personnalité communale.

Le 15 mars (25 ventôse), Joseph Gonchon avait donné sa démission de président de la municipalité, qu'il motivait par son grand âge et ses infirmités. Il déclara rester attaché à ses collègues par un sentiment de reconnaissance, et ceux-ci de leur côté proclament que, depuis deux ans environ qu'il a exercé la charge de maire ou de président, Gonchon l'a remplie avec toute l'équité qu'exige "le devoir d'un bon citoyen".

On tira en même temps au sort les noms des deux officiers municipaux qui, aux termes de l'article 185 (titre VIII) de la Constitution, devaient cesser leurs fonctions. Ce furent ceux des citoyens Martin et Mercier qui sortirent de l'urne. Ils eurent pour successeurs, Morel (Pierre) et Fontanel (François). Mercier fut réélu et Morel remplaça comme président le citoyen Gonchon.

Caluire fut représenté dans la municipalité cantonale par Rognon (Claude-Philippe) son agent, et Lagrange (Jean-Baptiste) son deuxième adjoint.

Le général Canuel, commandant la place de Lyon, ayant demandé à la municipalité de la Croix-Rousse de loger 600 hommes de troupes dans son canton, celle-ci proteste auprès de l'administration centrale.

L'exposé qu'elle présente à l'appui de son refus, révèle la situation de ses commettants sous un jour si expressif que nous n'hésitons pas à le reproduire en entier :
"L'administration municipale espérait que dans le temps où on nous a annoncé une paix depuis longtemps désirée, et où la ville de Lyon, jouit de la plus grande tranquillité par le bon ordre que les autorités constituées y font observer, on ne chercherait pas à la surcharger d'un plus grand nombre de troupes qui deviennent absolument inutiles.
"Vous connaissez, citoyens, les malheurs que les habitants de la Croix-Rousse ont éprouvés par l'effet du siège de la ville de Lyon, et par ses suites qui n'ont pas été moins désastreuses.
"Nos maisons détruites par les bombes et les boulets partant tant de la ville que du camp des assiégeants, ainsi que par les flammes, le pillage du mobilier après le siège, et les réquisitions faites des matelas des habitants pour garnir les casernes : tous ces malheurs ont réduit les habitants du canton dans la plus grande pénurie.
"Les pertes que les habitants ont souffertes leur ont ôté les moyens de réparer leurs maisons et de remplacer les meubles et effets qui leur ont été enlevés, en sorte qu'à peine la plus grande partie a-t-elle pu se procurer les meubles et effets les plus indispensables pour leur ménage. D'autre part, la démolition d'une grande partie des maisons de la ville ayant rendu les loyers très rares et très chers, les ouvriers qui les habitaient se sont jetés sur les faubourgs et les communes voisines. Les habitants de cette commune qui y possèdent des maisons ont profité de cette circonstance pour tirer parti de leur possession. Ils ont loué à ces ouvriers les appartements qui leur devenaient inutiles et qu'ils ne pouvaient pas habiter eux-mêmes faute de meubles pour les garnir, et ceux réduits à ce qu'exige nécessairement leurs familles. Les ouvriers qui sont venus occuper les appartements que les propriétaires leur ont cédés et ont partagé avec eux, n'ont eux-mêmes que ce qui est absolument nécessaire à leur logement et leur atelier, en sorte qu'il est bien difficile aux uns, et aux autres de fournir des logements à des troupes sans se déloger eux-mêmes.
"Quant aux autres habitants du canton, ce sont des cultivateurs et des laboureurs qui n'ont de logement que ce qui est absolument nécessaire pour leur habitation, celle de leurs familles et de leurs domestiques, surtout dans un temps où ils sont obligés d'être tous les jours aux champs pour les travaux de la campagne qui pressent dans ce moment, et auxquels ils ne pourront pas vaquer sans abandonner leurs maisons aux troupes qu'ils seront obligés de loger.
"L'administration de la Croix-Rousse observe encore que le canton de la Croix-Rousse n'est composé que de deux communes, la Croix-Rousse et Caluire, que la commune de la Croix-Rousse est déjà chargée dans le quartier de Serin des officiers de la cavalerie, et que si le canton est forcé de loger des troupes, il sera nécessaire d'en placer au moins un tiers dans la commune de Caluire.
"Pour toutes ces raisons, l'administration municipale prie l'administration centrale d'avoir égard aux pertes que le canton a éprouvées et à la malheureuse situation de ses habitants, et qu'elle voudra bien les dispenser du logement" (16 juin - 28 prairial).

L'exemption de logement fut-elle accordée ? C'est probable, car nous ne voyons pas cette question revenir dans les délibérations municipales avant le 15 septembre suivant.

Mais, à cette date, une colonne de 2.500 hommes devait arriver à Lyon. Comme les casernes étaient dépourvues des effets nécessaires au couchage de ces troupes, et qu'il n'y avait aucuns fonds disponibles pour faire des avances à la compagnie chargée de l'entretien des lits militaires, la population - celle de la Croix-Rousse comprise - fut mise en demeure de réunir immédiatement la somme d'argent indispensable pour l'achat d'un matériel de couchage, si elle ne voulait loger d'office les nouveaux arrivants.

Il fallut s'exécuter. On ouvrit donc, dans les sections de la Croix-Rousse et de Caluire, des souscriptions qui produisirent une somme totale de 1.601 livres 2 sous, laquelle fut immédiatement employée à l'achat de 92 paires et demie de draps de lit qui furent versés dans la caserne de Lyon, le 14 décembre.

Dans sa sollicitude pour le bien public, notre municipalité n'oublia point l'établissement qui, à la Croix-Rousse, avait rendu tant de services aux malheureux déments, c'est-à-dire la maison de l'Enfance que nous avons vu plus haut aliéner comme bien national.

Dans la séance du 19 juillet (1er thermidor), un membre fait l'historique de cet asile et des événements qui ont accompagné sa suppression :
"Depuis plus de soixante ans, existait à la Croix-Rousse, par les bienfaits des citoyens de cette commune et des habitants de la ville de Lyon, un hôpital (apte) à recevoir cinquante personnes du sexe dont l'esprit est aliéné, pour les séparer de la Société qu'elles peuvent troubler par leur démence.
"Cette maison, depuis son établissement jusqu'au moment de la Révolution, a été régie à la satisfaction du public par trente administrateurs, tous séculiers. Cette maison où étaient soignées et nourries les femmes en démence, tant riches que pauvres, est la seule de cette espèce dans la partie méridionale de la France. Elle avait été dotée, par les bienfaits des citoyens, de différents fonds et maisons situés dans cette commune, indépendamment de plusieurs rentes constituées et hypothéquées sur les biens des Petites-Ecoles, sans que l'État y eût contribué en rien.
"A l'époque de la Révolution, les autorités constituées de la Ville de Lyon et du district ayant cru que cet établissement pouvait être regardé comme un bien du clergé séculier ou régulier, s'étaient emparées de tous les titres relatifs à ses propriétés et à ses revenus, avaient fait administrer cette maison par des femmes choisies par le District, et avaient affermé les fonds dont ils avaient fait percevoir les loyers par le receveur du district :
"Mais la Convention Nationale, par son décret du 2 brumaire an IV (24 octobre 1795), ayant rendu aux hôpitaux et hospices de bienfaisance les biens qui leurs appartenaient, l'administration départementale du Rhône prit un arrêté, le 24 frimaire (15 décembre), par lequel elle nomma, pour administrer cette maison de la même manière que sont gouvernés les hôpitaux de Lyon, les citoyens Gabriel Reynault et Pierre Morel.
"Ces administrateurs étant entrés en possession, perçurent le prix des baux qui leur avaient été remis, et se proposaient d'y rétablir l'ordre qu'avait détruit l'anarchie. Mais les administrateurs du Département, choisis par le peuple, ayant été destitués, ceux qui furent substitués à leur place ne donnèrent pas le temps d'opérer le bien dont cet établissement était susceptible. Ils se firent une loi de détruire ce qu'avaient fait leurs prédécesseurs. Ils firent vendre les biens de l'hospice à l'insu des administrateurs de la maison et sans les y appeler, et les malheureuses victimes qui se trouvaient dans cet hospice en furent inhumainement chassées ; quelques-unes furent renfermées à Bicêtre. Le Département fit aussi vendre une partie du mobilier, et enlever le reste dont il a disposé à sa volonté. Ces ventes ont été faites au mépris des formes ordinaires et contre le voeu des lois de l'Assemblée et même contre l'arrêté du Département lui-même".

Le même orateur rappelle la loi du 16 vendémiaire an IV (8 octobre 1795), qui porte, à son article premier, que les administrations municipales auront la surveillance immédiate des hospices civils établis dans leur arrondissement. Cette loi impose donc à la municipalité de la Croix-Rousse l'obligation de veiller à l'exécution de celles qui ont rendu à l'hospice de l'Enfance les biens qui lui appartenaient.

Cet appel fut entendu, et la municipalité décida qu'elle présen-terait à l'administration centrale du Rhône, conjointement avec les administrateurs de l'hospice de l'Enfance, une pétition pour réclamer l'exécution des lois qui rendent à cet hospice les biens qui lui ont appartenu, et faire prononcer la nullité des ventes qui ont été faites des biens immeubles et du mobilier de l'hospice".

En outre des lois citées plus haut, la pétition s'appuyait encore :
1° sur un acte de notoriété donné par le juge de paix de la Croix-Rousse, le 16 août 1796 (29 thermidor an IV), à une attestation formulée par vingt citoyens de la commune, que la maison de l'Enfance a toujours été regardée comme un hospice de bienfaisance, qu'elle a été de tout temps régie par des administrateurs séculiers, qu'ils estiment que cet établissement est de la plus grande utilité, tant pour les malades que pour la Société en général ;

2° sur ce considérant que l'hospice de l'Enfance est un établissement utile et nécessaire, non seulement pour la commune et la ville de Lyon, mais encore pour toutes les parties méridionales de la France où il n'existe aucun établissement de cette espèce.

CHAPITRE XX
1797 à 1800


Le 18 fructidor. - Le serment de Haine à la royauté. - Renouvellement partiel de la municipalité. - Réclamation des instituteurs et institutrices. - L'état de siège. - Visite domiciliaire. - Le calendrier républicain. - Les fêtes décadaires. - Nouvelle municipalité. - L'assassinat des plénipotentiaires français au congrès de Rastadt. - L'impôt foncier Pouy 1799. - Les réfractaires. - Refus de fournitures militaires. - Pénurie administrative. - Le 18 brumaire. - Nouveau serment. - Faits particuliers. - La constitution de l'an VIII. - Municipalité communale.

Nous voici au coup d'Etat du 18 fructidor (4 septembre) par lequel la fraction jacobine du gouvernement, usant de la violence et des proscriptions, imposa sa domination par la force et rouvrit une ère d'oppression qu'on a qualifiée à bon droit de seconde Terreur.

Une adresse avait été placardée dans la nuit, sous le nom du député Camille Jordan, aux citoyens du département, et relative aux circonstances du coup d'État. Les exemplaires affichés à la Croix-Rousse furent arrachés par l'ordre du président Morel, pour ce motif qu'ils pourraient donner lieu à quelques troubles.

Les nouveaux maîtres se hâtèrent de décréter l'obligation, pour les prêtres en exercice, de prêter un nouveau serment dit de Haine à la royauté.

A la Croix-Rousse, le ministre du culte catholique, Jean Garnier, déféra à cette prescription. En présence de la municipalité, il justifia de sa soumission aux lois de la Républiques antérieures à celle du 19 fructidor. Puis, se conformant aux injonctions de l'article 25 de cette dernière, il prononça, le 6 octobre (15 vendémiaire), le serment de haine à la royauté et à l'anarchie. d'attachement à la République et à la constitution de l'an III.

Trois semaines plus tard et bien qu'ils n'exercent aucun culte, Jean-François Enay, ex-vicaire, Vivant Cirlot, ex-augustin, Gaspard Laurent, ex-cordelier, Georges Rouge, ex-bénédictin, Claude Chatenay, ex-récollet et ex-curé constitutionnel de Rillieux, tous résidant à la Croix-Rousse, prêtent aussi le même serment.

La loi du 19 fructidor prescrivait encore un renouvellement partiel des municipalités en vertu duquel les citoyens Morel, président, Fontanel et Mercier, officiers municipaux, Lagrange, adjoint à Caluire, furent remplacés par les citoyens Fréminville (Edme-Claude) père, Martin (Antoine) père, Lenoir (Jean) et Nugues (Jean) comme adjoint à Caluire.

L'installation des nouveaux promus eut lieu le 21 septembre (5e jour complémentaire de l'an V).

Martin fut élu président de l'administration cantonale.

Au même temps, le commissaire du pouvoir exécutif près cette même administration, Berthelot, ayant dû abandonner momentanément sa charge pour cause d'affaiblissement de la vue, fut remplacé, à titre provisoire, par le citoyen Lenoir. Mais, obligé bientôt à une démission qui laissait la fonction vacante, elle fut définitivement dévolue au citoyen Gonchon, ex-négociant et propriétaire.

Le 17 novembre (27 brumaire), la municipalité reçut les pétitions par lesquelles les citoyens et citoyennes Gaspard Laurent, Gaspard Richard, Jeanne-Marie Pupier, Philibert Gors, Marie Piavoux, Françoise Ferteau, Françoise Courant, Angélique Perrin, veuve Chevassu et Marie Garin, tous instituteurs et institutrices de la commune, réclamaient contre leur inscription sur la liste des assujettis aux droits de patente. Elle y accéda, en déclarant que c'était par erreur que les susdits avaient été inscrits, attendu que les lois n'ont point soumis les instituteurs et institutrices à l'impôt en question. Ceci pour leur laisser toute l'aisance possible de prodiguer leurs soins pour l'instruction de la jeunesse de l'un et l'autre sexe.

Par une conséquence de l'attentat illégal perpétré le fructidor, le Directoire avait déclaré, le 2 février 1798 (14 pluviôse an VI), Lyon et ses faubourgs en état de siège, et commis le général Rey à l'exécution de cet ordre.

Réunis le 11 février (23 pluviôse), les administrateurs municipaux du canton de la Croix-Rousse reçurent un pli cacheté qu'ils ne devaient ouvrir qu'à 4 heures du matin. Ce pli contenait les instructions de l'autorité centrale du Département relatives aux mesures à prendre pour assurer, dans la commune, la mise en vigueur du nouveau régime.

Ces mesures consistaient d'abord dans la proclamation officielle, sur les places publiques, de l'arrêté du Directoire, puis dans le concours à donner, par la municipalité, à une visite domiciliaire que le chef de bataillon Prost devait exécuter le jour même.

Prost avait pour mission de faire arrêter tous individus suspects d'émigration, prêtres, déserteurs, réquisitionnaires, voleurs ou assassins, et tout étranger non pourvu d'un passeport régulier.

D'après le procès-verbal de la municipalité, cette perquisition aboutit à l'arrestation de plusieurs particuliers soupçonnés être de la réquisition ou du vol".

Les citoyens durent livrer leurs armes, et le commandant déclare, le 6 mars (16 ventôse), avoir versé dans le magasin d'artillerie de Lyon, 50 fusils et 21 bayonnettes provenant du désarmement opéré à la Croix-Rousse.

Un arrêté du Directoire du 3 avril (14 germinal) prescrivait l'emploi strict du seul calendrier républicain. Notre municipalité eut hâte de s'y conformer en décidant de tenir désormais ses séances les quintidis et décadis de chaque décade.

Le 6 février précédent, elle assurait l'administration centrale de sa surveillance active à appliquer la loi du 19 fructidor sur les prêtres déportés, celle du 7 vendémiaire sur la police extérieure des cultes, et enfin à tout ce qui peut intéresser le sort de la République".

Puis donnant cours à sa haine contre l'ancien culte, le Directoire lui substitua les fêtes décadaires, ou commémoratives, dont il ordonnait la célébration dans toutes les communes de la République.

Nous donnons ici, tout d'un trait, d'après les procès-verbaux de la municipalité, un narré de ces fêtes telles qu'elles se succédèrent à la Croix-Rousse :

FÊTE DES ÉPOUX
10 floréal (29 avril)

Les président et officiers municipaux, accompagnés de plusieurs époux, et escortés par la 7e compagnie de la 74e demi-brigade, en garnison dans la commune, se sont rendus en cortège vers l'arbre de la Liberté.

Là, il a été fait lecture : 1° du programme du Directoire ; 2° d'un discours du président analogue à l'objet de la fête.

Puis, il a été distribué des couronnes civiques, conformément à l'arrêté du Directoire, après quoi le cortège est retourné dans la salle municipale où il a été recommandé aux Epoux d'observer la tranquillité dans le jour et le respect aux lois.

FÊTE DE LA RECONNAISSANCE
10 prairial (29 mai)

Un cortège formé de la municipalité, des instituteurs et institutrices, savoir les citoyens Richard, veuve Chevassu, Gors, Laurent, la citoyenne Pupier, accompagnés de leurs élèves, du juge de paix et ses assesseurs, s'est rendu, escorté de la 7e compagnie de la 74e demi-brigade, commandée par le capitaine Hector, sur la place de la Liberté.

Là, le président de la municipalité a fait un discours qui a été suivi des cris de : Vive la République ! Il a invité les personnes qui savent chanter à se livrer à des chants d'allégresse et de reconnaissance.

Le cortège est ensuite revenu à la maison commune, où il a été de nouveau recommandé aux assistants de ne rien oublier pour exciter la vertu de la Reconnaissance.

FÊTE DE L'AGRICULTURE
10 messidor (28 juin)

Un cortège formé comme à la précédente fête, et comprenant en outre plusieurs militaires blessés et des agriculteurs du canton, s'est rendu vers l'arbre de la Liberté où le juge de paix a prononcé un discours analogue à la fête, discours suivi des cris de : Vive la République ! Vive la Liberté !

Après quoi, le cortège est revenu à la maison commune.

COMMÉMORATION DE LA PRISE DE LA BASTILLE
26 messidor (14 juillet)

Le même cortège que précédemment s'est rendu vers l'arbre de la Liberté où un discours a été prononcé. I1 a été ensuite donné lecture de la lettre du général Grillon, commandant la commune de Lyon, portant invitation aux corps constitués, et à tous autres citoyens, d'assister à la fête militaire qui aura lieu aux Brotteaux, ce même jour, à 5 heures et demie du soir.

Après quoi, le cortège est revenu à la maison commune, au milieu des cris de : Vive la République !

COMMÉMORATION DE LA LIBERTÉ
9 thermidor (27 juillet)

Le même cortège que précédemment s'est rendu vers l'arbre de la Liberté.

Il y a été fait lecture de l'arrêté du Bureau central de Lyon, puis, le juge de paix a prononcé le discours d'usage suivi des cris de Vivent la République et la Liberté !

Au retour du cortège à la maison commune, les mêmes cris se faisaient entendre de toutes parts.

COMMÉMORATION DE LA DESTRUCTION DU TRÔNE
23 thermidor (10 août)

(Comme pour la fête du 9 thermidor)

FETE DE LA VIEILLESSE
10 fructidor (27 août)

(Comme pour la fête du 9 thermidor)

COMMÉMORATION DE LA JOURNÉE DU 18 FRUCTIDOR
18 fructidor (4 septembre)

(Comme pour la fête du 9 thermidor)

COMMÉMORATION DE LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE
1er vendémiaire (22 septembre)

Le cortège s'est rendu vers l'arbre de la Liberté où lecture a été faite des droits et devoirs de l'homme et du citoyen, ainsi que de l'article 1er de l'acte constitutionnel de l'an III.

Cette lecture a été suivie d'un discours prononcé par le citoyen Enay, greffier de la justice de paix, sur la nécessité et les avantages de l'union, sous le rapport de l'intérêt public et particulier, discours couvert d'applaudissements et des cris de : Vive la République !

Après quoi, le cortège est rentré à la maison commune.

COMMÉMORATION DU TRIOMPHE DU PEUPLE FRANÇAIS
2 pluviôse (21 janvier)

Dans l'assemblée extraordinairement tenue dans le lieu de la réunion des citoyens du canton de la Croix-Rousse, au Temple décadaire, se sont trouvés : les citoyens Riche, président, Escalle, Mercier, Fréminville, Lenoir, officiers municipaux, Gonchon, commissaire du Directoire exécutif, Lecomte, lieutenant commandant la place de la Croix-Rousse, Leclerc et Bassereau, notaires, Lagrange notaire et percepteur, Puy, notaire et assesseur du juge de paix, Nesme, premier assesseur faisant par intérim les fonctions de juge, Chazette, Ferraud, aussi assesseurs du juge de paix, Rognon, agent municipal à Caluire, Jean Nugues, son adjoint, Barignat, huissier près le Tribunal de paix, Enay, greffier du tribunal et percepteur, Lacour, concierge de l'administration municipale, et le secrétaire greffier, les instituteurs et institutrices, aux fins de célébrer l'anniversaire de la juste punition du dernier roi des Français.

Il a été fait lecture d'un discours analogue à cet anniversaire, et qui s'est terminé par les cris de : Vive la République ! Après quoi, le président de l'administration a prêté le serment de haine à la royauté et à l'anarchie, et d'attachement à la République et à la constitution de l'an III. Ce serment a été répété par les assistants au milieu des cris de : Vivent la Liberté et l'Égalité !

Le cortège a chanté ensuite plusieurs hymnes républicains en se rendant auprès de l'arbre de la Liberté pour son inauguration. Au pied de l'arbre a été exécuté l'hymne à la Patrie.

COMMÉMORATION DE LA SOUVERAINETÉ DU PEUPLE
30 ventôse (20 mars)

Le cortège s'est formé dans le corridor de la maison commune d'où, accompagné de la force armée sous le commandement de Sirguey, lieutenant à la 105e demi-brigade, il s'est rendu au temple décadaire.

Un groupe de quatre élèves portaient le livre de la Constitution de l'an III ; quatre autres portaient des fanions où étaient écrites, sur carton, des devises ayant trait à la célébration de la fête. Il a été fait lecture des actes et décrets de l'administration et du Gouvernement, lecture couverte par les cris de : Vivent la République et la Constitution ! Des chants ont été exécutés. Invitation a été faite aux citoyens d'illuminer leurs fenêtres à la nuit tombante.

FÊTE DE LA JEUNESSE
10 germinal (30 mars)

Le cortège s'est rendu sur la place de la Liberté où un discours a été prononcé au pied de l'arbre.

De retour à la maison commune, on a rappelé à la jeunesse présente que cette fête ne s'adressait qu'à des jeunes républicains laborieux, vertueux, amis des lois, et qu'ils devaient se livrer en ce jour à la plus vive allégresse.

Le tout terminé par des cris de : Vive la République ! Enfin lecture a été faite du Bulletin décadaire.

La célébration officielle de ces fêtes se poursuivit jusqu'à la chute du Directoire. On conçoit que leur cérémonial dépourvu de tout idéal, et leur banalité fastidieuse ne contribuèrent pas à intéresser les populations à ces exhibitions, toujours les mêmes.

Le 20 avril 1799 (1er floréal an VII), une nouvelle administration cantonale est installée et prête le serment de fidélité à la constitution de l'an III.

Elle se compose des citoyens Ravina (Raymond), président Mercier (François), officier municipal Lenoir (Jean), officier municipal ; Fontanel (François), officier municipal Escalle (Jean-François), officier municipal Rognon, agent municipal. ; Gonchon, commissaire du Directoire exécutif Roussillon, secrétaire greffier.

L'assassinat des plénipotentiaires français au congrès de Rastadt (28 avril) excita dans tout le pays l'horreur et l'indignation. Une loi prescrivit que, dans toutes les communes, une fête funéraire serait célébrée à la mémoire des citoyens Bonnier et Roberjot morts victimes de la perfidie autrichienne. Elle eut lieu chez nous le 8 juin (20 prairial).

Le cortège ordinaire formé du corps municipal, du commandant militaire, de la justice de paix et des écoles. se réunit au Temple décadaire.

On y apposa un tableau, portant, en gros caractères, la formule de flétrissure du crime. On entendit la lecture des lettres des ministres de l'intérieur et de la justice, de l'administration centrale du Département, etc. Le tout se termina par des acclamations et des cris de vengeance.

Voici le tableau des charges afférentes à l'impôt foncier pour l'année 1799, en ce qui concerne le canton de la Croix-Rousse :
En principal : 20. 600 fr.
2 1/2 centimes pour le fonds de supplément : 515 fr.
5 centimes par franc pour le fonds commun : 3. 605 fr.
10 centimes par franc pour les dépenses départ : 2. 060 fr.

Total : 24.205 fr.

Contingent de Cuire-la-Croix-Rousse :
En principal : 14.557 fr.
2 ½ centimes pour le fonds de supplément : 363 fr.
92 ½ 5 centimes par franc pour le fonds commun : 4.731 fr.
10 centimes par franc pour les dépenses départementales : 1.455 70 fr.
15 centimes par franc pour les dépenses municipales : 2.183 55 fr.

Total : 19.288 fr.

Contingent de Caluire
En principal : 6.043 fr.
2 1/2 centimes pour le fonds de supplément : 151 fr. 07
½ 5 centimes pour le fonds commun : 1.963 fr. 97
½ 10 centimes pour les dépenses dép. : 604 30 fr.
15 cent. pour les dépenses municip. : 906 45 fr.

Total : 8. 006 fr. 97

Le canton devait fournir un contingent de 41 conscrits, soit 26 pour la Croix-Rousse et 15 pour Caluire.

Le percepteur de la Croix-Rousse eut ordre d'affecter une somme de 910 francs, en acompte sur le montant de la contribution personnelle et mobilière, pour l'équipement des 26 appelés de la commune.

Mais, comme sur les 41 conscrits, 8 seulement se présentèrent (6 autres étaient présumés enrôlés dans différents corps de troupes), la municipalité arrêta que les habitants chez qui logeraient les réfractaires, devront fournir à leur endroit tous renseignements utiles, et que les parents desdits réfractaires seront requis de justifier de leur présence à l'armée, ou d'indiquer leurs demeures dans les vingt-quatre heures, sous peine d'être considérés comme émigrés et traités comme tels.

Voici que les réquisitions recommencent.

Un arrêté de l'administration centrale du département (12 août - 25 thermidor) prescrit aux communes et aux particuliers en état de le faire, de fournir des matelas, draps et couvertures pour compléter le casernement des conscrits réunis à Villefranche.

Notre municipalité réplique en rappelant d'abord le versement des draps de lits qu'elle a effectué moins de deux ans auparavant. Puis, considérant que la Croix-Rousse n'a cessé d'avoir une garnison, qu'elle est absolument dépourvue d'objets de literie depuis que beaucoup de négociants n'y habitent plus, et que si, d'ailleurs, les autres communes avaient autant qu'elle contribué aux charges militaires, les fournitures nécessaires ne manqueraient pas, nos administrateurs demandant au Directoire d'exempter de cette réquisition le canton de la Croix-Rousse.

Il faut croire que l'opulence ne régnait pas chez nous à cette époque, car, arrêtant son compte financier annuel, l'administration cantonale constate qu'il présente un déficit de 1.634 francs 8 centimes. Elle demande donc au Département de lui ouvrir un crédit d'égale somme vu la grande misère où sont réduits les employés à l'administration, et le dénuement de l'administration elle-même qui ne peut rien se procurer, n'ayant ni chauffage, ni papier, ni encre, ni plumes, ni régistres. C'était vraiment le comble de l'indigence.

Mais une nouvelle révolution surgit Le général Bonaparte renverse le gouvernement directorial (18 brumaire - 9 novembre), et, dissimulant mal la dictature du héros du jour, le régime consulaire entre en scène.

Le nouveau gouvernement est proclamé, à son de caisse, sur les places de la Croix-Rousse, le 17 novembre.

Douze jours après, la municipalité, les notaires, huissiers et assesseurs, les employés de l'administration, le citoyen Batureau, capitaine à la 30e demi-brigade, commandant le faubourg encore en état de siège, prêtent le nouveau serment : je jure d'être fidèle à la République, une et indivisible, fondée sur l'égalité, la liberté et le système représentatif.

Enfin la constitution de l'an VIII est solennellement proclamée dans notre canton le 24 décembre (3 nivôse).

Avant de poursuivre notre récit, nous mentionnerons une série de faits qui complèteront l'historique de notre liberté au cours de cette année 1799.

1er mai (12 floréal). La municipalité reçoit la déclaration suivante du général Seriziat :
"Déclaration du citoyen Charles Seriziat, général de brigade, natif de Lyon, âgé de 42 ans, domicilié dans la commune de la Croix-Rousse, quartier de Serin, n° 113, portant qu'il a servi dans Custine-Dragons et dans Béarn-Infanterie.
"A commandé le 1er bataillon du département du Rhône à l'époque de sa formation, en septembre 1791. Fait adjudant-général et a servi comme tel à l'armée de la Moselle à la fin de 1792, sous les ordres du général Bournonville.
"Promu général de brigade, le 1er février 1793, sous le ministère de Pache. A servi comme tel sous les ordres de Custine à l'armée du Rhin ; sous ceux de Kellermann à l'armée des Alpes, et sous ceux de Moncey à l'armée des Pyrénées-Occidentales.
"Fut compris dans la réforme de l'État-Major de cette dernière armée à l'époque de la paix avec l'Espagne. Depuis est resté dans sa famille où il attend les ordres du gouvernement".

La municipalité répond que le citoyen Seriziat est dans le cas prévu à l'article 25 de l'instruction ministérielle sur la loi du 28 germinal an VII, et que sa déclaration sera envoyée au général commandant la 19e division militaire à Lyon.

18 mai (29 floréal). Vu la pétition de la citoyenne veuve Virieu et vérification faite des régistres, l'administration municipale du canton de la Croix-Rousse déclare et atteste que François Henry Virieu a fait et signé sa déclaration de domicile et de résidence en cette commune, sur le régistre de la police, à la date du 20 août 1792 (vieux style) ; qu'il a été inscrit sur le régistre de la garde nationale et porté au rôle de la contribution mobilière de la dite année 1792. Elle atteste de plus qu'il est de notoriété publique que, le 9 octobre 1793, François Henry Virieu, ayant quitté la commune avec un grand nombre de citoyens qui cherchaient à éviter l'armée qui assiégeait Lyon, ne put aller que jusqu'à la montée de Saint-Cyr où il a été tué.

Que, le lendemain, 10 octobre, les Représentants Dubois-Crancé et Gauthier annoncèrent cette mort par leurs correspondances officielles et imprimées. Qu'il n'est parvenu à l'administration aucun indice qui puisse contredire la notoriété du décès, et que l'on a toujours vu la citoyenne Digeon remplir ses devoirs de veuve, de mère et de tutrice.

5 juillet (17 messidor). Par décret de Padministtation centrale du département de l'Ain du 17 juin (29 prairial), le citoyen Chapuis, bibliothécaire à l'école centrale de Bourg, est autorisé à faire lever les scellés apposés dans un appartement de la veuve Chevassu, où se trouvent des livres enlevés du dépôt de Montluel par le citoyen Paire, secrétaire de la municipalité dudit lieu.

9 juillet (21 messidor). D'après un rapport du juge de paix, Etienne Gillard, affaneur, et Michel Gonin garçon tripier, descendus la veille dans la fosse d'aisances de la maison Nesme n° 9, pour y faire recherche d'une montre qui y était tombée, y sont restés, morts asphyxiés. Gillard laisse sa femme relevée de couches, avec cinq enfants dont l'aîné n'a pas sept ans, d'où une grande misère.

En conséquence, le citoyen Escalle est commis à l'effet de procéder à une quête en faveur de la veuve Gillard.

Défense est faite désormais aux propriétaires de laisser lever la pierre des latrines de leurs maisons sans une autorisation municipale.

28 août (11 fructidor). Adjudication du bail de réparations à faire à la toiture des ci-devant bâtiments claustraux des Augustins, dont la dépense est évaluée à la somme de 888 francs 85 centimes. Y compris 150 francs pour frais imprévus.

Le citoyen Anne Mazet, entrepreneur à la Croix-Rousse, est déclaré adjudicataire pour la somme de 485 francs.

10 octobre (10 vendémiaire). Célébration de la pompe funèbre du général Joubert, tué à l'armée d'Italie.

26 octobre (4 brumaire). Remise au citoyen Rivet, victime d'un incendie, de la somme de 427 francs 47 ½ centimes, produit d'une quête faite en sa faveur par la municipalité.

L'année 1800 ne présente pas de nombreux événements dans notre commune.

Conformément à l'usage établi au début des changements de régime gouvernemental, un nouveau serment fut imposé au clergé et au personnel administratif, judiciaire et enseignant.

Chez nous, le serment de fidélité à là constitution de l'an VIII, fut prêté, le 22 janvier (2 pluviôse), par la municipalité, le juge de paix, ses assesseurs et son greffier, les instituteurs et institutrices, le prêtre Borot, exerçant à la Croix-Rousse et dont nous parlerons bientôt, le prêtre Geoffroy exerçant à Caluire, et Charles Seriziat, général de brigade.

L'ex-père chartreux, Charles Dupoizat, résidant à la Croix-Rousse, le prêtait à son tour le 14 mars.

La nouvelle constitution modifiait. le régime municipe institué par la précédente. Elle supprimait l'administration cantonale et rendait àchaque commune sa municipalité.

Celle du canton de la Croix-Rousse cessa ses fonctions le 16 mai (26 floréal).

Ravina, président, resta comme maire provisoire, et Mercier, doyen d'âge, comme adjoint provisoire. En se séparant, ses membres déclarèrent leur regret "de se quitter, eu égard au bon accord et à la concordance qu'ils ont eue pour le bien général".

La nouvelle municipalité de notre commune fut composée de :
Ravina (Raymond), maire, nommé par le premier consul ; Ferrouillat (Mathieu), adjoint, nommé par le premier consul Vouty (Claude-Antoine), Morel (Bonaventure) Rey ; Tholand (Charles), Deschamps (Jacques), Pinet (Jean-François), Tournès (Antoine), Desfarge (Claude), Riche, juge de paix Gonon aîné (Jean) Félix (André) ;
Boucharlat (Durand), Daubigny (Louis) ; Bonamour (Benoît), Lègues (Pierre).

En prenant possession de sa charge, Ravina rendit hommage au citoyen Mercier, qui quittait l'administration après six ans de bons services rendus à la commune.

Le rôle de la contribution foncière pour l'année 1800 fut fixé au même taux que pour l'année précédente.

CHAPITRE XXI
1801-1802


Réclamations de la municipalité contre la vente de la maison de l'Enfance et du bâtiment des écoles. - Réjouissances à l'occasion des préliminaires de la paix d'Amiens. - Réfection de la montée de la Boucle. - Revue rétrospective de l'histoire religieuse de la commune. - Les prêtres assermentés Plagniard, Garnier, Borot. - Les missionnaires catholiques Barge et Obriot. - Renaissance du culte. - Election de fabriciens.

En février 1801, notre municipalité renouvelle les réclamations déjà maintes fois formulées contre l'aliénation de la maison de l'Enfance. Elle proteste aussi contre la vente des anciens bâtiments scolaires et saisit le préfet des arguments propres à justifier ses réclamations. Voici ces arguments :

Pour la maison de l'Enfance.
L'hospice des folles n'eût pas dû être vendu, puisque cette vente est postérieure à la restitution des biens aux hôpitaux. Elle a été faite malgré des réclamations multipliées, malgré la lettre du Ministre de l'Intérieur, du 8 prairial an IV (27 mai 1796). Elle a été faite au citoyen Piégay, frère d'un administrateur du Département vendeur, au citoyen Servonnet, représentant du peuple, et au citoyen Laubreau, actuellement en faillite. Ladite vente a été faite clandestinement, et le jour même où l'administration municipale se présentait au Département pour réitérer ses réclamations.

Pour les bâtiments scolaires.
Les maisons dites les Petites Ecoles avaient été données gratuitement, par divers citoyens de cette commune, pour pourvoir à l'instruction gratuite des enfants de la commune. C'était une véritable école primaire infiniment utile pour les habitants les plus pauvres. Ces maisons ont été vendues au citoyen Ddbouchet, marchand toilier, rue Longue, à Lyon.

Nous ne saurions dire quelle suite fut donnée à ces protestations qui marquaient bien le caractère odieux de cet anéantissement brutal, par une administration prétendue démocratique, de deux établissements créés pour le bien et le service des gens du peuple.

En exécution de l'arrêté des Consuls, on célébra par une fête publique (9 novembre - 18 brumaire), la signature des préliminaires de la paix d'Amiens, invités à n'ouvrir ce jour-là ni boutiques, ni ateliers, et à illuminer leurs maisons à la nuit tombante, les habitants répondirent à cette invitation avec joie et reconnaissance.

Au-dessus du portail extérieur de la mairie, un transparent carré portrait, inscrits en gros caractères aux quatre angles, les noms de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique reliés par des branches d'olivier. Tout autour se. lisait la légende : La Paix sur tout le globe, et au milieu cette devise entourée de lauriers : Au génie de la France.

Pendant cette année 1801, notre municipalité mit à l'adjudication les travaux de réfection de la montée de la Boucle, qu'un premier projet évaluait au coût de 5.600 francs. Pour couvrir la dépense, le préfet sera sollicité d'autoriser l'imposition de centimes additionnels au principal de la contribution. foncière.

Nous voici arrivés à la veille du jour où la conclusion du Concordat va ramener, dans toutes les paroisses de France, l'exercice régulier du culte catholique. Revenons quelque peu en arrière pour recueillir ce que les documents nous ont laissé, concernant l'histoire religieuse du faubourg, au cours de la période troublée qui vient de finir.

Nous avons vu que les habitants de la Croix-Rousse avaient réclamé l'usage de leur église à la fin de 1796, et que le prêtre Jean Garnier allait y exercer le culte dans les conditions imposées par la loi.

Mais, avant lui, l'ex-curé Plagniard avait eu l'intention de reprendre à la Croix-Rousse l'exercice de son ministère. A cet effet, il adressait, le 21 septembre 1795, aux Représentants à Lyon, la requête suivante que nous reproduisons intégralement. Elle reflète à merveille la mentalité de son auteur qui était aussi celle de la plupart des membres du clergé assermenté :

"Aux citoyens Représentants,
"Depuis le premier instant de la Révolution, ayant toujours manifesté des sentiments patriotiques par mon adhésion, soit solennelle, soit particulière, à toutes les loix et décrets du gouvernement, je me suis hâté de me présenter à ma municipalité pour faire ma soumission, lorsqu'il fut requis que tout prêtre qui voudrait exercer y serait obligé pour satisfaire aux décrets ; ne pouvant alors entrer en exercice par défaut, soit de local, soit d'ornements, etc.
"L'agent de cette commission me dit que ma déclaration de domicile me suffisait, et qu'il ne recevrait ma soumission que lorsque je pourrais entrer en exercice de mes fonctions. A cette représentation, j'ai différé jusqu'à ce jour mais, vu les nouveaux décrets, toute inaction sur ce sujet pouvant être réputée pour un refus, je me suis présenté pour faire ma soumission aux loix de la République.
"Requis par le greffier sur le culte que je voulais exercer, je lui ai déclaré que mon culte est le culte de l'Église catholique, apostolique et romaine. L'agent national croyant que cet objet de foi et d'opinions purement spirituelles et religieuses me soumettait au gouvernement temporel de l'évêque de Rome, et me constituait son sujet pour ce même temporel auquel moi, prêtre constitutionnel, avait déjà reconnu comme illusoire par mon acceptation des loix civiles du clergé, a insisté à ce que le mot romaine, qui n'est qu'une union de foi et de croyance parmi les catholiques, fut biffé de mon acte de soumission.
"Cette contestation portée à votre tribunal pouvant vous être présentée sous un jour différent, m'a déterminé à vous faire cet exposé, et à vous représenter que déjà plusieurs ministres du même culte, qui ont fait leur soumission dans la même forme, n'ont point éprouvé cette contestation. Toutes les opinions religieuses doivent être respectées comme un droit dont doivent jouir tous les Français, et le culte déclaré libre par les loix de la République.
"Assuré de votre impartialité et de votre sagesse, je pense que vous présumerez favorablement de mon républicanisme, puisque je professe une religion qui ne veut pas qu'on résiste aux puissances, parce que ce serait résister à l'ordre de Dieu même, et qui si l'on doit rendre à César ce qui est à César, on doit aussi rendre à Dieu ce qui est à Dieu.
"Telle est la déclaration de celui qui, dans des sentiments d'estime et de vénération, vous offre ses saluts et est très fraternellement votre concitoyen, Plazniard, ci-devant curé de la Croix-Rousse".

A cette requête, l'administration départementale répondit, le 16 décembre, en renvoyant Plagniard au greffe de la municipalité, avec obligation d'y déclarer sa soumission aux lois de la République, sans rien ajouter ou retrancher de la formule prescrite par l'article 6 de la loi du 7 vendémiaire an IV.

Le greffier, de son côté, était tenu de recevoir purement et simplement la déclaration, sans rien exiger de plus.

Ensuite de cette démarche, Plagniard arriva-t-il à reprendre chez nous ses fonctions sacerdotales ? Nous n'avons rencontré aucun document qui le dise ; mais s'il le fit, ce fut pour un temps bien court.

Les notes de M. Courbon - 1802 - s'expriment ainsi sur notre personnage : "Plagniard (Charles), ex-augustin de la Croix-Rousse, y intrus, persécuteur, intrus en plusieurs endroits".

Nous ne savons quelles sont les localités mentionnées dans cette note.

Mais nous retrouvons Plagniard à Saint-Bonnet-de-Mure (Isère) où il exerça les fonctions de maire, du 21 mai 1798 au 23 septembre 1804, et où sa conduite privée ne fut pas des plus édifiantes.

Il mourut le 7 mai 1814, à Fourvière, probablement à l'hospice des vieux prêtres.

Quand le prêtre Jean Garnier prit possession de l'église de la Croix-Rousse, celle-ci était encore encombrée des bois ayant servi pour la charpente élevée dans son enceinte pour en faire le temple de la Raison. On avait démoli les deux piliers de pierre qui supportaient la tribune dont la solidité se trouvait ainsi compromise. La municipalité traita, le 2 septembre, avec le sieur Pierre-Laurent Richard. Moyennant le prix de 350 livres, il eut l'adjudication des bois qu'il devait enlever dans la huitaine en évitant toute dégradation. Il eut charge aussi de rétablir les colonnes de pierre de la tribune.

Le prêtre Garnier, avons-nous dit, avait son logement dans la maison commune, mais cette situation n'allait pas tarder à lui créer des embarras.

Afin de pouvoir entrer à toute heure dans son domicile, sans recourir au concierge, Garnier avait pris sur lui de se procurer une clef. La municipalité eut connaissance du fait.

Arguant du manque de sécurité où se trouveraient ses archives, régistres et autres objets d'utilité publique, si une personne étrangère à l'administration pouvait librement pénétrer dans ses bureaux, elle fit comparaître le délinquant, lui supprima la clef nouvelle, l'informa qu'un inventaire allait être dressé des objets du culte dont il avait la charge, et lui ordonna de remettre à la municipalité les clefs de l'église et de la sacristie. Finalement, elle lui enjoignit de vider, avant la Saint-Jean, le local qu'il occupait dans la maison commune pour l'affecter à une autre destination.

Si la suppression de la malencontreuse clef s'effectua sans trop de peine, il n'en fut pas de même pour la mise à exécution des autres ordonnances.

D'abord, les deux commissaires préposés à l'inventaire, Claude Nesme et François Mercier, durent se rendre par trois fois chez Garnier, avant de le rejoindre. Pour la remise des clefs de l'église et de la sacristie, Garnier en appela à l'administration centrale du département.

Sur la demande de cette dernière, la municipalité produisit la, justification suivante. On nous accuse - disent les officiers municipaux - d'un changement d'attitude à l'égard du ministre du culte, mais la remise des clefs est exigée pour ces deux motifs :

1° c'est qu'indépendamment des effets dont nous avons demandé à Garnier la réintégration au dépôt en tant qu'ils sont susceptibles d'enlèvement, comme linges et ornements, il en est d'autres non susceptibles d'un transport facile, tels que tableaux, tabernacles, dont aucun citoyen participant au culte n'a voulu se charger, et dont nous ne demeurons pas moins responsables ;

2° c'est que la porte du fond de l'église, donne issue au dehors dans des conditions telles que les effets de la sacristie ne sont pas en sécurité ainsi, d'ailleurs, que le démontrent des manquements constatés aux précédents inventaires.

Six jours plus tard, la municipalité formule encore ces considérations à l'appui de sa conduite. Si elle exige du citoyen Garnier les clefs de l'église et de la sacristie, ainsi que les effets cultuels qui lui avaient été provisoirement confiés, elle croit être dans l'esprit de la loi. Si la loi rejette tous cultes dominants, elle ne donne point de droit exclusif à un ministre d'exercer ses fonctions dans un local qu'elle destine àl'exercice de tous les cultes individuellement. Tout autre ministre se conformant à la loi doit donc jouir du même avantage. Donc, en confiant lesdits objets à un seul, ce serait en quelque sorte conférer un privilège au culte qu'il exerce. De quoi se plaint-on ? - disent en terminant, nos municipaux, puisqu'il est ordonné de remettre au citoyen Garnier les ornements en question, au fur et à mesure de ses besoins. L'église de la commune lui est constamment ouverte, de la pointe du jour à la nuit. Si la nuit ses fonctions l'appellent à l'église, le concierge est là pour lui en faire l'ouverture. Où sont donc les entraves mises à l'exercice du culte, et quel intérêt a-t-il à exiger les clefs ?

Saisie du conflit, l'administration du Département statua comme suit :

1° La municipalité se fera représenter tous les effets et ornements délaissés au citoyen Garnier, avec inventaire. Elle ne les laissera à sa disposition, et à celle des citoyens qui exercent leur culte après s'être conformés aux lois, que dans le cas où ces effets, originairement destinés à l'exercice du culte, se seraient trouvés dans l'église au premier jour de l'an II.

2° L'administration rendra au citoyen Garnier, ou aux citoyens qui exercent constitutionnellement leur culte, les clefs de leur église, afin qu'ils puissent s'en servir toutes les fois qu'ils le jugeront nécessaire, sans que, néanmoins, ils soient en aucun cas dispensés de la surveillance extérieure attribuée, par la loi du 7 vendémiaire an IV, aux autorités constituées.

3° La même administration obligera, si elle le juge à propos, le citoyen Garnier à vider le logement qu'il occupe dans la maison commune, en lui donnant toutefois le temps nécessaire pour s'en procurer un autre.

Notre municipalité rend compte, comme suit, des dispositions qu'elle a prises en exécution de l'arrêté départemental :

1° Nous nous sommes fait représenter les effets dont Garnier était dépositaire, conformément à l'inventaire qui en avait été fait. Il manque seulement un reliquaire de Notre-Darne-des-Sept-Douleurs que Garnier prétend avoir été enlevé lors de la tenue des assemblées primaires.

2° Les clefs de l'église et de la sacristie sont confiées au citoyen Tocanier, fileur de coton, domicilié près de l'église et chargé de les remettre toutes les fois qu'elles seront nécessaires au ministre du culte.

3° Le délai imparti au citoyen Garnier pour trouver un autre logement a été étendu jusqu'à la fin du présent mois de messidor.

Cette procédure s'est déroulée du 1er mai au 29 juin 1798.

Le prêtre Garnier ne paraît pas avoir quitté avant les premiers jours d'octobre son local de la maison commune. Il y eut une sommation nouvelle de la municipalité qui destinait ce local à la justice de paix.

Après Jean Garnier, apparaît à la Croix-Rousse le prêtre Borot (Blaise), sans que nous puissions préciser la date de ses débuts.

Il n'est fait mention de lui qu'une seule fois dans les délibérations municipales, le 14 novembre 1799, à propos d'une pétition relative à la ci-devant église, alors plus connue sous l'appellation de Temple décadaire. Les citoyens Combet, Chevrier, Bergeon, habitants de la commune, avec le prêtre Borot, demandaient à être autorisés à faire réparer la toiture de cet édifice.

La municipalité y consentit, sous la condition de ne rien innover ni détériorer, en un mot, ne faire que des menues réparations, à peine (pour les signataires) d'être responsables".

Si nous ne savons presque rien du séjour de Borot parmi nous, son passé par contre nous est mieux connu.

Il naquit à Lanslebourg (Savoie), le 28 mai 1731, de Jean-Baptiste et d'Anne Gravier. Il prit la vêture au couvent des Augustins réformés de la Croix-Rousse, le 15 novembre 1748, et y fit profession un an plus tard, sous le nom de André-de-Sainte-Cécile. Cette circonstance explique peut-être son retour aux lieux témoins de sa première ferveur.

Le 24 février 1793, dans l'église cathédrale de Chambéry, en présence du Conseil général et d'un grand nombre de citoyens, à l'issue de la messe paroissiale, l'ex-augustin Blaise Borot prête le serment prescrit par les commissaires de la Convention, de remplir avec exactitude ses fonctions, de maintenir la Liberté et l'Égalité, ou de mourir en les défendant.

Il revient ensuite dans notre région où il fut curé des Chères (canton de Limonest.)

Le 27 janvier 1798, l'administration municipale du canton de Chasselay délivre un passeport au citoyen Blaise Borol ex-curé de la commune des Chères, y fondant son domicile, âgé de 66 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, portant perruque, yeux et sourcils châtains, visage ovale, nez aquilin, bouche moyenne, menton rond, ayant prêté le serment prescrit par la loi du 19 fructidor dernier, art. 25, de haine à la royauté et à l'anarchie, fidélité et attachement à la République et à la constitution de l'an III, le 5 vendémiaire an VI (26 septembre 1797). Borot déclarait aller à Lyon pour ses affaires.

En effet, le 25 juin suivant, la municipalité du canton de l'Ouest délivrait un certificat de résidence au citoyen Blaise Borot, ex-prêtre, qui demeurait alors à Fourvière, n° 74.

Enfin, le 1er juillet, il déclare n'avoir rétracté aucun des serments exigés par les lois de la République.

Ces prêtres, Garnier et Borot, ayant prêté tous les serments et accepté toutes les exigences du pouvoir révolutionnaire, étaient par là même restés schismatiques. Leur culte, du reste, s'exerçait au temple décadaire concurrement avec la célébration des fêtes civiques et la lecture des lois.

Mais, au même temps, d'autres prêtres en communion, ceux-là, avec l'archevêque de Marbeuf, se dévouaient au ministère des âmes restées fidèles à l'antique foi.

Les nécessités de cette période de persécution avaient imposé aux vicaires généraux l'organisation dite des Missions, qui devait assurer, autant du moins que le permettaient les circonstances, les secours religieux au sein des populations.

A cet effet, les paroisses du diocèse furent divisées par groupes de quarante à cinquante, chaque groupe fut confié à un chef ayant sous sa direction des prêtres missionnaires et des catéchistes. Le chef de mission relevait directement du vicaire général forain, ou du Conseil général de l'archevêché.

A la Croix-Rousse, deux de ces prêtres missionnaires ont laissé quelques traces, à savoir : Barge (Henri) et Obriot (Jérôme).

Du premier, nous savons peu de chose. Ministre du culte catholique, il résidait dans notre commune (maison n° 120) depuis le commencement de l'année 1801.

Il se présenta, le 28 juillet, devant le maire Ravina pour, ayant déclaré vouloir exercer librement son ministère, prêter à cet effet le serment de fidélité à la Constitution. Purement politique ; ce serment était considéré comme licite par les autorités religieuses.

C'était donc chez nous le rétablissement du culte catholique devançant la promulgation du Concordat.

D'après les notes de M. Courbon - 1802 - l'abbé Barge, surnommé Garbe, appartenait à la mission de la Métropole, spécialement chargé de Lyon et de ses faubourgs, avec des pouvoirs s'étendant à deux lieues de Lyon. Il avait des talents.

L'abbé Barge était, depuis l'année 1774, curé de Four en Dauphiné, diocèse de Vienne, où il avait succédé à joseph Didollet. Par permutation avec joseph Demolins, il fut pourvu d'un canonicat dans l'église de Trévoux en Dombes, le 2 avril 1783, canonicat qu'il posséda jusqu'à la Révolution.

En 1802, l'abbé Barge demeurait à Lyon, avec une simple autorisation de célébrer, sans fonction officielle. Nous ignorons la date et le lieu de sa mort.

Quant à l'abbé Obriot (Jérôme) son ministère mieux connu embrassa, à la Croix-Rousse et dans la région limitrophe, la période révolutionnaire presque entière.

L'église paroissiale Saint-Denis possède encore, dans la collection de ses actes de catholicité, ceux de notre missionnaire qui s'y désigne sous l'appellation de Prêtre catholique.

Nous voyons, par ces documents, que l'abbé Obriot célébra 47 mariages, et administra plus de 700 baptêmes.

Le premier de ces baptêmes est du 16 octobre 1794, le dernier du 31 janvier 1803.

Ils se répartissent entre les localités suivantes : Lyon, la Croix-Rousse, Cuire, Caluire, Saint-Clair, la Guillôtière (un petit nombre), Rillieux, Chasselay (un grand nombre), Fontaines, Saint-Rambert, Saint-Romain-au-Mont-d'Or, Saint-Cyr, Neuville, Meximieux, Villeurbanne, Miribel, etc.

On a vu plus haut que, dès avant le Concordat, les cérémonies catholiques s'accomplissaient, dans notre église, avec la coopération de l'abbé Barge, Le 26 juillet 1802, les citoyens Gonon frères, Berthet, Fontanel et Nesme, au nom des habitants de la commune, adressent au maire Ravina une lettre exprimant leur désir de connaître les revenus de l'église dont ils sont obligés de payer les frais. Estimant justifiée cette requête, le maire arrête que quatre citoyens seront élus pour percevoir le produit de la location des chaises et de la sacristie, fixer le prix des enterrements et autres services, bref, exercer l'administration et verser les fonds en provenant entre les mains du citoyen Morel "trésorier de l'oeuvre", Cette décision est communiquée au prêtre Obriot, desservant ladite église.

Une première assemblée des habitants eut lieu le dimanche 8 août, mais sans aboutir. Dans une deuxième assemblée convoquée par le maire Ravina, le dimanche 12 septembre, ce n'est plus quatre, mais dix fabriciens qui furent élus, à savoir Messieurs Vouty, président ; Morel (Pierre), trésorier ; Deschamps (Jacques), en Serin Pinet, à Saint-Clair ; Nesme, aîné Revol, père ; Fontanel ; Tocanier ; Gonon, aîné Berthet (Jacques) Gonon, cadet.

Toutefois, M. Vouty déclinait bientôt la charge de fabricien, en alléguant ses occupations multiples au tribunal d'appel, aux Hospices de Lyon et au Conseil du département.

Tout cela nous donne un aperçu de ce que fut le rétablissement du culte, par l'initiative des populations, avant que la promulgation du Concordat vint le régulariser et lui donner la consécration légale.

Voici les notes recueillies aux Archives de l'archevêché concernant notre missionnaire, et datées de 1798 et 1802 :

"Obriot (surnommé Drivet), missionnaire spécialement chargé de Lyon et de ses faubourgs, avec des pouvoirs s'étendant à deux lieues (Mission de la Métropole).
"Talents médiocres, a travaillé avec zèle et courage pendant toute la Révolution, M. Obriot était né à Lyon le 12 mai 1747, Il fut vicaire à Villars-les-Dombes (Ain) qu'il quitta le 5 mai 1789, puis quelque temps curé de Bouligneux (Ain). Nous le retrouvons curé de Sainte-Croix (Ain) d'août 1791 à septembre 1792.

Après le rétablissement du culte, l'abbé Obriot fut curé de Loyes (Ain) où il resta de mars 1803 aux premiers mois de 1811. Puis il se retira du ministère, et mourut à la Croix-Rousse le 29 juin 1817.

Voici l'acte de son inhumation :
"Le trente juin de l'année dix-huit-cent-dix-sept, j'ai donné la sépulture ecclésiastique à Jérôme Obriot, prêtre, décédé à la Croix-Rousse, âgé de 70 ans.
"Gervais, p. vic".

CHAPITRE XXII
1802 à 1804


La Constitution de l'an X. - Négligence pour le service militaire. - Les limites de la commune. - Un marché aux bestiaux. - Le Concordat. - Réparations à l'église, au clocher et au presbytère. - Nomination des fabriciens. - Reconstitution de la paroisse, son clergé. - Travaux de réfection et d'embellissement. - Dons particuliers. - Avènement de l'Empire et serment de fidélité. - Discours d'adieu du maire Ravina. - Le jeune Ferrouillat assiste au couronnement de Napoléon. - Dotation impériale et fête joyeuse à la Croix-Rousse.

Une fois de plus, une Constitution nouvelle, celle de l'an X qui faisait Bonaparte consul à vie, est soumise à la ratification populaire.

A la Croix-Rousse, trois régistres sont ouverts, l'un au greffe de la mairie, un autre chez le notaire Puy, le troisième chez le notaire Bassereau, sur lesquels les citoyens inscrivent leur acceptation ou leur refus. Il y eut deux cents adhésions et pas un seul refus (16 au 24 mai 1802).

La proclamation solennelle du senatus-consulte déclarant Napoléon Bonaparte consul à vie eut lieu, chez nous, le 15 août (27 thermidor). Un Te Deum fut chanté par le prêtre desservant, et il y eut des réjouissances publiques. Le commissaire de police avait, au préalable, reçu mission de favoriser les danses qui pourraient s'engager ce même jour, à charge par lui "de veiller au bon ordre dans tous les lieux faisant partie de ses attributions".

Ces fêtes néanmoins n'arrivaient pas à réveiller le zèle de nos jeunes concitoyens pour le service militaire. La négligence était grande parmi les conscrits de l'an IX et de l'an X pour répondre à l'appel, aussi là municipalité fit-elle apposer des affiches et battre caisse pour menacer les retardataires de la sévérité des lois. Un arrêté du Gouvernement, du 22 octobre 1803 (29 vendémiaire XII) détermina comme suit les limites séparatives du faubourg la Croix-Rousse et de la commune de Caluire et Cuire réunis :

1° En partant du marchepied du Rhône, au lieu dit la Boucle, le chemin de la Boucle jusqu'à la grande rue de la Croix-Rousse.

2° Cette grande rue, en allant du sud au nord jusqu'à une ruelle dite Caquerelle qui commence à la partie occidentale de ladite grande rue, entre les maisons Puy et Laverrière.

3° Ladite ruelle allant de l'est à l'ouest jusqu'à son issue entre les possessions des citoyens Laverrière et Puy, terminant dans le chemin tendant des ci-devant portes de la Croix-Rousse à Cuire.

4° Ledit chemin des portes de la Croix-Rousse à Cuire du sud au nord, sur une longueur d'environ 60 mètres (30 toises), jusqu'à une ruelle prenant son entrée sous la voûte de la maison Portalet, entre cette maison et le clos Briasson.

5° Ladite ruelle allant de l'est à l'ouest et terminant à l'angle nord de la maison de l'Enfance.

6° Un chemin ou sentier, allant toujours de l'est à l'ouest, qui longe au nord le clos de l'Enfance, jusqu'à la rencontre des possessions du citoyen Vouty.

7° En tournant du nord au midi, le même chemin jusqu'à la la rencontre du sentier existant dans les possessions du citoyen Vouty, le long du clos du citoyen Dumond.

8° Ledit sentier, en allant de l'est à l'ouest, jusqu'à la rencontre d'une ruelle conduisant à la porte du citoyen Vouty, dite la tour de la Belle-Allemande.

9° De ce point jusqu'à la Saône, les limites séparatives des "possessions du citoyen Deschamps qui feront partie de la Croix-Rousse, de celles du citoyen Vouty. qui seront de Cuire".

Deux mois auparavant, la municipalité avait décidé la création d'un marché aux bestiaux, à tenir sur la place du Petit-Louvre le mercredi de chaque semaine, à l'exception des jours de fêtes religieuses ou nationales reconnues par la loi, auquel cas il devait être reporté au mardi.

Cette année 1803 marque la réorganisation générale du culte catholique opérée en exécution du Concordat.

Dès le 12 décembre précédent, notre municipalité étudiait les voies et moyens de satisfaire à l'obligation, édictée par la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802), de fournir un presbytère au nouveau curé :
"Le conseil municipal a trouvé qu'il pouvait être donné un logement au desservant dans une portion des bâtiments de l'ancien monastère des Augustins, au-dessus de la sacristie de ladite église, lesquelles portions de bâtiment ont été, lors de la vente faite en 1791, expressément réservées pour le presbytère ; qu'on pourrait y joindre un très petit jardin qui jadis a été le cimetière, et qui déjà fut remis au desservant de la paroisse.
"Mais, attendu les prodigieuses dégradations de ces bâtiments, de l'église, du clocher, etc. le conseil, après avoir fait lui-même, pour son instruction, une espèce de devis approximatif, a reconnu que, pour mettre en état le logement composé de quatre pièces au premier étage, et autant au deuxième qui sont à faire dans le galetas (?) portant à chaque étage 28 pieds de long sur 27 de large, et qui ont servi à des cellules aujourd'hui détruites, sans évier, cheminée, cuisine, porte, fenêtre, commodités, etc. il faudra une dépense de 9.000 francs ; qu'il faudra encore 3.000 francs pour la toiture de l'église et de ses chapelles ; 6.000 francs pour le rétablissement du clocher, et 3.000 francs pour l'intérieur de l'église, ce qui fera une somme de 21.000 francs".

Mais comme, à ce moment, notre commune ressortissait aux trois justices de paix environnantes, et que la circonscription paroissiale n'était pas encore officiellement établie, la municipalité estimait impossible la répartition de cette somme.

Le préfet était en même temps invité à fixer, d'une façon précise, les limites de la paroisse.

Ces obstacles ne furent pas insurmontables, semble-t-il, car les travaux suivirent leur cours.

Un état du 4 février 1803 marque comme suit ce qui est dû par la commune pour la réfection de la toiture de l'église :

o Belon, maçon : 370 fr. 50
o Mouron, ferblantier : 677 fr. 90
o Collon, charpentier : 513 fr. 50

Total : 1.561 fr. 90
Payé par Morel, trésorier de l'église : 350 fr.

Reste dû : 1.211 fr. 90

Le délabrement des toits a rendu les réparations nécessaires et urgentes, ajoute une note de l'administration.

Ce même jour, ayant reçu du nouveau curé, M. Chazette, une lettre réclamant son logement conformément à la loi, le maire est mandaté pour, de concert avec le curé, louer près de l'église un local convenable, mais d'un prix proportionné aux facultés budgétaires de la commune.

Trois semaines plus tard, et parce que le bâtiment destiné au presbytère exigeait de longues et coûteuses réparations, le maire est autorisé à passer, avec le citoyen Lenoir, un bail de neuf années, au prix de 550 francs par an, pour le logement du curé.

Quant aux deux vicaires, ils seront provisoirement logés dans deux pièces du presbytère, après exécution des réparations urgentes.

Il faut croire que ces locaux ne furent qu'insuffisamment aménagés car nous voyons, dès le mois d'octobre, l'un des vicaires, M. Bon, faire effectuer à ses frais, et jusqu'à concurrence de la somme de 133 francs, des réparations dans la chambre qu'il occupe sous l'horloge. L'approche de l'hiver rendait indispensable cette réfection dont le vicaire dut avancer la dépense, parce que la municipalité déclarait n'avoir aucun fonds disponible à cet effet.

Par une lettre du 8 mars, le préfet avait nommé fabriciens les citoyens Escalle, Bonnamour, Mercier, Tocanier, Fontanel et Martinon. En leur remettant l'inventaire des objets appartenant à la sacristie, et dont le concierge avait la charge, le maire leur témoigna la satisfaction et la reconnaissance de la commune pour le zèle qu'ils apportaient à l'organisation du culte catholique.

Voilà donc la paroisse de la Croix-Rousse constituée selon les prescriptions concordataires. Elle a repris son vocable de SaintDenis et comprend le territoire entier de la commune, sauf une enclave de la succursale de Saint-Bruno-des-Chartreux, qui disparaîtra en 1807.

Son clergé est formé de MM. Chazette (Jean-Mathieu), curé Bon (Jean-Baptiste), vicaire ; Berry (Etienne), vicaire.

Voici leur curriculum vitoe :

- CHAZETTE (Jean-Mathieu) né à Lyon le 15 août 1739, fils de Claude-Joseph Chazette, écuyer, recteur de la Charité en 1755, secrétaire du roi, audiencier en la cour des Aides de Montauban, puis en la cour de Monnaies de Lyon, et de Fleurie Bergé.

Ordonné prêtre le 7 avril 1764, M. Chazette était, en 1789, curé de Saint-Vincent, bachelier en théologie de la Faculté de Paris, membre de l'assemblée de département de la ville de Lyon et Franc-Lyonnais, pour l'ordre du clergé.

Le 8 décembre 1790, il prête le serment à la constitution civile du clergé, qu'il rétracte peu après.

Curé constitutionnel de Saint-Louis (ex-paroisse de Saint-Vincent), il a pour vicaires MM. Philippon, Roux (Jacques-Pierre), Rosier (Vincent).

Sur la fin de 1793, il abdique et déclare renoncer à sa profession. Il est arrêté peu après et mis en prison. Il demeurait alors sur la place Saint-Vincent.

Le 17 janvier 1794, sur la demande qui lui est adressée, par la Commission révolutionnaire, du motif pour lequel le curé Jean-Mathieu Chazette a rétracté son serment, le comité révolutionnaire de l'arrondissement de l'Abondance répond qu'il l'ignore, mais qu'il a ouï dire "que c'était par sollicitation de quelques-uns de ses collègues". Le 24 janvier, M. Chazette est renvoyé d'accusation et pompeusement remis en liberté, avec 247 autres détenus, le 29 janvier, jour de décadi - 10 pluviôse. Le 14 septembre, un certificat de civisme est accordé, par l'administration du district, à Jean-Mathieu Chazette, ex-prêtre, canton Marat.

En 1795, redevenu curé de Saint-Louis, il déclare faire sa soumission conformément à la loi du 11 prairial. Il est nommé par Charrier de la Roche, membre du Presbytère constitutionnel de Lyon.

Note de M. Courbon (1802) :
"Chazette (Jean-Mathieu) ex-curé de Saint-Vincent de Lyon, y exerçant, âgé de 63 ans, rétracté et réconcilié en 1801.
"Ayant été jur. sch. rétracté, relapse, tradit".

M. Chazette est mort, curé de la Croix-Rousse, en 1818, à l'âge de 79, ans.

- BON (Jean-Baptiste) né à Lyon le 25 juillet 1766.
Pendant la Révolution, et sous le pseudonyme de Bunas, fut missionnaire spécialement chargé des paroisses de Belleville, Corcelle, Dracé et Taponas, avec des pouvoirs pour Cercié, Saint-Jean-d'Ardière, Charentay et Saint-Georges-de-Reneins (Mission de Villefranche).

Note de M. Courbon (1802)
"Bon (Jean-Baptiste) desservant Belleville, talents plus qu'ordinaires, le sachant bien, piété ; zèle, conduite régulière".

Vicaire à la Croix-Rousse le 23 novembre 1803, renouvelé jusqu'au 7 janvier 1813. Décédé à Belleville-sur-Saône, le 18 novembre 1838, âgé de 72 ans.

- BERRY (Etienne), né à Lyon le 15 août 1763.
Pendant la Révolution, et sous le pseudonyme de Dumont, fut missionnaire spécialement chargé de la paroisse de Saint-Rambert-l'Ile-Barbe, avec des pouvoirs pour Lyon.

Atteint d'une maladie nerveuse qui le rend parfois original, devient vicaire de Saint-Just (Lyon) le 18 août 1805 ; desservant de Saint-Germain-au-Mont-d'Or le 1er avril 1807, démissionne le 30 juin 1810.

Retiré à Neuville-sur-Saône, et y meurt le 8 août 1813, âgé de 50 ans.

Afin de juger par eux-mêmes des réparations à effectuer dans l'église, le curé et les fabriciens en font la visite, le 27 mars, et consignent leurs constatations au procès-verbal suivant :
"Le conseil de Fabrique remarque d'abord qu'elle manquait de confessionnaux et de stalles commodes pour le service et qu'il était urgent d'en placer et de prendre à cet effet toutes les mesures convenables ;
1° que la chapelle de la Sainte Vierge nécessitait des réparations très urgentes ;
2° que la chapelle de Saint-Nicolas, dite de la Bonne-Mort, ne pouvait rester murée, que le service du culte demandait qu'elle fut réouverte et qu'il était nécessaire, par conséquent, de faire clore toutes les ouvertures qui avaient été prises sur la place ;
3° qu'il existait une ouverture près des fonts baptismaux qui donne sur la place, qui est devenue inutile et qui doit être fermée ;
4° que les fonts baptismaux étaient mal placés, et devaient être portés dans un lieu plus convenable ;
5° qu'il était indispensable de replacer un tambour à l'entrée de l'église pour remplacer celui qui existait auparavant.
"Cette visite faite, il a été aussitôt arrêté qu'on procéderait sans retard aux réparations et au rétablissement des objets énoncés ci-dessus".

A partir de ce moment, commence l'oeuvre de réfection et d'embellissement de l'église paroissiale.

Le 1er mai, un sieur Sarrazin donne la somme de 450 francs pour consolider la tribune et la mettre en état de servir au public.

Le 7 octobre, on décide l'élargissement de l'ouverture qui fait communiquer l'ancien choeur des Pères avec la nef. Cette ouverture très étroite ne laissait pas apercevoir l'autel. Désormais les fidèles placés dans l'arrière-choeur pourront suivre la messe et entendre les sermons.

Puis, c'est la restauration par le peintre Morel des grands tableaux qui décorent l'église. C'est la pose, à l'entrée du choeur, de la barrière de fer qui servira de table de communion.

Le 29 janvier 1804, le conseil municipal déclare devoir encore, pour les frais du culte, réparations à l'église et location du presbytère, une somme de 1751 francs. Pour y pourvoir, une surtaxe de douze centimes et demi par franc est établie sur les contributions foncière et mobilière de l'an XII. L'état des recettes et dépenses est produit par les fabriciens comme suit :

RECETTES :
Ferme des chaises : 800 fr.
Collectes journalières dans l'église, estimées : 460 fr.
Total : 1.200 fr.

DÉPENSES
Luminaire : 550 fr.
Vin : 200 fr.
Blanchissage et raccommodage du linge : 180 fr.
Chauffage de la sacristie : 72 fr.
Total : 1.002 fr.

Enfin, le procès-verbal de la séance municipale est clos sur les considérations que voici :
"Il manque à l'église beaucoup d'ornements et différents vases qui exigeraient d'être en argent, qui se trouvent être en composition. Mais les sommes que la commune a à payer pour les réparations faites et le logement du curé mettent le conseil dans le cas d'ajourner les acquisitions nécessaires pour la sacristie, jusqu'à ce quelle soit libérée des dettes que le culte lui a fait contracter".

Ces vases sacrés indispensables que la municipalité avoue ne pouvoir acquérir, des paroissiens généreux les offrent à leur église. Le trésorier Escalle fait don d'un ostensoir, d'un calice et d'un ciboire d'argent marqués à son nom. Peu après, un second ciboire est donné par un sieur Jean-Baptiste Bargeot.

Nous voici parvenus à l'établissement du régime impérial. Le consul Bonaparte devient l'empereur Napoléon Ier.

Le serment de fidélité au nouveau gouvernement ainsi conçu :
Je jure obéissance aux constitutions de l'Empire, et fidélité à l'Empereur, est prêté, le 6 juin 1804, entre les mains du maire Ravina, par MM. de Vaulserre, Bonnamour, Escalle, François Mercier, Lafay, Ferrez, Tocanier, Valence-Minardière, Jacques Martinon, L. Martinon, Chevalier, Gonon, Revol, membres du conseil municipal ; Ravina, maire, Ferrouillat, adjoint, Puy, notaire, Chevassu, instituteur, Crozier, directeur de l'école secondaire à l'Enfance, Bassereau, notaire et membre du conseil, Chachuat, professeur de mathématiques chez la veuve Gors, Philippe, instituteur.

Cette cérémonie fut comme le couronnement de la carrière administrative de M. Ravina. Depuis plusieurs mois déjà, il avait adressé au préfet sa démission de maire, mais ce ne fut que le 7 juin qu'un décret impérial lui donna un successeur dans la personne de M. de Vaulserre (Apollinaire-Louis-Elisabeth-Emmanuel.)

L'installation de ce dernier eut lieu le 27 juin. M. Ravina y prononça son discours d'adieu où se révèle, avec le sens avisé de l'observateur, la modestie et l'honnêteté de l'administrateur soucieux des intérêts confiés à sa garde :
"J'ai été appellé par le voeu de mes concitoyens, en l'an VII, à la place de président de la municipalité, sous le gouvernement directorial.
"Sous ce gouvernement versatile, alternativement effrayé ou effrayant, il était très difficile de faire le bonheur des administrés, et encore davantage de les défendre des atteintes de ces lois de circonstance qui étaient interprétées selon les passions de ceux chargés de les faire exécuter.
"Si j'ai maintenu, dans ces temps malheureux, la tranquillité publique et la liberté individuelle, c'est aux sages avis de Messieurs les officiers municipaux, de Messieurs les membres du conseil municipal que la commune le doit.
"Après le 18 brumaire, le général Bonaparte, premier consul, supprima les municipalités et les remplaça par des maires et adjoints.
"Connaissant la faiblesse de mes moyens, je sollicitai le gouvernement, et lui désignai même des habitants de cette commune pour remplir la place de maire et adjoint, mais mes sollicitations devinrent inutiles, et le premier consul me nomma maire, et l'estimable M. Ferrouillat mon adjoint.
"Sous un gouvernement ferme et tutélaire, aidé, Messieurs, de vos sages délibérations, des avis de M. Ferrouillat, et secondé par M. Roussillon, secrétaire, dont les talents et les sentiments ne laissent rien à désirer, j'ai parcouru la carrière administrative qui m'était tracée, avec zèle et plaisir. Si je n'ai pas fait beaucoup de bien à la commune, je vous prie de croire que ce n'est pas manque de bonne volonté".

Le 31 août, le fils cadet de l'adjoint Mathieu Ferrouillat, Jean-Baptiste, fait l'offre de se rendre à Paris, comme représentant de la commune, à la cérémonie du couronnement de Sa Majesté Impériale. Sa proposition est acceptée, et le jeune Ferrouillat reçoit du maire le témoignage de la reconnaissance de la municipalité pour le zèle qu'il apporte à concourir à un si beau dévouement, et la satisfaction qu'il lui procure, attendu qu'il réunit toutes les qualités propres à concourir à la brillante tenue, et à la représentation du corps des Députés".

Une dotation de 600 francs avait été accordée par l'Empereur aux jeunes filles peu fortunées qui contracteraient mariage au jour de son couronnement.

Notre municipalité désigna pour l'obtention de cette faveur, Mlle Jeanne Point, née à la Croix-Rousse le 30 mars 1784, fille de Jean Point, tisserand, grande-rue du faubourg n° 59, et de Marie Debourd, gens pauvres, mais honnêtes, ayant des parents au service de la patrie, depuis longtemps présumés morts. Elle épousait Pierre Magnin, aussi tisserand à la Croix-Rousse. Les noces des heureux bénéficiaires furent solennisées avec un éclat exceptionnel, ainsi que le relate le procès-verbal suivant, inséré aux régistres municipaux :
"Nous (maire) nous sommes d'abord décoré de notre costume de maire, et avons requis la musique afin de pouvoir célébrer ledit mariage avec toute la pompe exigée par la lettre de M. le Préfet.
"Beaucoup de personnes de tout sexe et de tout âge s'étant rendues en la maison commune, en présence desquelles il a été donné lecture, par nous maire susdit, tant du décret impérial que de la lettre de M. le Préfet, les assistants ayant applaudi intermédiairement par des acclamations de Vive l'Empereur et toute sa famille, et la musique a joué différents airs analogues.
"Ensuite le cortège est descendu faire le tour de la place au pas de la musique jouant à la tête ; de là les futurs époux ont été reconduits à la mairie où il a été procédé de suite à la célébration de leur mariage par M. Ferrouillat, officier de l'état-civil. Ensuite les époux ont été conduits à l'église pour y recevoir la bénédiction nuptiale par M. le curé, qui a célébré la sainte messe pendant laquelle le beffroi s'est fait entendre".

Nous sommes heureux de terminer sur cette note joyeuse cette étude historique qui, suivant les phases du drame révolutionnaire, n'a présenté que trop de traits attristants, de récits lugubres et de scènes sanglantes.

FIN